Roi Albert II : L’opération en question(s)

Le Roi Albert II souffre d'une sténose aortique. | © BELGA PHOTO LAURIE DIEFFEMBACQ
Le 19 avril, le Palais annonce que le roi Albert, 83 ans, souffre de sténose de la valve aortique. Il annonce dans la foulée que ce mal « nécessite une mise au point en vue d’une thérapeutique adaptée à son cas ». Le lendemain son chirurgien, Hugo Vanermen, confirme à l’agence Belga que l’opération doit avoir lieu « dans une dizaine de jours », aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Woluwe-Saint-Lambert, qualifiant l’intervention de « peu risquée et peu invasive ».
Le professeur Jean-Olivier Defraigne est chef du service de chirurgie cardiothoracique et vasculaire au CHU Liège où il a succédé à Raymond Limet. Il a accepté de nous éclairer sur la pathologie dont souffre l’ancien souverain et sur les risques liés aux types d’intervention qui se pratiquent.
Dans quel(s) contexte(s) survient le rétrécissement de la valve aortique ?
Professeur J.-O. Defraigne. Le rétrécissement de la valve aortique, ou sténose aortique est un processus lié à l’âge. Avec celui-ci, la valve se calcifie, se rigidifie, se rétrécit, ce qui entraîne une surcharge de travail pour le cœur.
Les interventions ne sont pas systématiques pour cette pathologie. Dans quels cas le sont-elles ?
La surface normale d’ouverture de la valve doit être de 3 centimètres au minimum. Quand la surface d’ouverture se situe en-dessous d’1cm2, on commence à considérer la nécessité d’une intervention. Il faut alors envisager de remplacer la valve par une nouvelle valve qui permettra de soulager le travail cardiaque en restaurant une surface d’ouverture normale.
La valve aortique ne doit naturellement pas être confondue avec la valve ou valvule mitrale.
La valvule mitrale, située entre l’oreillette et le ventricule gauches, est moins concernée par ce type de rétrécissement. Les problèmes liés à la valvule mitrale sont plutôt dans nos régions la manifestation d’une insuffisance. C’est un autre processus.
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On sait que la reine Élisabeth, le roi Léopold III et le roi Baudouin ont succombé à des faiblesses cardiaques. Peut-on d’emblée exclure une cause génétique au rétrécissement de la valve aortique dont souffre le roi Albert II ?
En soi ce n’est pas héréditaire en principe. Ceci n’exclut pas la possibilité qu’on identifie peut-être un jour certaines prédispositions génétiques. Il n’y a en tout cas pas un gène bien déterminé qui entraîne cette calcification.
Le souverain est suivi régulièrement, ce problème dont il souffre doit être connu depuis quelques années, on arrive à un stade où le rétrécissement impose un geste invasif.
Il y a en revanche des anomalies génétiques de la valvule aortique qui au lieu de se composer de trois feuillets, n’en compte que deux. C’est la bicuspidie aortique, une variation congénitale de la valve aortique qui concerne approximativement 1% de la population. Dans ce cas, la valve se calcifie plus précocement. En général, ces manifestations de calcification de la valve surviennent après la soixantaine, parfois plus tôt si la valve est bicuspide.

Le roi Albert II avait déjà subi un pontage coronarien (en 2000, à la clinique Notre-Dame d’Alost). Il n’y a donc pas de lien entre ce pontage et la calcification de la valve ? En d’autres termes, le fait qu’il a dû subir ce pontage n’était pas annonciateur d’un risque accru par la suite de voir survenir une calcification de la valve aortique ?
Non. C’est ici lié à l’âge, 83 ans. Lors du quadruple pontage coronarien qu’il avait subi il y a 18 ans, on n’avait pas mis en évidence de problème de valve. Les deux n’ont pas de lien. Le souverain est suivi régulièrement, ce problème dont il souffre doit être connu depuis quelques années, on arrive à un stade où le rétrécissement impose un geste invasif.
Quel est le pourcentage de personnes de plus de 80 ans qui sont touchées par ce problème de valve aortique?
