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Mathilde et Elisabeth bientôt en Égypte: «Un voyage à haute portée symbolique»

La reine Mathilde et la princesse Elisabeth vont effectuer, en mars prochain, une visite officielle en Egypte, sur les traces de la reine Elisabeth. Leur précédente mission commune sur un terrain international avait eu lieu au Kenya, une visite pour Unicef Belgique, dont Mathilde est présidente d'honneur. Photo prise le 27 juin 2019 lors de ce périple de trois jours au Kenya. ©Eric Lalmand/Belga

People et royauté

Du 14 au 16 mars, Mathilde et sa fille aînée effectueront une visite de travail en Égypte, sur les pas de la reine Élisabeth. Cette dernière incarne sur ce plan une double référence. Il y a l’intérêt historique pour l’Égypte antique qu’elle a suscité en Belgique. Il y a aussi son engagement, son cran et ce pacifisme qui ont fait d’elle une figure charismatique et d’une étonnante modernité.

La princesse Esmeralda évoque pour nous le parcours de sa grand-mère, pionnière passionnée, sur lequel elle a beaucoup travaillé, arpentant notamment ce terrain égyptien.

Ce qu’aurait pu dire l’épouse d’Albert Ier de la situation en Ukraine ? «Les guerres effroyables se terminent toujours par des négociations, alors autant les mener le plus vite possible. Il faut trouver la formule pour arrêter cette boucherie.»

Les images d’époque parlent d’elles-mêmes. La reine Élisabeth dans sa tenue de soie et veste bordée de renard blanc parcourant les sites brûlés par un soleil vertical. Au-delà du contraste générationnel, on imagine la princesse héritière arpentant les lieux avec un même regard – brillant et curieux.
La présence de cette dernière aux côtés de la reine Mathilde n’est évidemment pas anodine. Le voyage s’inscrit dans l’esprit d’une filiation historique, voire dynastique. Élisabeth, dont le prénom a été donné par ses parents en hommage à la grand-mère du roi Philippe, va donc évoluer sur un terrain lumineux et porteur : des lieux cultes où la recherche archéologique belge a fait ses preuves et où son aïeule a, à travers sa passion pour la culture et pour le monde au sens le plus ample, a suscité des vocations, la création d’un Fonds.
Un terrain à la fois exotique et familier si l’on peut dire, alliant tradition, modernité, vision de l’histoire et travail minutieux, ardu, de proximité. Une façon aussi d’ancrer la future reine des Belges dans une ligne d’engagement au féminin, d’indépendance, de cran.
Il s’agit d’avoir les épaules larges tout en menant de front les impératifs du métier, dont les contacts scientifiques et de terrain, l’ouverture éclairée, l’encouragement à la recherche. Avec cette patience bienveillante qu’exige la discipline.

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Ce périple royal mettra en lumière l’expertise belge tout en valorisant cette filiation avec une figure historique et fondatrice. La Reine Mathilde et sa fille aînée se rendront sur plusieurs sites que la reine Élisabeth a elle-même visités lors de ses voyages en Égypte, notamment le tombeau de Toutankhamon. Au Caire, elles assisteront au vernissage d’une exposition consacrée à l’épouse d’Albert Ier et à l’égyptologie belge. Son intérêt et sa passion pour ce domaine sont, souligne le Palais dans son communiqué, « à l’origine de l’épanouissement » de la discipline en Belgique. Guidées par des spécialistes, égyptologues, professeurs et étudiants belges, Mathilde et Élisabeth visiteront plusieurs sites archéologiques à Louxor et dans ses environs où des institutions et des universités belges mènent des fouilles.

