Mireille Darc : “J’ai senti que la mort n’était pas loin »

Dans son salon aménagé en salle de rééducation, Mireille Darc, 78 ans, réapprend à marcher sous l’œil espiègle d’une sauvageonne : son portrait par notre photographe Benjamin Auger en 1982. | © Richard Melloul
Après quatre mois de douleurs et deux plongées dans le coma, l’actrice française de 78 ans a gagné son combat. Elle est rentrée à la maison et sourit aujourd’hui à la vie.
Son mari Pascal nous raconte quatre mois de calvaire. Pour elle et pour lui.
« Aujourd’hui, après d’énormes efforts, Mireille va bien. Dans deux mois, elle sera pleinement autonome. Elle recommence à avoir faim, à faire des projets, elle reparle de son film sur l’excision, qui vient d’être terminé. Depuis quelques jours, plus de lit médicalisé. Nous dormons à nouveau ensemble. Le grand bonheur est qu’elle soit là, sur le chemin de la guérison. Avant, nous étions tellement heureux que je me demandais, parfois, si ce n’était pas trop… Même ce 10 septembre 2016 n’annonce rien, ou presque. Ce jour-là, elle se plaint d’un mal de crâne tenace. Et prend un Doliprane. C’est le lendemain que tout bascule. Nous devons recevoir des amis. D’ordinaire, Mireille adore faire la cuisine pour ceux qu’elle aime ; mais à l’heure de la préparation du dîner, je la surprends, peinant, assise sur un tabouret. Elle s’avoue fatiguée, sa migraine la fait toujours souffrir. Au point qu’elle va même l’empêcher de dormir, toute la nuit. Le 12 au matin, je trouve Mireille confuse et j’appelle son cardiologue, Marc Dufour. Scanner à la clinique Bizet. Diagnostic : quelques saignements entre le cerveau et la boîte crânienne. On me rassure : elle n’aura aucune séquelle. Pas d’anévrisme, pas d’AVC non plus. C’est le soulagement. Le Pr Bruno Dubois, l’ami neurologue de la Pitié-Salpêtrière, en qui j’ai toute confiance, étudie ses résultats et me dit : « C’est un miracle. » Il va être de courte durée.
On vient de placer la femme que j’aime dans ces bâtiments du XIXe siècle qui sentent la mort et la psychiatrie.
À peine ai-je poussé la porte de notre appartement qu’on m’appelle pour m’informer que Mireille doit être transportée aux urgences neurochirurgicales de Sainte-Anne. On vient de placer la femme que j’aime dans ces bâtiments du XIXe siècle qui sentent la mort et la psychiatrie. Nous entrons dans une autre dimension. Mais, cette fois encore, son état s’améliore. En quelques jours, les saignements disparaissent. Elle peut même utiliser à nouveau son mobile, son iPad, elle est heureuse. Elle occupe une chambre VIP qui préserve un peu son intimité. Un soir, dans l’euphorie du mieux-être, elle m’annonce qu’elle aimerait bien manger de cette pintade sur la carte de Coquelicot, à Montmartre… Je file, ravi de voir qu’elle a un peu d’appétit. Et je ne vois pas que la chambre confortable, parce qu’isolée, au bout du couloir, loin des infirmiers, est un réel danger. Quand je rentre, Mireille ne parle plus. Et personne ne s’en est aperçu. Je fonce chercher des secours. Elle vient de faire une seconde hémorragie cérébrale, mais, cette fois, du mauvais côté du crâne. Pour surveiller l’évolution du mal, l’équipe soignante lui refuse les analgésiques. Mireille hurle de douleur, la tête prise dans un étau. Je passe la nuit à ses côtés, avec un profond sentiment d’impuissance. Perdu, j’appelle le Pr Alain Deloche. Avec Jean-Louis Mas, patron du service à Sainte-Anne, ils m’informent, ne me dissimulant rien. « Dans son état, elle est inopérable. Face à la souffrance qu’elle endure, elle risque soit l’infarctus, soit l’hémorragie cérébrale qui entraîne des troubles neurologiques irréparables », m’expliquent-ils. Quelle alternative funeste pour Mireille, ma battante, elle qui adore la vie, la sienne et celle des autres ! Je me sens seul face à ces décisions qui me dépassent.