On peut considérer qu’un degré d’atteinte de la valve aortique est présent chez 2 à 7% des sujets de plus de 65 ans et chez 10 à 15% au-delà de 80 ans. Il faut moins d’1 cm2, on l’a dit, pour considérer l’intervention, entre les deux il existe toute une gradation. Il n’est pas automatique qu’il faille poser un geste opérateur quand la sténose est diagnostiquée.
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Entre les deux, précisément, quelles sont les options thérapeutiques dont on dispose?
Pour les patients dont la condition ne nécessite pas un geste chirurgical invasif, on met en route un traitement médical qui améliore la performance cardiaque. Mais on suit toujours de très près l’évolution de la valve. Le rétrécissement peut rester stable, chez certains l’évolution peut être plus ou moins rapide.
Il faut savoir qu’entre 80 et 85 ans, le risque de mortalité est de 10%.
On suit ces patients par échographie pour voir si la surface d’ouverture de la valve évolue, pour détecter l’évolutivité du rétrécissement, surtout si des signes cliniques apparaissent.
Le mode de vie – sédentarité, alimentation industrielle etc – peut-il jouer un rôle dans le développement de la sténose aortique ?
Non, il n’a pas d’influence. Ce mode de vie ne représente pas le même facteur de risques que pour les problèmes coronaires. Par contre, on sait que chez certains types de patients qui connaissent des problèmes rénaux ou qui sont diabétiques la calcification peut être plus rapide.
Constate-t-on un accroissement de patients souffrant de sténose aortique ?
Oui mais c’est par la force des choses, lié à deux phénomènes : d’une part un dépistage plus aisé par l’échographie, et d’autre part l’allongement de la durée de vie.
Quels risques présente une telle intervention à plus de 80 ans ?
On opère régulièrement par chirurgie classique des patients de 85 ans mais il faut savoir qu’entre 80 et 85 ans, le risque de mortalité est de 10% et il est d’autant plus important ici qu’il s’agit d’une ré-intervention puisque le souverain avait subi ce pontage coronaire.

Quelles formes prend la chirurgie de la valve aortique ?
Face à la chirurgie classique par voie ouverte, qui nécessite une anesthésie générale et la mise en place d’une circulation en extracorporelle pour suppléer le cœur pendant qu’on remplace la valve, il existe une alternative qui consiste à implanter une valve par voie percutanée via l’artère fémorale ou d’autres artères selon les circonstances. On déploie ensuite la valve prothétique au sein de la valve rétrécie.
D’une façon générale on opte pour l’intervention classique si on peut la faire avec un risque minimal. Si le patient a des comorbidités (autres problèmes de santé importants) ou lorsqu’il existe des contre-indications chirurgicales techniques relatives (quand on est, comme dans le cas du roi, dans une réintervention), alors on propose la pose de cette valve percutanée. Celle-ci est de nature biologique et, sauf circonstances associées, ne nécessite pas la prise d’anticoagulants.
Le risque accru dans le cas d’une réintervention existe-t-il quel que soit l’âge du patient ?
Oui, le risque existe. On le courra peut-être chez un patient de 65 ans mais on ne le courra pas chez une personne de 83 ans. S’il y a eu un pontage avant par exemple, cela complique l’intervention. Le pontage est dans le chemin, il y a des adhérences il ne faut pas l’abîmer.
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Le risque de mortalité dans la pose d’une valve percutanée est-il nettement plus faible que dans une chirurgie à cœur ouvert ?
Oui, il est de 2 à 3% au lieu des 10% dans le cadre d’une chirurgie classique (pour une personne de cet âge). Mais la différence c’est que le résultat technique de la mise en place percutanée est parfois moins satisfaisant, que le résultat d’une opération classique. L’intervention classique permet de remplacer une valve en enlevant l’ancienne valve. Il n’y a pas de fuite autour en principe. Dans la forme percutanée, qui sera vraisemblablement le cas du roi, on place une nouvelle valve à l’intérieur de l’ancienne. On écrase les calcifications, le résultat hémodynamique n’est pas toujours parfait et donne lieu parfois à de petites fuites autour de la prothèse. Mais si c’est tolérable pour une personne plus âgée, ça l’est moins pour quelqu’un de plus jeune.