La reine Elisabeth en Egypte. « Elle était passionnée d’égyptologie et effectua notamment ce voyage inoubliable lors de l’ouverture du tombeau de Toutankhamon », rappelle la princesse Esmeralda. « Le Belge Jean Capart l’a persuadée de continuer à pousser la place de la Belgique au niveau international en égyptologie et l’a convaincue de créer un fonds de soutien pour les archéologues belges. Depuis cette époque, la Belgique mène toujours des fouilles archéologiques en Égypte, dans une concession qui existe depuis 1937. » ©Belga Archives
Auteure, journaliste, documentariste et activiste, la princesse Esmeralda a régulièrement rendu hommage à ses grands-parents, Élisabeth et Albert Ier – notamment à travers un film (*) réalisé avec Nicolas Delvaulx en 2014 et un livre paru aux éditions Racine à l’occasion du centenaire de la Première Guerre.
En amont de cette visite royale, elle nous livre son regard sur ce territoire qu’elle a elle-même ausculté, évoque le profil de la reine Élisabeth, pionnière flamboyante, et sur le caractère forcément international de cette visite de travail. Nous parlons aussi, dans la foulée, du terrain humanitaire et de l’éducation des nouvelles générations.

Ce voyage sur les traces de la reine Élisabeth, votre grand-mère, nous renvoie au documentaire et aux travaux que vous avez réalisés pour rendre hommage à vos grands-parents Albert 1er et Elisabeth. Tout particulièrement à cette dernière, à son goût de l’exploration, de l’aventure, de l’engagement.

Princesse Esmeralda. En quelques mots d’ouverture, elle était passionnée d’égyptologie et effectua notamment ce voyage inoubliable lors de l’ouverture du tombeau de Toutankhamon. Le Belge Jean Capart l’a persuadée de continuer à pousser la place de la Belgique au niveau international en égyptologie et l’a convaincue de créer un fonds de soutien pour les archéologues belges. Depuis cette époque, la Belgique mène toujours des fouilles archéologiques en Égypte, dans une concession qui existe depuis 1937.

« Albert & Élisabeth”, princesse Esmeralda de Belgique et Christophe Vachaudez, éd. Racine, 2014, 192 p., 29,95 €.

La prochaine visite de la reine Mathilde et de la princesse Élisabeth est une façon de rendre hommage à un pan international de l’histoire de Belgique.

Je pense que très peu de gens savent qu’en égyptologie, la Belgique avait précisément une place internationale. Cela permet de mettre l’accent sur la position et l’action culturelle et scientifique de la Belgique qui continue à exceller dans tous ces domaines.

Tout en sensibilisant, à travers la présence de la princesse, les jeunes générations.

Sans aucun doute. Et que la future reine des Belges porte le même prénom que son arrière grand-mère est un beau clin d’œil de l’histoire, ce voyage est très symbolique.

Le fait que la princesse Élisabeth est jeune et populaire est un atout. Il n’y a pas ici de portée politique mais une portée humanitaire et symbolique importante. Esmeralda de Belgique

Ce prénom n’a pas été choisi au hasard. Un retour aux sources et un choix revendiqué par ses parents…

Tout à fait. C’est un hommage très clair à la reine Élisabeth.

La reine Mathilde se rend bientôt pour l’Unicef au Bangladesh où, précisez-vous, elle pourrait rencontrer notamment Runa Khan, grande figure du pays, créatrice et directrice de l’association Friendship, avec laquelle vous travaillez beaucoup étant vous-même présidente de la branche belge (Friendship Belgium)…

Elles se sont rencontrées en tout cas dans le cadre du World Economic Forum de Davos récemment, ce n’est pas un secret, des photos de cette rencontre ont été publiées. J’espère qu’elles pourront se revoir au Bangladesh.

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La princesse Élisabeth avait déjà accompagné la reine Mathilde lors d’une mission pour l’Unicef au Kenya. Peut-on dire que, au-delà bien sûr de sa présence lors de divers événements en Belgique, cette présence d’une future reine sur le terrain humanitaire international permet de l’ancrer dans un avenir qui sera obligatoirement global, international et naturellement européen.

Absolument. C’est très important. Et le fait qu’Élisabeth est jeune et populaire est un atout. Il n’y a pas ici de portée politique mais une portée humanitaire et symbolique importante.

