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22 mars 1968 : comment naît une insurrection

Une AG d'étudiants à Nanterre, prélude à Mai 68. | © Georges Melet

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Il y a cinquante ans, à Nanterre, la contestation qui donnera naissance à Mai 68 prenait forme de manière… inattendue.

C’était la « fac HLM », comme on l’appelait alors. Ouverte en 1964, posée sur le site d’un ancien camp militaire et cernée de bidonvilles. Un campus à l’américaine où l’agitation ne s’arrêtait jamais : un coup on manifeste contre la guerre au Vietnam, un autre contre le franquisme, un autre pour la mixité dans les résidences étudiantes… Une fac nouvelle dans laquelle l’ordre ancien, les syndicats et les partis politiques n’avaient pas encore de prise. C’était le 20 mars 1968. À l’appel du Comité Vietnam, 200 à 300 personnes brisent les vitrines d’une agence parisienne d’American Express. Plusieurs manifestants, dont Xavier Langlade (futur dirigeant de la Ligue communiste révolutionnaire), étudiant très populaire à Nanterre, sont arrêtés. Le 22 mars, aucune libération n’étant survenue, entre 400 et 500 personnes se retrouvent à 17 heures pour une AG.

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Plutôt que d’occuper l’habituel bâtiment de sociologie, il est décidé, « pour démontrer [leur] volonté de lutter contre la répression », dixit Daniel Cohn-Bendit, déjà à la manœuvre, de s’installer dans une salle interdite, celle des conseils d’université, au 8e étage de la tour centrale du campus. « J’avais participé à la tentative d’occupation de la Sorbonne en 1964, se souvient Prisca Bachelet, une participante. Ça avait échoué, et pourtant ça avait été tellement préparé ! Ce 22 mars, il y avait un rapport à la parole, à l’action et à la décision radicalement nouveau, qu’on devait beaucoup aux anarchistes et aux libertaires comme Jean-Pierre Duteuil ou Daniel Cohn-Bendit. Les gens parlaient librement. Pour moi qui avais l’habitude des groupements politiques et syndicaux, c’était extraordinaire ».

©AFP PHOTO / Gérard JULIEN – Une affiche du printemps 68.

Une partie des présents s’attelle à l’écriture de ce qui deviendra le « manifeste des 142 », qui appelle à une journée de réflexion la semaine suivante. La séance se termine à 1h20 après une « Internationale » chantée le poing levé. Et l’on se quitte sans savoir que le germe de mai vient d’être planté.

« Aucun observateur n’avait prévu ce qui allait se passer »

Le mouvement du 22 mars se transforme en une plateforme construite par l’action et emmenée par ceux qu’on appelle les « enragés ». Pour la première fois, les groupuscules gauchistes réussissent à dépasser leurs divergences. « C’étaient des citoyens non encartés, raconte l’architecte Roland Castro. Les groupuscules n’ont ensuite fait que ramer derrière eux ». Fin de l’acte I, début du suivant : le 2 mai, après de nouvelles actions des « enragés », le doyen Grappin ferme la fac pour une durée illimitée. Les étudiants se déportent à la Sorbonne. Mai 68 peut débuter.

©AFP PHOTO / ARCHIVES – Juin 68, les étudiants chargent les CRS français près de l’Université de la Sorbonne.

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Cinquante ans plus tard, ce 22 mars 2018, les cheminots, les agents de la RATP français et les fonctionnaires sont dans la rue. « En 68, rappelle Prisca Bachelet, aucun observateur n’avait prévu ce qui allait se passer. Mais la vieille taupe creuse, disait Marx. Alors peut-être qu’aujourd’hui des jeunes gens élaborent des idées nouvelles. Imaginez un mouvement étudiant de la radicalité de 68 avec l’ampleur numérique actuelle ! » Il y a cinquante ans, sur les murs de Nanterre, on lisait : « Prenez vos désirs pour des réalités » ou « Soyez réalistes, demandez l’impossible ». Mais voilà déjà longtemps que les tags ont été effacés, que le RER a remplacé le train et que la gare de la Folie, du nom du lieu-dit où a été construite la fac, a été rebaptisée Nanterre-Université.

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