Saint-Sepulcre : Une restauration mystique qui s’est déroulée dans le plus grand secret

L’édicule, de 12 mètres de hauteur, qui abrite la sépulture. Les visiteurs restent admis, car les restaurateurs opèrent de nuit. | © Photos Gali Tibbon
La restauration minutieuse du tombeau du Christ s’est opérée il y a peu, malgré les querelles qui opposent les différents clergés sur place. Après des phénomènes que certains qualifieront de « mystiques », le Saint-Sepulcre a fait des révélations qui pourraient révolutionner les travaux des historiens. Paris Match a embarqué avec les restaurateurs dans cette plongée religieuse unique.
Tout s’est tramé en grand secret, dans le site le plus mythique de la chrétienté, sous le dôme du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Le 26 octobre 2016, à 19 heures, deux scientifiques procèdent à l’ouverture du tombeau du Christ, scellé depuis deux cents ans. Seuls quelques heureux élus sont présents : les représentants des diverses Eglises en charge de la basilique et quelques membres de leurs communautés respectives.
Giuseppe Maria, un jeune franciscain, extrait un rosaire de sa robe de bure et le pose sur la roche mise à nu, le temps d’une prière : « Dieu, prends soin de moi ». Il aurait aimé en placer d’autres pour les offrir à sa famille, « mais je n’ai pas osé », avoue-t-il en souriant. Arrivé ici quinze jours auparavant, cet « initié » peut s’estimer chanceux : habituées des lieux, les nonnes des couvents alentour n’ont pas été invitées, ni même informées de ce qui se produirait ce soir-là.
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Les instruments affolés
Dès le lendemain, des rumeurs de phénomènes surnaturels s’emparent de la vieille ville de Jérusalem. Un parfum divin se serait échappé du tombeau… Pour le patriarche grec Theophilos III, c’est celui du corps du Christ embaumé. Pour un des ingénieurs du chantier de restauration, ce sont simplement les effluves de kilos d’encens déposés depuis des siècles par les pèlerins. N’empêche, pour le frère David Grenier, de la custodie de Terre sainte, ce moment hors du commun « a dépassé le sentiment humain. Quand la dalle a été retirée, des instruments scientifiques se sont brisés ».

Phénomène confirmé par Antonia Moropoulou, qui dirige l’ensemble des scientifiques responsables de la restauration. Vice-recteur à l’université nationale technique d’Athènes et connue pour ses travaux à l’Acropole, cette ingénieur chimiste a dû le reconnaître : « Nos instruments ne marchaient plus, c’est un fait. Il a fallu les réinitialiser ».
Minutie minutée
Son équipe a eu droit à soixante heures, pas une de plus, pour desceller la sépulture, l’examiner, la renforcer puis la reboucher. Une opération délicate qui a permis, pour la toute première fois, de prélever des échantillons des différentes strates pour les étudier. Émue, la chercheuse livre ses conclusions : « La première dalle de marbre, accessible aux pèlerins, date des croisés, une époque bien antérieure à ce qui était supposé. En dessous, nous avons découvert le morceau d’une seconde dalle, qui remonte au IVe siècle ». L’époque où la toute première basilique avait été érigée, sur ordre de l’empereur Constantin.
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« Cela va révolutionner le travail des historiens », dit le père Alliata, également archéologue. « Mais nous aurions pu en savoir beaucoup plus en impliquant davantage l’archéologie dans le travail de recherche ». Antonia Moropoulou, elle, rappelle sa mission : restaurer le tombeau, pas chercher l’ADN du Christ ou trouver des réponses sur les circonstances de sa mort. Dans ce lieu saint plus qu’ailleurs, les tâches dévolues à chacun doivent être respectées au millimètre près…

Sous la rotonde de la basilique, la sépulture est surmontée d’un édicule de marbre rose. Jusqu’aux travaux de restauration, il était en piteux état : fragilisé par des séismes et, plus étonnant, par le passage quotidien de milliers de touristes. Leurs haleines, qui émettent en excès du gaz carbonique et de l’humidité, se sont ajoutées à la chaleur de leurs bougies, au fil des décennies, pour ronger les matériaux.
Deux familles musulmanes gardent la clé
Les précédents travaux effectués sur la rotonde de la basilique s’étaient étalés sur trois décennies. Ceux du tombeau et de l’édicule ont duré seulement huit mois. Une rapidité d’exécution impressionnante… et qui compte pour fétu de paille face à plus prodigieux encore : le fait que la rénovation ait pu avoir lieu. Un miracle, si l’on songe aux querelles qui ont longtemps paralysé toute décision au Saint-Sépulcre.