Le domaine humanitaire, international, les grandes causes les plus fédératrices, dont le climat que vous défendez ardemment depuis longtemps est forcément un lieu le plus propice pour les engagements “royaux”, dans le sens où ils échappent souvent aux enjeux de politique politicienne, locale ou nationale, et font appel à des leviers plus amples, plus “philosophiques” en quelque sorte. Y a-t-il un coup de projecteur particulier qui vous ait récemment marquée ?

Il y a en effet beaucoup de membres des familles royales qui s’impliquent pour le climat et l’environnement. Pour en citer seulement deux: le roi Charles d’Angleterre, comme prince héritier durant des décennies n’a pas ménagé ses efforts et ses actions dans ce domaine. Espérons qu’il pourra continuer d’exercer de l’influence en tant que souverain. Le prince Albert de Monaco est un grand défenseur des océans et des forêts au travers de sa fondation qui accomplit un travail remarquable pour combattre la crise climatique et préserver la biodiversité.

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Le roi et la reine des Belges préparent de longue date leur fille aînée à sa future mission, qui sera conséquente. Ils encadrent l’éducation leurs enfants, avec une attention de chaque instant. C’est un contraste avec ce qui se pratiquait dans les générations précédentes.

Incontestablement. L’éducation donnée par Philippe et Mathilde à leurs enfants marque de fait un grand changement avec ce qui se passait dans les générations précédentes. Il y a de leur part une volonté de modernité et d’être comme tout le monde, autant que possible. Et je pense que chacun le remarque et l’apprécie.

De même ils veillent à ne pas faire de différence entre les enfants. C’est crucial dans toutes les familles mais plus encore dans une sphère où un seul enfant est appelé à reprendre le flambeau.

Il y a une volonté d’être égalitaire. C’est essentiel psychologiquement pour les enfants.

Dans la monarchie britannique par exemple, il y a énormément d’apparat, de traditions, des experts et “spin doctors”. En Belgique, les équipes sont centrées sur le travail et tout est plus subtil et feutré.

Cette formation de terrain, notamment dans l’humanitaire, et cette obligation de s’adapter à tous les milieux, de prendre le pouls de la société dans tous ses états se rapproche-t-elles de ce que vous pratiquez avec vos enfants ?

C’est beaucoup plus facile pour moi car je vis à l’étranger. Et je n’ai pas une princesse héritière dans mes enfants. Il est impossible de faire une comparaison. Sinon, concernant le traitement égal à réserver aux enfants, je ne fais pas de différence et leur donne à tous deux le plus d’indépendance possible. Il y a aussi la possibilité de pouvoir en famille parler de tous les sujets. La communication est cruciale.

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Vous sensibilisez depuis longtemps vos enfants à cette sphère humanitaire, et plus largement aux droits de l’homme… Y a-t-il d’autres règles d’or que vous appliquez  ?

Ils sont sensibilisés à la question climatique, aux droits humains, aux inégalités… Ils savent que quand on est super privilégié dans la vie, et qu’on a la chance de pouvoir exercer une profession qu’on aime, il faut essayer d’apporter une contribution à la société. Ils savent qu’il ne faut jamais l’oublier.

La reine Mathilde, le roi Philippe, la princesse Esmeralda et la princesse Lea durant la messe en mémoire des membres défunts de la famille royale belge le 17 février 2022 à l’église Notre-Dame de Laeken. ©Eric Lalmand/Belga

Vous nous disiez en 2013, lors de l’accession au trône de votre neveu, le roi Philippe: « La communication va jouer un grand rôle dans cette métamorphose. Philippe va essayer de la soigner pour donner de la monarchie une image plus jeune, plus moderne. » La valorisation de la princesse Élisabeth est-elle un atout maître dans cette démarche de modernisation ?

Absolument, toutes les monarchies essaient aujourd’hui de suivre cette ligne. Mais elles n’y arrivent pas toute avec la même « sobriété » ou « simplicité » que la Belgique. En Grande-Bretagne par exemple, il y a énormément d’apparat, de traditions, des experts et “spin doctors”. En Belgique, les équipes sont centrées sur le travail et tout est plus subtil et feutré.

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Plus « low profile », dans cette fameuse veine un peu scandinave ?

