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Comment la reine d’Angleterre s’est retrouvée mêlée aux “Paradise Papers”

Elizabeth II "Paradise Papers"

Shocking ! | © Belga / AFP PHOTO / POOL / Yui Mok

People et royauté

Sa Majesté a-t-elle mis ses joyaux à l’abri du fisc, dans des paradis fiscaux ? La reine d’Angleterre fait en effet partie de ceux cités comme ayant caché de l’argent dans le dossier Paradise Papers. 

Plusieurs millions de livres sterling de la reine Elizabeth II ont été placés dans des paradis fiscaux, selon la BBC et le Guardian, deux des 96 médias partenaires de l’impressionnante enquête baptisée « Paradise Papers », sur les méthodes d’optimisation fiscale. Les déplacements de fonds appartenant à la reine (10 millions de livres sterling, soit 11,3 millions d’euros) aux Îles Caïmans et aux Bermudes ne sont pas a priori illégaux, mais permettent d’échapper à la fiscalité britannique – et font mauvais genre, évidemment.

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Ces investissements ne représentent que 0,3% de la valeur totale du Duché, a défendu auprès de l’AFP une porte-parole du Duché de Lancaster, le domaine privé de la reine via lequel ces mouvements financiers ont été réalisés. Explications : Sa Majesté a deux sources de revenus, le “Sovereign Grant” et le “Privy Purse”. Difficile de dire que l’un est public, l’autre privé, tant la séparation est floue. Toutefois, le premier est officiellement lié à la Couronne, soit l’institution royale, et le second à la reine, l’individu.

Privé et public

Si elle n’a pas de rôle politique, la souveraine britannique reste la cheffe de l’Etat – au même titre que le président de la République en France. Elizabeth a donc un ensemble de responsabilités à honorer pour le bon fonctionnement des institutions, et pour lesquelles la reine touche, en quelque sorte, un salaire. C’est le “Sovereign Grant”, une subvention publique annuelle censée couvrir l’ensemble des frais de la Couronne – salaires des quelque 400 employés, dépenses courantes, coût des déplacements des membres de la famille, des réceptions à Buckingham, de l’entretien des palais… La somme est calculée à 15 % des revenus du “Crown Estate”, organisme public indépendant, gestionnaire du patrimoine accumulé au fil des siècles par la Couronne et confié au gouvernement en 1760 par le roi George III.

Madame Windsor a des revenus privés

En temps que madame Windsor, Elizabeth a ses finances privées réunies au sein du “Privy Purse”. Tirant son nom du sac brodé que le trésorier du souverain portait à la taille il y a des siècles, cette cassette royale est principalement alimentée par les revenus du Duché de Lancaster, dont les investissements sont aujourd’hui pointés du doigt dans les “Paradise Papers”.

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Le Duché de Lancaster est un patrimoine privé, composé d’un domaine de 18 000 hectares de terrains (terres agricoles, locaux commerciaux, résidences…) et d’un portefeuille d’investissements. Il est lié au titre de Duc de Lancaster, porté par tous les souverains britanniques (même Elizabeth, la reine Victoria ayant décidé que le terme de “duchesse” ne devait s’appliquer qu’aux épouses). En 1399, le fils du premier duc de Lancaster devenu Henry IV, roi d’Angleterre, décide de lier son titre à celui du monarque, mais de séparer officiellement les biens du duché de ceux de la Couronne.

Impôt volontaire

A la différence du « Crown Estate » donc, le duché de Lancaster n’appartient pas à l’Etat, mais bien au souverain en personne, qui en hérite de son prédécesseur. Sa valeur est estimée à 442 millions de livres sterling (552 millions d’euros). En 2016, le duché a rapporté à Sa Majesté quelque 13,6 millions de livres sterling (17 millions d’euros) après impôts. Bien que le duché ait toujours été exonéré de toutes taxes, la reine paie volontairement ses impôts depuis 1993, en signe de solidarité avec ses sujets.

« Paradise papers » clandestins

Curieux, donc, de l’imaginer s’adonnant à l’optimisation fiscale, elle qui symboliquement participe de son plein gré à l’effort commun. Il est probable que la reine n’ait jamais été au courant de ces arrangements. En réalité, le duché n’est pas directement géré par elle, ni même par ses services, mais par un conseil d’administration, comme n’importe quelle grande entreprise. Celui-ci est supervisé par un “Chancelier du Duché de Lancaster”, désigné par la souveraine sur suggestion du Premier ministre, mais dont le rôle exécutif est toutefois minime. La fonction fait pourtant de lui un membre du gouvernement, responsable devant le parlement, et le chancelier pourrait avoir à répondre à quelques questions. Il devra trouver les réponses auprès des administrateurs du duché, dont les rapports annuels n’ont pas à donner le détail des opérations, et n’ont donc jamais mentionné les investissements controversés. Ironie de l’histoire, le dernier rapport en date assurait “accorder une attention constante à ce que ses actes ou ses omissions ne puissent avoir un impact négatif sur la réputation du Duché ou de Sa Majesté la Reine« .

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