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Mélissa Laveaux, voodoo child en mal de folk

Mélissa Laveaux se produira au Botanique dans le cadre des Nuits. | © DR

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Présentée à Bruxelles aux Nuits Bota, Mélissa Laveaux incarne cette jeunesse musicale qui s’enracine partout, avec la terre de chez soi.

 

La voix de Mélissa Laveaux est pleine de mystères et de promesse, au moment de décrocher le combiné. De rires, d’abord. D’une pointe d’accent nord-américain ensuite – d’Ottawa plus précisément. Et finalement, l’indice ultime que celle-ci vaut bien plus qu’un coup de fil relativement timide. Car quelques heures plus tôt, on avait eu l’occasion de voir Mélissa Laveaux prendre le micro pour quelques morceaux et de longues interludes. Avec un timbre de velours, beau de sincérité, juré, craché.

La fille de la capitale canadienne, qui vit aujourd’hui à Paris, avait présenté son troisième album – en créole, cette fois – Radyo Siwèl, comme elle s’apprête à le faire ce 26 avril aux Nuits Bota. « Une ode à la résistance haïtienne durant l’occupation américaine de 1815 à 1834 », explique l’artiste à propos de sa relecture de chansons haïtiennes. C’est dans ce pays caribéen qu’elle va puiser ses racines et son identité – mais pas seulement. Le passage, après deux opus principalement en anglais, par les fragments musicaux du passé semble aujourd’hui évident : « C’est le moment de le faire. On vit une époque où encore beaucoup de pays connaissent une occupation militaire. C’est une histoire particulière et singulière, mais aussi finalement assez commune à pas mal de pays. Beaucoup de personnes peuvent y voir leur passé – ou leur futur, si les choses continuent comme elles le font ».

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Aux dernière nouvelles, Mélissa Laveaux n’a pourtant jamais joué en Haïti. Ce qui ne l’empêche pas de réunir à ses concerts des nostalgiques, des déracinés et des inspirés par la fierté. Pourtant, ce jour-là, elle constate que son public est majoritairement blanc. Elle lâche la constatation avec simplicité, sans méchanceté. Mais pour conscientiser, autant que s’étonner. La jeune femme est engagée, plus que ce que le paysage ne nous offre plus. Pour éviter un manque de diversité et finir d’exciter les privilèges, elle demande souvent que les prix de ses prestations ne soient pas trop élevés. Le début de son engagement musical est quant à lui né dans le féminisme, un doux hasard. « J’étais étudiante au Canada quand on m’a proposé d’être bénévole pour un festival de musique féministe, le Lady Fest. On m’a demandé de chanter, alors j’ai chanté. Puis on m’a dit : ‘Il faut que tu fasses une carrière, Mélissa !’ », raconte-t-elle de ses premiers pas sur scène.

Les multiples facettes d’une même précieuse

Depuis, celle qui est aussi musicienne, a tracé sa route. Loin du Canada et de sa famille notamment. Pour autant, les sirènes d’Haïti n’ont cessé de chanter à ses oreilles. Certaines histoires plus que d’autres, celle de l’occupation du pays étant longtemps passées entre ses filets. « Quand j’étais plus jeune, mes parents parlaient constamment de l’indépendance d’Haïti », commente Mélissa. « Il y a eu l’indépendance, avec la fin de l’esclavage, puis la dictature. Mais entre les deux, il semblait ne rien y avoir. J’étais curieuse, et je suis tombée sur le récit de l’occupation américaine. À ce moment-là, je me suis rendue compte qu’il y avait une partie de l’histoire que mes parents avaient oublié de me raconter. Ça m’a rendue un peu triste« .

Les immigrés se forgent une vie à partir de rien, ils créent une vie à partir du néant.

Alors, à défaut de réécrire l’histoire, Radyo Siwèl la retrace en la réinventant légèrement, du moins musicalement. L’occasion aussi de composer avec d’autres facettes de la sienne, d’histoire. Celle d’une jeune femme noire, immigrée, pas toujours acceptée. « Mes identités multiples forment ce que j’écris », décrypte l’artiste, alors que la conversation touche à sa fin. Elle cite Edwige Danticat, qui s’inspire elle-même de Patricia Engel : « All immigrants are artists » – « tous les immigrés sont des artistes ». « Ils se forgent une vie à partir de rien, ils créent une vie à partir du néant. Et c’est ça, être article. Je me vois comme une migrante parce que j’ai déménagé en France, qui n’est pas mon pays, et j’ai dû quitter ma famille pour des raisons multiples, dont mon coming out. J’ai vécu une grosse rupture avec eux, et se retrouver prend du temps. Ce sont des choses qui nourrissent beaucoup mon écriture, qui est teintée de ce que je vis ».

Et au moment de savoir laquelle de ces singularités personnelles elle incarne le plus, elle lâche : « Je ne vis pas une identité à la fois, je les vis toutes ensemble. Ma musique, c’est ça : toutes mes identités mélangées ensemble, tout le temps, en même temps ». Un beau melting-pot d’indignation, de lointain et d’art.

 

Mélissa Laveaux jouera au Botanique le 26 avril, en guise d’ouverture des Nuits Bota. Elle vient de sortir son troisième opus, Radyo Siwèl.

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