Beaucoup plus accessible en tout cas que d’autres monarchies comme la britannique.

La passion de la reine Elisabeth pour le désert et l’histoire antique remonte à sa première visite en terre africaine. En 1896, elle a 22 ans et passe plusieurs semaines dans une oasis algérienne en compagnie de ses parents et de ses soeurs.

Revenons à la reine Élisabeth, votre grand-mère, qu’est-ce qui a suscité ce goût de l’Égypte entre autres chez elle ?

Sa passion pour le désert et l’histoire antique remonte à sa première visite en terre africaine. En 1896, elle a 22 ans et passe plusieurs semaines dans une oasis algérienne en compagnie de ses parents, le duc Charles-Théodore et la duchesse Marie-José, et de ses deux sœurs. Au cours de ce voyage d’agrément, son père, ophtalmologue de profession, opère de la cataracte les Bédouins de la petite ville de Biskra. Selon son habitude, il ne pas fait payer ses patients et ses filles lui servent d’assistantes. Après le séjour dans les sables, Élisabeth découvre avec intérêt les ruines de Carthage, en Tunisie. De retour en Allemagne, elle se plongera dans les livres d’histoire de l’antiquité et se promettra de découvrir les autres pays des mille et une nuits.

Elkab, mars 2014. La princesse Esméralda escaladant le Rocher aux Vautours en compagnie de Jean-Michel Bruffaerts, historien belge spécialiste de l’égyptologie, sur les traces de la reine Elisabeth et de Jean Capart. © Jean-Michel Bruffaerts

Dans quel contexte eut lieu sa première visite en Égypte ?

En 1911, devenue reine des Belges elle s’y rend avec son époux Albert et Marie-Gabrielle, sa sœur. Venue chercher le soleil pour se rétablir d’une pneumonie, elle y séjourne deux mois et visite Le Caire, Louxor, Karnak et Assouan. Elle est immédiatement émerveillée par la beauté des monuments. Dans les années qui suivent, elle fait la connaissance de Jean Capart, titulaire d’une chaire d’égyptologie à l’université de Liège et conservateur au Musée du Cinquantenaire, qui lui fait partager sa passion pour l’histoire et l’art des pharaons.
Leur entente est telle que ma grand-mère invite le professeur à les accompagner, elle et son fils, à l’ouverture du tombeau de Toutankhamon. Capart écrira par la suite : «  Il m’arriva quelque chose d’analogue à l’aventure de Cendrillon qui aurait tant voulu assister au bal du Roi où ses sœurs privilégiées avaient été conviées. J’avais, sans m’en douter, trouvé la fée marraine qui devait me faire passer de Belgique en Égypte en quelques jours… »

Mon grand-père accompagnant les siens jusqu’au train en partance pour l’Italie, souffla à l’oreille de l’égyptologue : « Monsieur Capart, s’il se présente quelque chose de dangereux, ne le dites pas à la Reine, elle voudrait y aller ! »

L’égyptologue belge confie alors cette phrase magnifique quant au tempérament trompe-la-mort de la reine…

D’après le savant, la reine l’aurait convié à cette équipée le jour même de son départ de Bruxelles. Ce qui l’obligea, faute de temps, à faire venir son épouse à la gare du Quartier Léopold pour lui apporter sa valise ! C’est aussi à la gare que mon grand-père accompagnant les siens jusqu’au train en partance pour l’Italie, souffla à l’oreille de l’égyptologue : « Monsieur Capart, s’il se présente quelque chose de dangereux, ne le dites pas à la Reine, elle voudrait y aller ! »

De la reine Elisabeth, son époux le roi Albert Ier souffla ceci à l’oreille de l’égyptologue belge Jean Capart : « S’il se présente quelque chose de dangereux, ne le dites pas à la Reine, elle voudrait y aller ! » ©Belga Archives

Le péril, rappelez-vous, est bien réel.

