Trône de Monaco : Louis de Causans réclame justice

Distinction et fantaisie, la vraie marque du sang bleu. Ici avec sa femme, Diane, dans leur appartement du VIIe arrondissement parisien. © Patrick Fouque/Paris Match
Celui qui affirme être l’héritier du trône de Monaco accuse l’Etat français d’avoir spolié sa famille.
Au château de Fontaine-Française (Côte-d’Or), le sujet revient inlassablement dans la conversation, comme une plaie jamais refermée. Monaco ! Enfant, Louis de Causans ne comprenait pas vraiment son grand-père, Jean, comte de Caumont La Force, propriétaire des lieux, lorsqu’il prononçait avec virulence les mots : « Droits dynastiques bafoués, succession au trône illégitime ». « J’ai appris mon histoire en levant les yeux aux murs », résume le comte Louis de Causans, 44 ans. Partout, à Fontaine-Française, le berceau familial où il grandit, des portraits de princes Grimaldi, emperruqués et poudrés. Quantité de meubles et objets aussi, en provenance du Palais. Tout cela est arrivé, sept générations auparavant, dans les bagages de la princesse Honorine de Monaco, alors cousine du prince Albert Ier, occupant du trône. En 1803, Honorine épouse le marquis de La Tour du Pin, à qui appartient alors Fontaine. « Dans le parc, précise Louis, une des allées forestières porte toujours le nom d’Honorine. Et, dans sa chambre, demeure une parure de lit brodée de ses mains ». En 1986, l’année où Stéphanie de Monaco chante « Comme un ouragan », Louis de Causans, 13 ans, se plonge dans les archives familiales pour tenter de percer l’énigme… et, pour la première fois, réalise pleinement que la chanteuse à la radio est sa cousine.
Les documents historiques me désignent plus légitime qu’Albert.
De sa prestigieuse lignée – trente-deux quartiers de noblesse –, Louis de Causans a hérité d’un combat que menèrent déjà trois de ses aïeux. Celui-là même qui, mûrissant dans sa tête au fil des ans, lui fait dire aujourd’hui : « La vérité irrécusable des documents historiques me désigne comme un héritier au trône plus légitime qu’Albert ». Rien que ça ! Revendiquer le Rocher ? « J’aurais l’air ridicule ! Je ne considère pas une seconde mon cousin Albert comme un usurpateur. C’est l’Etat français qui, par un tour de passe-passe, est à l’origine de cette situation ! » C’est donc cet Etat qu’il a attaqué en juillet et à qui, à défaut de régner, il réclame… 351 millions d’euros d’indemnités pour avoir, dit-il, « empêché la branche française des Grimaldi, dont je suis issu, d’accéder au trône qui lui revenait » !
Il faut remonter un siècle en arrière. Le fils d’Albert Ier, futur prince Louis II, 48 ans, n’a toujours pas d’enfants. S’il meurt, la ligne directe Grimaldi s’éteint et Monaco revient à la branche allemande, en l’occurrence à Guillaume II, 54 ans, duc d’Urach, comte de Wurtemberg. Un Allemand sur le trône ? Impensable, après quatre ans de conflit. « Dégottez-moi un héritier ! » ordonne alors Raymond Poincaré, président de la République et, surtout, ancien avocat du Rocher et ami de la branche monégasque. Louis II, surnommé le « prince soldat », cent fois décoré, déchira autant d’armures ennemies que de jupons. De cet appétit est né, en 1898, un enfant que d’ailleurs, bon prince, il reconnaît aussitôt. Charlotte Louvet, fille d’une lingère. N’est-elle pas la solution pour se débarrasser du problème allemand ? En 1918, une ordonnance, concoctée par le Palais et validée par Poincaré, introduit le droit de succession par adoption. Charlotte, future mère de Rainier, le père de l’actuel prince Albert, devient donc à 20 ans princesse héréditaire. On l’éduque au Palais. Exit la branche allemande.
Mais un homme issu de la branche française des Grimaldi va tenter d’empêcher ce qu’il appelle une « adoption de circonstance ». Son nom : Aynard, marquis de Chabrillan, arrière-petit-fils d’Honorine et trisaïeul de Louis de Causans. À 49 ans, il appartient à ce qui est alors l’une des familles les plus puissantes et riches de France, avec ses terres et ses rentes. Collectionneur d’art, Aynard donne des fêtes somptueuses dans l’un ou l’autre de ses six châteaux, dont Fontaine, ou à Paris, dans son hôtel. Indigné d’être écarté du trône, il écrit à son oncle et ami Albert Ier. Lui rend visite. Albert Ier plaidera auprès de Poincaré, en vain, la « solution » Aynard, plus « éthique ». Mais Poincaré traite avec Louis II, futur régnant, plus malléable. Il le menace d’une annexion. Louis II cède – va pour Charlotte – et, en échange, signe avec le Quai d’Orsay un traité d’amitié protectrice, notamment militaire. Aynard de Chabrillan ne renonce pas à faire valoir ses droits. En vain.
