À la haine blanche de Charlottesville, un poète américain oppose la « joie noire » de Beyoncé et Kendrick Lamar

Image d'illustration | © HBO/Treme
Le jeune poète américain Cameron Barnett décrit la parade anti-fasciste de ses rêves, suite au drame de Charlottesville.
Journaliste indépendant, Jason Kessler est aussi écrivain et poète. Un Américain lettré, imaginatif, sensible même, aurait-on tendance à penser. Sauf que « la nuit », Jason Kessler est le président et fondateur du groupuscule Unité et Sécurité pour l’Amérique, l’organisation à la base du rassemblement d’extrême-droite qui a conduit aux évènements dramatiques de Charlottesville, le samedi 12 août dernier. S’il se décrit comme un nationaliste « modéré », c’est bien l’homme et son groupe qui ont manifesté pour qu’une statue du général sudiste ne disparaisse pas de la ville, et le même qui a choisi d’inviter à la marche un membre éminent du Ku Klux Klan, entre autres. Les affrontements entre les militants de droite et les contre-manifestants ont débouché sur la mort d’Heather Heyer, une assistante juridique de 32 ans tuée dans l’attentat d’un néonazi de 20 ans.
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À quelques heures au nord de Charlottesville, un autre poète vient de passer un week-end « très stressant ». Il s’appelle Cameron Barnett, est Afro-américain et vit de plein fouet la violence raciste qui s’est déchainée en Virginie. « Mais je fais face en essayant de rester positif et de m’amuser », explique celui qui est aussi un professeur dévoué. Une attitude que Cameron a voulu partager avec son entourage dans un post Facebook brillant – dans tous les sens du terme -, avec pour alliés les artistes noirs américains de sa génération. « Je ne suis pas organiteur de manifestations. Mais si je l’étais et que des nationalistes blancs s’apprêtaient à marcher à travers ma ville », commence-t-il, en référence à une nouvelle manifestation qui devrait avoir lieu ce samedi à Pittsburgh, « ma stratégie serait de mettre en place un truc tellement plus cool en parallèle, et de leur voler la vedette ». Le plan génial du poète ? « Je débaucherais une parade pour suivre la marche et on ferait une sacrée fête, avec un supplément de noirs dedans. On jouerait ‘Formation’ [un titre explicitement ‘black power’ de Beyoncé] en dansant tout du long ».
« J’aimerais une demi-heure de disco sur ‘Ain’t No Stopping Us Now‘. À chaque fois que les nationalistes blancs entameraient un chant, notre groupe chanterait ‘Alright‘ de Kendrick [Lamar]. On ferait peut-être une compétition de twerk sur ‘Bodak Yellow‘ pour les rendre dingue ». Au terme de ce brainstorming loufoque et relativement jouissif, Cameron Barnett avoue que « L’idée, c’est que l’antidote à la haine blanche est la joie noire. Et puis, les soirées dansantes sont fun. Et quelque chose me dit que une bande d’hommes blancs aigris n’arriveraient pas à nous battre sur ce point, de toute façon ».
La petite communauté du jeune poète américain a aussitôt applaudi le programme d’une salve de commentaires. « Cameron, j’ai reposté une capture d’écran de ton idée – au vu des réponses, je ne suis pas sûr qu’on puisse avoir plus de huit ou neuf millions de personnes pour une première », a répondu l’un de ses followers avec humour.
Si l’objectif du message du jeune professeur était justement d’apporter un brin de légèreté autour des évènements, il n’en reste pas moins que ses poèmes trouvent bien souvent leur inspiration dans le racisme ambiant des États-Unis. Auteur d’un livre baptisé The Drowning Boy’s Guide to Water – Le guide de l’eau du garçon noyé, en français -, il explique que son travail est sa « manière d’essayer de comprendre la portée et les limites du fait d’être noir, à travers une histoire personnelle et familiale, ainsi que celle de notre nation ».
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L’un de ses poèmes s’intitule ainsi « Ode au Drapeau confédéré », écrit initialement après la fusillade de l’égise de Charleston, en juin 2015, par un autre jeune néonazi. « Dans ce poème, je montre à quel point ce drapeau [des Confédérés] et tout ce qu’il représente ont toujours été une menace permanente pour ma famille et ma propre vie, et comment ces symboles en tant qu’héritage ne sont pas une excuse pour justifier l’oppression qui s’impose à des citoyens, les Afro-américains ». Si son livre ne sortira qu’en novembre prochain, il a déjà été récompensé par le premier prix de l’édition 2017 du « Rising Writer Contest », jugée par Ada Limón, poétesse américaine reconnue.
Retrouvez également le reportage de notre envoyé spécial à Charlottesville dans le nouveau numéro de Paris Match.