La situation politique du pays est instable, la sécurité autour des visiteurs royaux doit être assurée avec soin. L’Égypte, indépendante depuis peu, demeure néanmoins sous l’emprise de l’Angleterre et de son Haut-commissaire, le maréchal Edmund Allenby. Ce au grand dam des nationalistes qui multiplient les attentats. On a dès lors jugé préférable que la visite d’Élisabeth et de son fils ait lieu à titre « privé » afin de ne pas aggraver les tensions. Ils voyageront donc sous le nom de Réthy, utilisé à l’époque par les membres de la famille royale belge lorsqu’ils voulaient être incognito. Les autorités égyptiennes se réjouissent cependant d’accueillir la reine. Sa popularité au lendemain de la Première Guerre mondiale est immense.

Le 18 février 1923, ma grand-mère, et son fils le prince Léopold, mon père, descendent le majestueux escalier de l’hôtel Winter Palace à Louxor. Ils vont assister dans moins d’une heure à cet événement historique… L’ouverture du tombeau de Toutankhamon. Les journalistes du monde entier ont investi l’hôtel. On ne parle que des trésors cachés au sein du tombeau.

Votre grand-mère et votre père se lancent donc dans cette aventure pour assister à l’ouverture du tombeau de Toutankhamon. (Le 18 février prochain, on fêtera le centenaire de cette visite de la reine Elisabeth, du Prince Léopold et de Jean Capart au tombeau de Toutankhamon NDLR).

A la fin de l’année 1922, l’archéologue britannique Howard Carter et son mécène Lord Carnavon découvrent une nouvelle tombe, inviolée, dans la vallée des Rois. Dès qu’elle apprend la nouvelle dans la presse internationale, ma grand-mère décide de se rendre sur place. Elle convainc mon grand-père de la laisser partir avec son fils aîné. Le roi Albert Ier ne pouvait alors quitter la Belgique en raison du climat politique agité. L’expédition s’organise dans l’enthousiasme.
Le 18 février 1923, ma grand-mère, et son fils le prince Léopold, mon père, descendent le majestueux escalier de l’hôtel Winter Palace à Louxor. Ils vont assister dans moins d’une heure à cet événement historique…
En cet hiver de 1923, outre le gratin international des archéologues, les journalistes du monde entier ont investi l’hôtel. On ne parle que des trésors cachés au sein du tombeau. Des centaines ont déjà été découverts avant même de parvenir à la chambre funéraire. Les couloirs du palace bruissent de conversations dans toutes les langues. Chacun a conscience de vivre un événement extraordinaire.

Ma grand-mère s’enthousiasme et pose mille questions. Jean-Michel Bruffaerts, historien belge spécialiste de l’égyptologie, auteur de plusieurs ouvrages sur les voyages de la reine Élisabeth en Égypte, a perçu dans les notes de l’égyptologue Arthur Mace que cette présence irrite quelque peu les experts… « She’s embarrassingly keen on everything »

La reine Élisabeth retournera un peu plus tard, expliquez-vous, dans la Vallée des Rois et se montrera curieuse, voire insistante…

Trois jours plus tard, elle, mon père et Jean Capart se rendent au tombeau de Séthi. Ils vont visiter ce que Howard Carter appelle «son laboratoire» où sont  inventoriés les objets récoltés dans la tombe de Toutankhamon. Une équipe de spécialistes y étudie, restaure et photographie chaque pièce qui sera ensuite expédiée par train ou par bateau au musée du Caire.
Ma grand-mère s’enthousiasme et pose mille questions. Jean-Michel Bruffaerts, historien belge spécialiste de l’égyptologie, auteur de plusieurs ouvrages sur les voyages de la reine Élisabeth en Égypte, a perçu dans les notes de l’égyptologue Arthur Mace, qui travaillait à l’époque à la restauration des objets, que cette présence irrite quelque peu les experts… « She’s embarrassingly keen on everything » (elle est intéressée par tout de manière embarrassante) écrit le Britannique.
Deux semaines plus tard, Élisabeth se rend à nouveau au « laboratoire ». Elle insiste tellement que Howard Carter finit par ouvrir un petit coffret et ils y découvrent un grand serpent en bois doré. La reine est ravie. Les égyptologues beaucoup moins. Arthur Mace écrit ces lignes qui ne cachent pas son irritation : « To tell you the truth, we are all getting very bored with her » ( pour vous dire la vérité, nous sommes tous très agacés par elle)…

Dans la tombe, Lord Carnavon va faire à la reine un cadeau inestimable et sacrilège à la fois. Quelques jours plus tôt, en ouvrant le catafalque, on a découvert un voile de lin. « Ce simple morceau d’étoffe, bruni par le temps et déchiré en maints endroits, n’était autre que le voile funéraire de Toutankhamon », explique Jean-Michel Bruffaerts.