Celui-ci obéit en effet à une structure administrative complexe, conçue en 1852 sous le règne des Ottomans en Terre sainte. Sur décret du sultan, la gestion de la basilique revient alors à trois Eglises : catholique romaine, grecque orthodoxe et arménienne apostolique. Ce statu quo est censé mettre un terme aux rivalités qui les opposent alors. Les responsabilités sont minutieusement réparties, des horaires de rituel aux emplacements réservés à chaque obédience ainsi qu’aux tours de ménage.
Et pour mettre tout le monde d’accord, la clé de la basilique est confiée à deux familles musulmanes. La première la garde la nuit tandis que la seconde est chargée de la glisser dans la serrure chaque matin à quatre heures.
Querelles de bénitier
Malgré cet arrangement, le quotidien se révèle un casse-tête propice aux conflits. D’autant que le site relève toujours du Waqf, la loi musulmane concernant les biens religieux : un droit peut se perdre si l’on n’en fait pas usage. Il suffit que le voisin empiète sur un lieu ou sur un horaire pour se l’approprier de fait. Alors, chacun veille jalousement sur ses prérogatives.
Les dissensions tournent même, parfois, à l’empoignade physique. Le frère Samuel Aghoyan, représentant du patriarcat arménien, en a fait l’expérience. En cause : un désaccord avec un patriarche grec orthodoxe à la fin d’une cérémonie. Après la prière, chacun a estimé qu’il lui revenait de sortir en premier du tombeau. Les deux hommes ont commencé par quelques coups d’épaule, tentant l’un et l’autre d’éteindre les bougies de la partie adverse ; ils ont fini par se battre pour de bon. « Le Grec a même perdu une chaussure dans la bataille ! » s’esclaffe aujourd’hui l’Arménien, avant de reconnaître : « Le respect du statu quo peut paraître ridicule mais, pour nous, il est fondamental ».

Dans ce contexte, difficile de s’entendre sur une décision aussi délicate que celle de la rénovation du Saint-Sépulcre. Depuis le séisme de 1927, celle-ci était pourtant plus que nécessaire. Ce n’est pas une opération du Saint-Esprit, mais celle des policiers israéliens qui aura débloqué la situation. En février 2015, ceux-ci font irruption dans la basilique et bloquent l’accès au tombeau, dont la structure instable est devenue trop dangereuse.
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« Sans les Israéliens, estime Samuel Aghoyan, nous aurions traîné encore deux cents ans… » Une étude sur l’état de l’édifice est commandée à l’université d’Athènes. Les travaux sont approuvés, sous réserve que l’accès au lieu reste garanti aux visiteurs.
Ingénieurs, conservateurs, architectes… en tout, ce sont une soixantaine de personnes, venues de Grèce, qui accompliront avec succès ce qui semblait impossible.
Le Vatican vigilant
Au Saint-Siège, ce dossier œcuménique, donc dans l’esprit de François, a été suivi par la secrétairerie d’Etat, le Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et la Congrégation pour les Eglises orientales. Le Vatican a contribué à la restauration sous le signe de « l’unité », en faisant une donation « conséquente », selon ses termes. La basilique du Saint-Sépulcre est le premier site en territoire palestinien inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le franciscain Fra Pierbattista Pizzaballa, à la tête de la custodie de Terre sainte, responsable depuis huit siècles des intérêts locaux de l’Eglise de Rome, et Giuseppe Lazzarotto, délégué apostolique à Jérusalem-Est et en Palestine, se sont rendus à cette manifestation historique. Tout ce qui touche cette partie du monde est observé par l’Etat pontifical avec attention. « L’Osservatore Romano », le quotidien du Saint-Siège, avait déjà commenté l’initiative quelques jours auparavant.
Une façon diplomatique de saluer une opération délicate dans une région où les négociations entre le Saint-Siège et Israël concernant la fiscalité, les taxes et les terrains de l’Eglise continuent de poser question.
Caroline Pigozzi