À 83 ans, quand le problème de calcification de la valve a été traité, le risque est grand que le patient décède d’autre chose avant que la valve ne présente une usure.
En termes de résistance et de performance physiques ?
Notamment.
En termes aussi de longévité de la prothèse ? La valve percutanée résiste-t-elle moins longtemps que la valve posée en mode chirurgical traditionnel ?
On n’a pas le même recul pour en juger. Ce type d’intervention est relativement récent (moins de dix ans), on n’a pas le recul qu’on a avec la pose de valve en chirurgie classique (certains patients portent une valve artificielle depuis plus de vingt ans). Mais soyons clairs, à 83 ans, quand le problème de calcification de la valve a été traité, le risque est grand que le patient décède d’autre chose avant que la valve ne présente une usure. Le risque de cancer et d’autres pathologies s’accroît naturellement avec l’âge. Donc, même si la prothèse ne dure pas quinze ou vingt ans, la pose d’une valve percutanée reste la meilleure des options chez les patients âgés avec des comorbidités ou quand les risques techniques de la chirurgie classique sont trop importants.

Depuis quand a-t-on recours à la valve percutanée ?
Ce type d’intervention s’est généralisé depuis une dizaine d’années.
A-t-on depuis déjà constaté des déficiences après la pose ?
Oui, on a dû en enlever certaines déjà mais comme on a réservé l’implantation de ces valves à des patients chez qui il y avait des contre-indications de chirurgie classique ou qui présentaient des comorbidités, et dans ce dernier cas une espérance de vie moindre, la fréquence de ce problème est faible.
En fait la chirurgie classique, à cœur ouvert, et la pose d’une valve en mode percutané sont deux techniques complémentaires. La deuxième permet de soigner un plus grand nombre de patients souffrant d’une défaillance de la valve aortique. Peut-être que plus tard, avec l’évolution des techniques, on changera son fusil d’épaule.
Quelles évolutions techniques peut-on attendre en termes de valves aortiques ?
Si le matériel évolue, on peut imaginer de nouvelles valves percutanées encore plus performantes qui permettront des évolutions dans les interventions percutanées.
Note-t-on déjà une réduction des interventions classiques ?
Vu l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de cas à opérer augmente. Se pose après le problème de financement des coûts. C’est encore très cher. On est pour l’instant dans un quota d’implantation par centre de chirurgie cardiaque. Un quota d’interventions remboursées, sinon l’intervention coûterait 25 000 euros, ce qui n’est évidemment pas accessible à tous.
Acceptez-vous néanmoins au CHU de Liège les demandes d’interventions qui dépassent le quota, les interventions à titre privé ?
On ne rentre pas dans ce genre de choses, nous ne voulons pas d’une médecine à deux vitesses qui serait évidemment un des risques potentiels de ce type de démarche. Nous préférons gérer au mieux les indications.
Peut-on espérer que le prix des valves se démocratise avec le temps ?
Il est en négociation chaque année entre fabricants de valves et l’Inami. Si l’investissement entre recherche et développement s’amortit, on peut imaginer en effet que cela évolue mais les fabricants évoquent constamment des innovations pour justifier leurs tarifs.

Après combien de temps le patient qui souffre d’une calcification importante de la valve aortique et qui ne subit pas d’intervention est-il susceptible de succomber à son mal ?
Tout dépend des symptômes. Le rétrécissement aortique reste asymptomatique relativement longtemps car le cœur compense, ensuite quand les symptômes apparaissent, ils peuvent prendre la forme d’une angine de poitrine, ou d’une décompensation du ventricule. A ce moment, globalement, sans intervention, le risque de décès est assez rapide, il peut se produire endéans les deux ans voire dans l’année. Mais il n’y a pas que le risque de décès qui justifie une intervention. Il y a aussi la qualité de vie. Quand vous interrogez les patients qui n’ont pas été opérés et disent qu’ils ne présentent plus de symptômes, c’est souvent parce qu’ils se déplacent moins, ils diminuent leurs activités et donc diminuent les symptômes visibles, ce qui peut évidemment fausser les impressions.