Elle reçoit un présent historique, exposé aujourd’hui au musée du Cinquantenaire à Bruxelles.

Carter et Carnavon ayant pris la décision de fermer la sépulture jusqu’à l’automne, ma grand-mère décide d’y retourner une dernière fois, toujours accompagnée de Jean Capart et cette fois de Ghislaine de Caraman-Chimay, sa dame de compagnie venue la rejoindre en Égypte. Mon père, lui, est parti pour quelques jours pour Khartoum en bateau.
Dans la tombe, Lord Carnavon va faire à la reine un cadeau inestimable et sacrilège à la fois. Quelques jours plus tôt, en ouvrant le catafalque, on a découvert un voile de lin. « Ce simple morceau d’étoffe, bruni par le temps et déchiré en maints endroits, n’était autre que le voile funéraire de Toutankhamon », explique Jean-Michel Bruffaerts. « Décoré de grandes marguerites en bronze doré, il évoquait irrésistiblement une nuit parsemée d’étoiles… » Élisabeth tombe littéralement en admiration devant cette relique. Pris d’une soudaine inspiration, Lord Carnavon en découpe un petit morceau et le lui glisse dans la main en ajoutant : « Je n’ai pas le droit de faire cela ! » Le reste du voile dont il demeure peu de choses aujourd’hui malgré les tentatives de restauration est exposé au Musée du Caire. Quant au morceau rapporté par la reine Élisabeth, précise Jean-Michel Bruffaerts, « il a fini par être égaré pendant de longues années puis retrouvé par hasard en 1951. La reine Élisabeth le confia alors au Musée du Cinquantenaire où on peut l’admirer aujourd’hui. »

Albert Ier, le Roi-Chevalier, et la reine Elisabeth en Egypte. Ils y effectueront un voyage avec Jean Capart en 1930. Ils partagent une vision humaniste et pacifiste de la société. Leur couple, populaire, donne une image actualisée de la monarchie. ©Belga Archives

Le voyage de votre grand-mère et de votre père connaît un succès considérable, soulignez-vous.

Avec mon père revenu du Soudan, Élisabeth poursuit son périple au Moyen-Orient, visite de nombreux temples, rencontre des Bédouins dans le désert et s’installe au Caire pour plusieurs jours. Ils y assistent à des manifestations officielles et réceptions de la colonie belge. Ils déjeunent aussi chez le roi Fouad et sont reçus par le Haut-commissaire britannique. Au cours de ce dîner, lady Allenby annonce à mon père que Lord Carnavon est gravement malade, frappé d’un mal mystérieux. Elle ajoute, sans humour, que tous ceux qui ont pénétré dans la tombe de Toutankhamon sont voués à une mort rapide… Mon père qui me conta souvent cet épisode ajoutait qu’il n’avait accordé aucun crédit à cette conversation. A son arrivée à Bruxelles deux semaines plus tard, il devait apprendre la nouvelle du décès de l’aristocrate anglais. La légende de la malédiction du pharaon allait dès lors enflammer les esprits…
Plus sérieusement, le voyage de ma grand-mère et de mon père fut un grand succès, en effet. Il a permis de resserrer les liens entre la Belgique et l’Égypte et laisse le souvenir d’une souveraine attachante et véritablement intéressée par le pays et son histoire comme me l’a confié l’ambassadeur de Belgique Gilles Heyvaert. Des retombées concrètes en ont découlé.

Dont la création du Fonds Reine Élisabeth.