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Le lendemain, mon fils m’informe qu’on la transporte à l’hôpital Georges-Pompidou. Les médecins sont convaincus que son cœur va lâcher. Elle est placée en réa cardiologie, plongée dans un coma artificiel pour lui éviter trop de souffrance. Je passe mes journées à lui parler. Ne dit-on pas que, dans cet état, le malade perçoit tout ce qui se passe autour de lui ? Quelques jours plus tôt, j’ai justement envoyé un e-mail à tous ceux qui l’aiment, afin d’apaiser leur inquiétude. Maintenant, ils veulent savoir comment elle va. Alors, patiemment, je lui lis les messages d’amour et de tendresse qui me parviennent par centaines. L’hémorragie va durer quatre jours, puis elle cesse. Et, soudain, Mireille va mieux. Le retour périlleux du coma artificiel se passe bien. Mireille demande immédiatement à me voir. Sa vie semble si fragile, si faible, à ce moment… Elle ne tient qu’à un fil. Elle sort de réa, mais c’est pour revenir en cardiologie. Rien de paisible, pourtant… voilà que Mireille fait une hémorragie de l’abdomen. En cause, un muscle peu connu, le psoas, qui réagit au stress émotionnel, aux peurs. Elle en a vécu des masses, ces dernières semaines. On la replonge dans le coma artificiel. Une période pendant laquelle, moi qui n’ai jamais eu d’accident de voiture de ma vie, j’en ai quatre successifs. Chez moi, dans la rue, je suis absent ; la totalité de mes pensées est fixée sur Mireille. Attentif à tous ses symptômes, obsédé par elle, je sens tout de suite quand quelque chose ne va pas. Comme ce jour où je cours chercher les infirmiers parce que je la vois se recroqueviller, blanchir, vieillir sous mes yeux… On me dit que les paramètres sont pourtant au vert. J’insiste. En fait, elle est en train de faire un arrêt cardiaque. Son cœur cesse de battre pendant vingt-six interminables secondes. Enfin, elle est réanimée, mais je suis ivre de colère. Je plaque l’infirmière en chef contre le mur, je hurle. On me demande de sortir, je refuse. La police sera appelée pour m’évacuer. Cette période a mis nos nerfs à vif.
Attentif à ses symptômes, obsédé par elle, je sens tout de suite quand quelque chose ne va pas.
Mireille va rester quarante-cinq jours à la clinique Bizet, où se termine son périple infernal. Pendant les quatre mois de tempête, même au plus fort de sa souffrance, jamais elle n’a cessé de sourire. C’est un personnage hors du commun qui n’a peur de rien, pas même de la mort, qu’elle a si souvent fréquentée. Très pure, attachée à la spiritualité, elle a beaucoup travaillé sa vie intérieure. Aujourd’hui, Mimi la petite starlette, la Sauterelle de Lautner, a laissé place à une femme intellectuellement et moralement très puissante. En dehors de l’amour que je lui porte, j’ai une admiration sans bornes pour l’être humain qu’elle est devenue. Je suis convaincu que, pendant ses semaines de coma, elle a survécu grâce au flot d’amour que ses amis lui ont témoigné. En tête, Alain Delon et Anthony, son fils, que Mireille a élevé pendant quinze ans. Dalila, son amie et confidente qui, chaque midi, lui apportait des petits plats, le Pr Dubois, l’un des cinq plus grands neurologues du monde qui, entre ses nombreux déplacements professionnels, se retrouvait à son chevet. Des dizaines de messes ont été données pour elle. Même Amma, gourou indien, a prié pour son rétablissement. Dans les différents hôpitaux où Mireille a séjourné pendant quatre longs mois, professeurs et équipes soignantes sont abasourdis qu’elle s’en soit tirée. Dieu ne lui a pas lâché la main ».
Mireille Darc : “Je préfère sourire que de me plaindre, c’est plus facile pour moi”
Mireille Darc s’avance d’un pas presque sûr, en s’appuyant sur une canne. Elle a perdu 6 kilos mais, aidée par Steven, son kinésithérapeute, elle se tient bien droite. Des yeux noirs mangent un visage amaigri. Elle sourit pourtant et, comme d’habitude, on oublie tout…
Paris Match : Avec ce qui vous est arrivé, est-ce que vous vous êtes demandé : “Pourquoi le sort s’acharne-t-il sur moi ?”
Mireille Darc : Non ! En revanche, j’ai senti que la mort n’était pas loin. Je perdais conscience, pour revenir à moi et m’évanouir à nouveau. Cela ressemble à la fin…
Vous aviez déjà travaillé sur la mort, cela vous a-t-il aidée ?
Pas tout à fait, même si j’ai réalisé un documentaire sur ce sujet avec “Voyage vers l’inconnue”. Cette fois-ci, je me suis dit que ce n’était pas encore ça.
Pourriez-vous me raconter vos journées ?
Je me lève entre 9 et 10 heures. J’ai des soins, notamment des piqûres. Après, je reste dans mon fauteuil jusqu’à 13 ou 14 heures, puis mon kiné arrive. Je l’attends en me préparant mentalement. Je dois trouver la force pour mes deux heures de rééducation. Trois infirmières se relaient aussi dans la journée, et mon cardiologue passe tous les soirs.
Votre mari dit que votre meilleure médecine, ce sont vos amis et l’amour qu’ils vous portent…
J’ai reçu près de 1 400 e-mails pour me soutenir. J’ai baigné dans l’amour des autres. Comme d’habitude, Alain était à mes côtés. Anthony aussi a été exceptionnel. Quant à Pascal, c’est le plus beau cadeau que la vie m’ait fait. Depuis que je n’ai plus besoin de lit médicalisé, nous dormons à nouveau ensemble. C’est si bon de le sentir près de moi, de pouvoir prendre sa main comme ça… [Elle fait le geste.]
Votre mari dit que, malgré ce que vous avez subi, votre humeur a toujours été très agréable.
Je préfère sourire que de me plaindre, c’est plus facile pour moi. Pour avancer, il faut avoir de l’estime pour soi. J’en ai, je devrais avancer. Je vais bientôt sortir dehors, avec ma canne.