Dans quels cas doit-on recourir à un pacemaker?
La pose d’un pacemaker intervient quand une calcification peut toucher le tissu au niveau du cœur et provoquer des troubles de la conduction de l’influx cardiaque. Ou quand un œdème se forme en réaction à la mise en place d’une valve. Le pacemaker est plus souvent présent après le placement d’une valve percutanée qu’après la chirurgie classique. Mais c’est une intervention qui se fait sous anesthésie locale, elle n’est pas lourde.
La sténose de la valve aortique serait la deuxième cause des opérations cardiaques en Belgique, après le pontage des artères. Les maladies cardiaques au sens large sont-elles plus ou moins fréquentes qu’avant ?
Depuis vingt ans, la prévalence des affections cardiaques augmente. Comme le diabète est devenu la maladie du siècle, les complications cardiaques liées se sont accrues, avec le paramètre aussi de l’augmentation de l’espérance de vie déjà évoquée. Il y a également des risques pathologiques qui sont le résultat de complications liées à certains traitements mis en route comme la chimio ou la radiothérapie, et comme l’incidence du cancer augmente aussi logiquement avec le vieillissement de la population, tout cela contribue à la prévalence des affections cardiaques.
Ce donc en dépit des progrès accomplis dans les techniques curatives ou préventives ?
La valve percutanée est un des gros développements récents pour la calcification de la valve aortique. De nouvelles techniques apparaissent pour traiter les pathologies mitrales.
Ces pathologies mitrales se traitent-elles toujours à cœur ouvert ?
Oui. Les techniques moins invasives ont moins d’impact pour le moment dans ce domaine, elles sont vraiment réservées aux contre-indications à la chirurgie. Mais elles sont amenées à se développer.
On a longtemps affirmé que les hommes étaient plus fréquemment touchés par les maladies cardiaques que les femmes. A tort dit-on souvent aujourd’hui.
Pour la dégénérescence calcifiée, on constate une même incidence chez l’homme et la femme mais quant aux maladies coronaires, on a eu raison de dire que les hommes étaient les plus concernés. Ceci dit, l’incidence de la maladie a augmenté chez la femme, d’une part parce qu’il y a plus de femmes de 80 ans que d’hommes du même âge, d’autre part parce que leur mode de vie a changé – elles fument aujourd’hui plus que les hommes par exemple.
N’a-t-on pas souvent tendance à être dans les extrêmes quand on évoque les opérations cardiaques, soit la dramatisation, soit une banalisation prématurée ?
Il ne faut pas dramatiser car l’expertise technique pour ces interventions s’est fortement accrue depuis les débuts de la chirurgie il y a soixante ou septante ans. L’expertise des chirurgiens, des anesthésistes et des cardiologues s’est accrue, les techniques ont évolué, donc les risques ont diminué. Mais d’un autre côté, comme cela a été mentionné, on est confronté à des patients qui sont plus âgés et qui présentent souvent des comorbidités, donc à des cas de plus en plus lourds.
Que dire des risques liés à l’anesthésie seule ?
Les cas de patients qui décèdent en salle d’opération sont rarissimes. Les techniques de surveillance ont beaucoup évolué, ça a permis d’affiner l’anesthésie. C’est après que peuvent survenir des complications pulmonaires, rénales ou des défaillances cardiaques. C’est une bataille. L’intervention est une première étape, viennent ensuite les soins intensifs, ensuite les soins normaux. Mais si le patient sort après une opération qui est techniquement réussie – si on a remplacé la valve sans complications, qu’il n’y a pas d’hémorragie et que le cœur refonctionne -, l’étape initiale est franchie
On parle de quelques mois pour une autonomie totale après une intervention du cœur. Y a-t-il des impératifs précis en termes de mode de vie après la pose d’une valve percutanée, comme ce sera vraisemblablement le cas pour le roi ?
Non, une fois que fait la revalidation est faite, il n’y en a pas. Le patient ne pourra évidemment pas se lancer dans des sports intensifs mais pour le reste, il peut mener une vie normale.