C’est au cours de ce séjour de 1923 que Jean Capart a lancé l’idée de créer un fonds de soutien pour les archéologues belges en Égypte. La reine s’engageait à lui accorder son patronage tandis qu’il se chargeait de trouver les mécènes. Le Fonds Reine Élisabeth qu’ils ont créé deviendra par la suite la Fondation égyptologique Reine Élisabeth sous le patronage conjoint de ma grand-mère et du roi Fouad d’Égypte. Elle existe toujours aujourd’hui (sous le nom d’Association égyptologique Reine Élisabeth). Elle a permis aux archéologues belges d’occuper une place prépondérante en Égypte avec notamment une concession de fouilles à Elkab depuis 1937. Jean Capart, convaincu de l’intérêt de cette localité dans le désert, à 80 kilomètres de Louxor y a emmené la reine en 1930.

Le voyage de travail de la reine Mathilde et de la princesse Élisabeth marque notamment le 125e anniversaire de l’émergence de l’égyptologie belge et le 75e anniversaire de la mort de Jean Capart. L’égyptologue a guidé les pas de votre grand-mère et de votre père.

Durant la traversée de la Méditerranée de Gênes à Alexandrie à bord du navire Esperia, mon père lui avait demandé de lui donner une formation accélérée. Jean Capart lui a ainsi enseigné l’histoire de l’Égypte et lui a expliqué les hiéroglyphes. Léopold en gardera un excellent souvenir comme d’ailleurs des parties d’échecs disputées le soir après le dîner. Jean-Michel Bruffaerts a rédigé une longue biographie de Jean Capart (Jean Capart, le Chroniqueur de l’Égypte, éd. Racine, 2022).

« Jean Capart, le Chroniqueur de l’Égypte », Jean-Michel Bruffaerts, éd. Racine, 2022, 256 p., 34,95€.

Parmi moult anecdotes, Jean-Michel Bruffaerts vous avait décrit par le menu ce tableau savoureux : votre grand-mère vêtue d’une veste bordée de fourrure sous la chaleur écrasante.

« La reine porte une robe de soie crème et une veste bordée de renard blanc », me racontera-t-il. Il a décortiqué la presse de l’époque. Cette fourrure a suscité les commentaires ironiques de certains journalistes. « Aurait-on fait croire à la souveraine que Toutankhamon avait vécu quelque part là-bas au pays de Nanouk l’Esquimau ? » lance le quotidien Le Peuple. En fait, ma grand-mère n’est pas encore tout à fait rétablie d’un refroidissement qui l’avait paralysée plus tôt dans son séjour et dissimule son visage derrière un voile clair pour se protéger du vent et de la poussière tandis qu’une ombrelle l‘abrite du soleil.

Près d’un siècle plus tard, vous êtes donc partie sur les traces de votre grand-mère.

Près de cent ans plus tard, pour les besoins du documentaire sur mes grands-parents, je me retrouve à Louxor. Notre équipe de tournage se compose du réalisateur Nicolas Delvaulx, du cameraman Alain Fish, ainsi que de Jean-Michel Bruffaerts. Des gardes du corps veilleront sur nous en permanence et nous escortent tout d’abord au célèbre Winter Palace. Avec beaucoup de délicatesse, le directeur de cet hôtel mythique m’a réservé la suite où logea ma grand-mère en 1923 puis en 1930, cette fois en compagnie du roi Albert.
A la fin de mon séjour, j’ai découvert Elkab à mon tour et, suivant les traces de ma grand-mère, j’ai visité le temple d’Horus sur les murs duquel les soldats de Napoléon ont gravé leurs noms lors de la campagne d’Égypte en 1798. J’ai escaladé, comme elle, le rocher aux vautours pour admirer les gravures préhistoriques. La vue sur le désert est sublime. La chaleur avoisine les 35° et, une fois de plus, je me suis prise une fois encore à admirer ma grand-mère, qui, faisant fi de sa santé fragile, de ses robes encombrantes et de ses chaussures à talons, montra une force de caractère et une passion qui, toute sa vie, l’ont poussée à réaliser de grandes choses.

