C’était le (bon) temps quand les Belges se sentaient à la maison

Les grèves se succèdent, mais les travailleurs, fidèles à l’enseigne depuis des dizaines d’années, se rendent compte qu’ils ne pèsent pas lourd dans la bataille économique. | © Jan De Meuleneir / Photonews
Le passage en franchise des 128 magasins Delhaize fait basculer 9 200 employés et ouvriers dans l’incertitude. La faute à qui ?
Par Martin Buxant
Je voudrais vous parler d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître. C’était le temps du Crédit communal et de la Générale de Banque, de Belgacom voire de la RTT, le temps où les Wilfried Martens et autres Jean-Luc Dehaene nous régalaient de leurs « geen commentaar », le temps – 1986 – où les petits Belges brillaient au Mondial de Mexico. On aimait ça, on était bien, et en rentrant nous allions faire nos courses chez Delhaize. Delhaize, au même titre qu’un Dehaene, qu’une Générale de Banque ou qu’un Jean-Marie Pfaff, c’est l’inconscient collectif de tous les Belges.
Chez Delhaize, le Belge se sentait à la maison. Comme un poisson dans l’eau. La décision annoncée par le groupe de franchiser ses 128 magasins en Belgique est lourde à digérer. On pourrait le prendre côté client et se dire : « Ma foi, cela ne va rien changer à mes habitudes. » La concurrence acharnée que vont se livrer les franchisés Delhaize entre eux va pousser, entre autres, à davantage de flexibilité au niveau des horaires, et on aura tôt fait, à la mode américaine, d’avoir des Delhaize ouvert 24 h/24, au cas où il vous faudrait des artichauts ou du cabillaud en pleine nuit.
Mais ce serait quand même bassement égoïste de se cantonner à cette portion-là de l’affaire, quand on sait que le passage en franchise des 128 magasins va faire basculer plus de 9 000 employés et ouvriers dans l’incertitude, et renvoie la charge de l’employeur (et tout ce qui y est afférent au niveau social et fiscal) sur les épaules d’une multitude de petits patrons indépendants qui vont devoir, désormais, lutter avec leurs faibles moyens pour conserver la tête hors de l’eau. Et puis, les salariés, eux, vont changer de commission paritaire.
Ajoutez à cela que la grande distribution est secouée dans son ensemble par l’arrivée de l’intelligence artificielle qui, dans les domaines liés aux supermarchés, est en train de tout révolutionner
Forcément, cela va se faire au détriment du personnel et le modèle Delhaize, qui passait aussi par un service de qualité – quoi qu’en pensent certains –, va en prendre un coup. Ajoutez à cela que la grande distribution est secouée dans son ensemble par l’arrivée de l’intelligence artificielle qui, dans les domaines liés aux supermarchés, est en train de tout révolutionner, et forcément dans le sens d’utiliser moins de personnel, vous aurez compris que l’avenir n’est pas très rose pour les 9 200 delhaiziens. Et les autres.
Ce serait un peu court de crier aux « méchants patrons ». On n’est pas au PTB ici, on connaît le système dans lequel on évolue, et on essaie de voir les choses avec un peu de nuance. La vérité est qu’il y a trop de supermarchés en Belgique aujourd’hui, que les « hard discount » type Aldi et Lidl sapent jour après jour le modèle Delhaize, et que basculer vers un modèle de franchisés, même si c’est dur pour le personnel au niveau des conditions de travail, permet aussi d’éviter la faillite et une procédure de licenciement collectif.
Mais la vérité, c’est de dire encore, qu’à l’instar de tous nos fleurons industriels belges, Delhaize est passé entre des mains étrangères il y a quelques années, celles du groupe néerlandais Ahold, et qu’on n’a forcément pas le même sentimentalisme quand on regarde les choses depuis Zaandam, aux Pays-Bas. On voit des chiffres et on voit que les supermarchés belges sont en perte de vitesse. Et on ne voit pas ce qu’il y a derrière.
Ayons donc une pensée pour M. Pluma. Il a régné sur le rayon vin et limonades du Delhaize d’Ottignies dans les années 80-90. Je ne sais pas s’il nous lit mais, à lui et aux 9 200 autres delhaiziens et ex-delhaiziens, les caissiers, les caissières, je leur dis : merci pour le service, merci pour le sourire.