L’histoire derrière l’enquête de Chloe Melas, la reporter qui accuse Morgan Freeman

Morgan Freeman en 2008. | © EPA/SHAWN THEW
La journaliste Chloe Melas a dû subir les insinuations douteuses de Morgan Freeman, avant de comprendre qu’elle partageait son histoire avec d’autres femmes.
Update : Cet article a été mis à jour suite à une mauvaise traduction du commentaire incriminant Morgan Freeman.
Rares sont les journalistes qui font partie intégrante des histoires qu’ils racontent. C’est pourtant le cas de Chloe Melas, la reporter de CNN qui a révélé au grand public les accusations de plusieurs femmes contre l’acteur américain Morgan Freeman. Une enquête qui l’a bouleversée personnellement et dont l’homme craint « l’idée que 80 années de vie risquent d’être détruites, en un battement de cils », écrivait-il récemment dans un communiqué.
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Tout a commencé six mois plus tôt. À l’époque, Chloe Melas assiste à un évènement de promotion du film Going in Style, à l’affiche duquel figurent Michael Caine, Alan Arkins et Morgan Freeman. C’est alors le quotidien de la journaliste, habituée des sujets culturels, des junkets avec les stars et des avant-premières. Sauf que ce jour-là, la jeune femme apparait visiblement enceinte et sent rapidement le regard de Morgan Freeman sur elle. « Seigneur, j’aurais voulu être là », lâche l’acteur de près de 81 ans, suite à une anecdote de Michael Caine, en fixant la future mère. Un commentaire qui l’a mise particulièrement mal à l’aise.
La ligne blanche
« J’ai interviewé à peu près tous les grands noms qu’on peut croiser sur les tapis rouges, dans les junkets, les tables rondes, les rencontres formelles et informelles, les after-parties. Personne n’avait jamais si ouvertement franchi la ligne blanche. Personne jusqu’à Morgan Freeman. Voilà pourquoi il sortait du lot pour moi », explique-t-elle au New York Times, qui a retracé son enquête. La dernière remarque glaçante de l’acteur a « l’avantage » d’être enregistrée dans une vidéo, et, de retour à la rédaction, Chloe Melas en avertit sa direction. Elle-même rapporte l’incident à Warner Bros, le studio de cinéma derrière Going in Style.
Mais quelques temps plus tard, la reporter est avertie que Warner Bros ne peut corroborer ses dires : le commentaire est le seul dont on dispose une preuve, et l’équipe du film assure ne rien avoir vu ni entendu. Puis vient l’heure du congé de maternité de la journaliste, et Chloe Melas quitte momentanément la rédaction de CNN pour se concentrer, à 31 ans, sur la naissance à venir.
J’ai commencé à creuser. J’ai appelé des gens qui avaient travaillé dans ses derniers films.
Sauf que l’épisode la poursuit : la journaliste ne peut oublier le regard et les insinuations de Morgan Freeman, un acteur de la scène hollywoodienne pourtant reconnu par ses pairs. Jusqu’à ce qu’au détour d’une conversation, Chloe Melas ne découvre que ce n’est pas exactement le cas de tous ses pairs. « J’ai commencé à creuser. J’ai appelé des gens qui avaient travaillé dans ses derniers films. Et j’ai finalement contacté une femme qui m’a raconté son histoire, celle d’un comportement inappriorié [de la part de Morgan Freeman], mais à la fin du coup de fil, elle m’a fait savoir qu’elle ne voulait pas qu’elle soit publiée ».
Des preuves, mais un seul témoignage
C’est le cas de plusieurs autres femmes, sept au total, qui accusent l’acteur de harcèlement sexuel, notamment au sein de sa maison de production, Revelations Entertainment. Aucune ne souhaite pourtant que son identité ne soit révélée, relate le New York Times. « Évidemment, nous connaissons ces personnes et leur nom. Nous savons où elles ont travaillé. Nous savons combien de temps elles y ont travaillé », décrypte la journaliste. Chloe Melas est en possession de tout un tas de preuve, mais d’aucun témoignage à publier – sauf le sien.
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Ce qu’elle fera, avec l’accord de sa direction et, plus tard, l’approbation de l’organe d’éthique journalistique du Poynter Institute. Chloe Melas n’a enfreint aucune règle déontologique, parce que l’article paru « montre clairement son statut de victime et documente en détails les étapes entreprises pour tenter de porter plainte ». Plus que tout, la journaliste veut écarter toute allégation qui voudrait qu’elle tente de surfer sur la vague « Me Too », les faits s’étant déroulés avant les premières accusations contre Harvey Weinstein. C’est l’époque féministe, pas le mouvement qui l’a décidée à enquêter sur l’acteur, assure-t-elle. Et la même époque aux relents sexistes qui perdure et qui fait craindre aux victimes de témoigner ou de porter plainte.