Ce que dirait la reine Elisabeth par rapport à l’Ukraine ? Une chose est sûre, et elle en était convaincue à juste titre je pense : les guerres effroyables se terminent toujours par des négociations, alors autant les mener le plus vite possible. Il faut trouver la formule pour arrêter cette boucherie. Marquée par les deux grands conflits internationaux qu’elle avait hélas connus, ma grand-mère avait cela ancré en elle : il faut éviter la guerre par tous les moyens.

Ses combats seraient encore d’actualité.

Elle était réellement à l’avant-garde dans de nombreux domaines. C’était une grande pacifiste. Après avoir vécu deux guerres abominables et cette tragédie de voir les membres de sa famille parmi les ennemis de ce pays qu’elle a rejoint et qu’elle aime tant, la Belgique, elle a beaucoup milité pour la paix dans le monde. Elle s’est rendue notamment en URSS et en Chine avant tout le monde. Elle voulait ouvrir des négociations par le biais de la musique, de la culture, elle prônait le dialogue et préconisait de ne jamais s’enfermer.

Que ferait-elle ou qu’exprimerait-elle aujourd’hui quant à la situation en Ukraine à votre avis ?

Je ne me prononcerai pas politiquement, mais une chose est sûre, et elle en était convaincue à juste titre je pense : les guerres effroyables se terminent toujours par des négociations, alors autant les mener le plus vite possible. Il faut trouver la formule pour arrêter cette boucherie. Marquée par les deux grands conflits internationaux qu’elle avait hélas connus, ma grand-mère avait cela dans l’âme, ancré en elle : il faut éviter la guerre par tous les moyens.

Cela synthétise-t-il l’ensemble de ses engagements ?

Elle s’est occupé d’une multitude de domaines, dont les sciences, la culture… Mais je crois que c’est ici un trait de caractère essentiel en effet.

Ma grand-mère a été critiquée à la fin de sa vie pour s’être rendue en Chine… Mais des années plus tard, quand Nixon y est allé, on s’est souvenu que tout finit toujours par la diplomatie. Et il faut se rappeler, comme ma grand-mère le disait déjà, que tout le monde n’a pas la même vision que les pays occidentaux.

 

« L’histoire remet les éléments à leur place et les rôles en perspective », nous disiez-vous il y a quelques années en parlant de vos parents. Est-ce plus vrai que jamais ?

Absolument, l’histoire il faut la voir avec le recul, car les émotions et passions sont toujours trop fortes au moment même et dans les années qui suivent. L’histoire remet les choses à leur place et donne une autre perspective. Voyez par exemple comme certains profils qui furent considérés en leur temps comme des terroristes ont pu être perçus plus tard dans l’histoire comme des libérateurs. Ma grand-mère a été critiquée à la fin de sa vie pour s’être rendue en Chine… Mais des années plus tard, quand Nixon y est allé, on s’est souvenu que tout finit toujours par la diplomatie. Et il faut se rappeler, comme ma grand-mère le disait déjà, que tout le monde n’a pas la même vision que les pays occidentaux.

Vous vous sentez proche de cette figure libre, audacieuse, engagée qu’incarnait la reine Élisabeth, quels traits vous réunissent principalement ?

La force des convictions et le fait de ne pas être conventionnelle.

La génétique joue-t-elle un rôle, même modéré par rapport à l’éducation, dans certaines sphères et passions ?

Sûrement.

Le fil historique, le « lien du sang » peut-il encore avoir du poids aujourd’hui ? Quel sens peut-on lui donner ?

Pour beaucoup de gens attachés à l’Histoire et à la personnalité de mes grands-parents, le voyage de Mathilde et d’Élisabeth et je dirais particulièrement cette dernière car il s’agit de ses ancêtres, représente certainement quelque chose de fort et d’important.

 

Paris Match Belgique, édition du 2 février 2023.

(*) Sur les pas du Roi Albert et de la Reine Élisabeth, mes grands-parents, documentaire de 140 minutes réalisé par Nicolas Delvaulx et Esmeralda de Belgique pour la RTBF en 2014.

 

 

 

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