« Monaco, les “vrais” Grimaldi », son pamphlet
Il meurt en 1950. Sa fille, Anne-Marie, future comtesse de Caumont La Force, poursuit le combat. Un brin autoritaire, elle parle plusieurs langues, tient salon, peint et fait œuvre de charité. En 1955, c’est désormais au président René Coty qu’elle réclame « le respect des droits dynastiques ». Avec aplomb et extravagance, elle déboule un beau jour sur le Rocher, entretient de son infortune le maximum de Monégasques qu’elle peut alpaguer dans la rue ; après quoi elle se plante devant le Palais, hurlant – ou presque – son bon droit à travers les grilles. Elle sera poliment reconduite à la frontière et poussée dans un train, avec armes et bagages. Conséquence : la branche française Grimaldi est aussitôt interdite de séjour sur le sol monégasque. « Aynard et sa fille imaginaient vraiment pouvoir succéder au trône, souligne Louis de Causans. Mais les procédures n’ont jamais abouti ». Pour son grand-père Jean, le dossier devint limite obsessionnel. L’évolution de la Principauté lui déplaît fortement. Dans son bureau rempli d’objets du Palais, tel un prince en exil, il se tient informé, consulte, critique, donne des avis, bref, agit comme s’il administrait quasiment le Rocher, depuis Fontaine-Française. Il décède en 1981. Louis a 8 ans. Ses parents se font plus discrets. Le combat héréditaire semble éteint.
Le prince Albert n’évoque jamais le sujet
Il n’est qu’en sommeil. En 2004, Louis de Causans publie un pamphlet intitulé « Monaco, les “vrais” Grimaldi » (éd. Jacques-Marie Laffont), dédié à son arrière-grand-mère Anne-Marie de Caumont La Force. Il y reprend la genèse du conflit. « On ne parle pas de sa famille à des inconnus », lui disent nombre des siens, s’inspirant peut-être du mot terrible d’Henry de Montherlant : « Publier un livre, c’est parler à table devant les domestiques ». Louis de Causans : « Je suis d’une génération qui communique, à l’image de ce que fait volontiers l’aristocratie anglaise ». À sa publication, silence. Le prince Albert, que Louis de Causans croisera par hasard dans une ou deux mondanités, n’évoque jamais le sujet. Courtoisie princière ou indifférence souveraine ?
Les années passent. Après avoir organisé des fêtes huppées sur tous les continents et créé le bal Louis XIV, Louis de Causans s’est reconverti dans l’immobilier. Il voyage, nourrit sa passion des éléphants, des perroquets, des serpents. Mais, dans un coin de sa tête, Monaco, toujours. Il s’y rend parfois pour rendre visite à des amis, alors que l’interdiction de 1955 est toujours en vigueur. « Un jour, peint au mur d’un parking de la Principauté, j’ai vu l’arbre généalogique Grimaldi. La branche française avait tout simplement disparu ! » Cet épisode a-t-il ravivé sa flamme ? « Cela s’est fait petit à petit, je dirais grâce à mes ascendants ou à cause d’eux, un peu comme on devient cordonnier ou pêcheur de père en fils ». Le « successeur » d’Aynard, d’Anne-Marie et de Jean confie son dossier à des juristes et avocats qui, en 2006, estiment qu’il y a matière à plaider.
Il avance comme un « électron libre », son surnom dans la famille
Au même moment, le fils de son grand-père Jean, comte de Caumont La Force, accueille des historiens du Palais à Fontaine-Française, dont il est devenu propriétaire. Il les autorise à se plonger dans les archives. Cet oncle de Louis de Causans sera ensuite invité à des réceptions à Monaco : l’interdiction de séjour est levée. Les ambassades semblent rouvertes. Dix ans plus tard, en 2016, contre toute attente et sans motif apparent, Albert de Monaco s’annonce à Fontaine. Louis de Causans se trouve alors à New York. Le prince reste deux ou trois jours au château, avec aide de camp et conseiller. Balade dans le village, sous le regard incrédule des passants, visite au cimetière pour se recueillir sur la tombe d’Honorine… Albert vient-il faire tout simplement connaissance avec oncles et cousins inconnus ? Régler le contentieux ? Mystère.
Pour l’avocat de Louis de Causans, Jean-Marc Descoubes, le choix de l’Etat français, motivé par un mobile politique, en l’occurrence l’adoption de Charlotte, est « inattaquable ». En revanche, précise-t-il, « la jurisprudence administrative permet aux victimes collatérales de faire valoir leurs droits ». Le calcul des 351 millions d’euros d’indemnités repose sur le patrimoine supposé et les revenus annuels d’Albert et de ses sœurs, le tout rapporté à l’âge de Louis de Causans et à son espérance de vie. A quoi s’ajoute le préjudice moral.
« Le dossier est solide, on part pour gagner », conclut Me Descoubes. Louis de Causans a proposé à des oncles et cousins de se joindre à la procédure. Tous, pour l’instant, ont refusé. Lui avance comme un « électron libre »… son surnom dans la famille.