La liberté de la presse en péril au Congo-Brazzaville

Une pancarte de supporters de Guy Brice Parfait Kolelas lors d'un rally politique en mars 2016 | © AFP PHOTO / MARCO LONGARI
Le matin du 10 janvier, le journaliste Guy Milex Mbondzi apprend l’arrestation d’André Okombi Salissa, l’un des candidats à la présidentielle de mars 2016 et opposant de Denis Sassou-Nguesso, l’actuel président. Ses sources lui confirment que l’homme politique a été arrêté à Bas-Congo, dans le Nord de Brazzaville, où il se cachait depuis six mois. Mbondzi se précipite dans un cyber café pour partager l’information sur son compte Facebook. « J’écris qu’André Okombi Salissa n’est ni à Libreville, ni aux Etats-Unis, mais dans les locaux de la DGST [NDLR : Direction générale de la surveillance du territoire], où il subit un interrogatoire musclé« , raconte-t-il.
Guet-apens
Le journaliste en est conscient, « il est certain que les autorités n’apprécient pas qu’on fasse des commentaires sur ce qu’il se passe dans les locaux de la DGST, surtout lorsque ça provient de brebis galeuses comme moi« . De retour chez lui, il reçoit la visite d’une jeune homme et d’une femme. Ils n’ont pas l’air d’agents de sécurité, mais pour Mbondzi, « il y a quelque chose qui cloche« . La femme prétexte avoir besoin d’acheter du crédit pour son téléphone et ressort de la maison. « C’est une méthode courante pour vérifier que la personne que l’on veut arrêter est bien chez elle sans alerter les voisins« , explique-t-il, avant de poursuivre : « Je sors avec le jeune (…) Je vois la femme dans une ruelle plus loin et je comprends qu’elle est une indic’ et qu’elle ne va pas revenir. Je dis au jeune d’aller la retrouver et je rentre chez moi. Il ne se doute de rien. Je traverse la maison et pars de l’autre coté« .
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Guy Milex s’éclipse discrètement et envoie alors un habitant de son quartier surveiller sa maison. Un 4×4 de la police stationne devant et une voiture attend à l’opposé de la bâtisse. Cette fois, c’est certain pour l’homme, c’est un guet-apens. Le journaliste ne rentrera pas chez lui. « J’apprends plus tard qu’ils ont fouillé la maison, les matelas, déchiré les plafonds. Ils ont fouillé chez les voisins, ils ont tout mis sens dessus dessous. Puis ils sont revenus pour prendre les ordinateurs et le matériel avec lequel je travaille.
L’épisode fait écho aux pratiques régulièrement dénoncées par l’Observatoire congolais des Droits de l’Homme (OCDH), notamment de « coups et blessures volontaires » prodigués par les forces de l’ordre congolaises et aux interpellations d’autres personnalités, dont on n’entend guère parler depuis. Dans le cas de l’ex-candidat André Okombi Salissa, la police le soupçonne de comploter un coup d’état et d’avoir participé à l’organisation de l’attque du 4 avril dernier à Brazzaville. « Il avait disparu le lendemain de l’attaque. Il n’est pas seul, dans le dossier, il y a aussi Parfait Kolélas« , ajoute Mbonzi. Guy Brice Parfait Kolélas faisait partie avec quatre autres candidats d’un pacte électoral anti-Sassou, durant les élections de 2016.
« Si tu lèves un doigt, tu peux être assassiné »
Si Mbonzi fréquentait l’ancien ministre Okombi Salissa, qui est passé dans l’opposition au moment du référendum de 2015 – il s’agissait de modifier la constitution pour autoriser la possibilité d’un troisième mandat du président Sassou-Nguesso -, il estime avoir toujours fait attention à ce qu’il écrivait. « Il faut toujours jauger les rapports de force ici. On ne peut pas écrire de la même façon à Brazzaville qu’à Paris ! Je ne veux pas finir en martyr ! » D’autant que mercredi 11 janvier, un autre journaliste du Congo-Brazzaville, Ghys Fortuné Bemba, n’a pas eu la même chance que lui. « Il se savait recherché et tentait de fuir. Quelqu’un l’avait mis au courant », relate-t-il. Un témoin d’une conversation entre le chef de la police et le secrétaire général du conseil de sécurité avait prévenu la rédaction du journal Talassa que son directeur allait être arrêté. Nul doute que sa retranscription des vœux du pasteur Ntumi, un opposant de longue date du gouvernement qui a notamment commandé la milice « les Ninjas », a dû sérieusement agacer.
Suffit-il désormais d’écrire une ligne de travers pour être mis en prison ? « Le Congo est presque devenu une prison« , répond Guy Milex Mbonzi, « Si tu lèves un doigt, tu peux être assassiné. Ou on te place à la maison d’arrêt, la procédure est si longue que tu peux y rester quatre ou cinq mois et plus ».
Article originellement publié sur parismatch-france par