Cette Afrique qui avance à pas de géants

Vue sur Kigali. | © AFP PHOTO / Yasuyoshi CHIBA
Un pays champion des services publics, une présidente démocrate jusqu’au bout des ongles et un Premier ministre démissionnaire car mécontent de « la lenteur des réformes »… C’est cette Afrique exigeante et réformatrice qu’a montrée Mo Ibrahim lors de son dernier Governance weekend. Fondateur du premier opérateur téléphonique panafricain Celtel, le milliardaire soudanais se consacre à sa fondation vouée à épauler les décideurs africains dans le chemin des réformes. Du 27 au 29 avril, le très moderne Kigali Convention center (KCC) a été le théâtre de discussions endiablées entre acteurs de la vie politique et économique et des passionnés du continent. « Un moment important » selon le président Paul Kagame qui ne s’est pas montré avare de son temps. L’occasion pour Mo de contredire des poncifs, tacler les vieilles habitudes et célébrer avec humour des modèles 100% africains.
Il n’existe pas de meilleurs endroits que le Rwanda pour célébrer la bonne gestion des « services publics » – le thème retenu pour le Governance week-end cette année. À l’arrivée à Kigali, le pilote prévient les passagers de laisser leurs sacs plastique dans l’avion : ici, c’est interdit. Pas un seul détritus ne jonche les rues de Kigali, régulièrement consacrée ville la plus propre d’Afrique par le programme des Nations Unies ONU-Habitat.

Pour trouver les champions de la démocratie, il faut aller plus à l’Ouest au Liberia. Auréolée d’un prix Nobel de la Paix en 2011, Ellen Johnson Sirleaf était la star du Governance Weekend où elle a reçu son prix Ibrahim pour un Leadership d’excellence en Afrique. Cette distinction offre à un président sortant une forme de prime de départ. Le prix n’avait pas été attribué depuis cinq ans, faute de lauréat. « Merci à Ellen Johnson Sirleaf, tu nous as sauvés », a ironisé le président Ivoirien Alassane Ouatara, le soir de la remise du prix à Kigali, avant de laisser place à la lauréate.
J’ai pensé qu’il était temps de laisser le pouvoir à la jeune génération.
Ce choix de la démocratie a valu à Madam – le surnom d’Ellen Johson Sirleaf – le rejet de son propre camp, qui l’a exclu du parti au lendemain des élections de décembre. Qu’importe, en offrant à son pays l’élection libre et transparente qui a vu triompher l’opposant Georges Weah, Ellen Johnson Sirleaf a respecté la voix de son peuple. Sortie la tête haute après deux mandats difficiles, elle peut aussi s’enorgueillir d’avoir garanti quinze années de paix ininterrompue à un pays sorti de vingt années de guerre civile. Cette cérémonie est pour elle l’occasion de dire ce qu’elle a sur le cœur et de rendre hommage à son amie Lucia. Première prisonnière politique du Liberia enfermée dans une prison de haute sécurité, cette ancienne activiste a partagé la même cellule que Madam en 1985. « Je me demandais ce qu’une ancienne ministre pouvait bien faire avec moi en prison », a-t-elle expliqué à Paris Match.

Pendant ces longues semaines de détention, les deux femmes ont parlé politique et de l’avenir de leur pays. Lucia a ensuite rejoint le cabinet d’Ellen Johnson Sirleaf à Monrovia. « Elle n’a jamais renoncé à ses principes, jamais fait enfermer qui que ce soit pour des motifs politiques. » Presque octogénaire, Ellen Johson Sirleaf continue de militer pour la « quête de démocratie », le « respect des limites de mandats » et le « renforcement des pouvoirs de la société civile ». Elle continuera son œuvre avec le Ellen Johnson Sirleaf Presidential Center for Women and Development.
L’autre héros du Governance Weekend s’appelle Hailemariam Desalegn
A 52 ans, l’ancien Premier ministre d’Ethiopie a démissionné le 2 avril dernier. La raison ? « Les réformes n’avançaient pas assez vite. » Devant un public passionné et un Mo Ibrahim ébahi, Hailemariam Desalegn a expliqué son geste. Il a d’abord énuméré les progrès (immenses) accomplis par l’Ethiopie au cours des deux dernières décennies. Des avancées économiques et sociales stupéfiantes avec un taux de croissance annuel de 9% et un demi-million de jeunes diplômés chaque année.
Mais l’ancien Premier ministre a dit regretter les rivalités ethniques et l’absence de modèle inclusif. L’inégalité de partage du pouvoir entre les ethnies était la cause des manifestations de 2015 et 2016 qui ont provoqué presque un millier de victimes. « Il faut des réformes profondes et rapides. Il faut aller vite, sinon on risque la désintégration de notre pays », a-t-il expliqué. « Le problème principal de l’Afrique, a-t-il ajouté, c’est que les gens s’accrochent au pouvoir. J’ai voulu montrer qu’il est possible de le quitter et redevenir un citoyen comme les autres. » Ovation du public. Et Mo Ibrahim de conclure que « c’est la première fois en 3000 ans d’histoire qu’un Leader éthiopiens quitte le pouvoir délibérément ». « Il a mis les autres politiques face à leur responsabilité, c’est remarquable ».
À quelques kilomètres à la ronde, parmi les voisins du Rwanda – Burundi, Ouganda, Tanzanie et RDC -, les exemples de chefs d’État accrochés au pouvoir ne manquent pas. Le dossier le plus chaud reste la République démocratique du Congo.

Nous allons réformer l’Union africaine.
L’Union africaine est-elle en mesure de pousser un chef d’Etat vers la sortie ? « N’est-elle pas, comme le souligne ironiquement Mo Ibrahim, un club où les chefs d’État protègent leur pouvoir respectif ?» L’espoir de Paul Kagamé, président de l’UA est de « changer les mentalités » avec un programme de réformes. En premier lieu, l’Union africaine devrait être financée par les Etats membres et non plus par divers programmes de développement. « Il n’est pas normal que nous ne financions pas notre propre budget alors que nous en avons les capacités », a observé Kagame. Mo Ibrahim saisit cette opportunité pour rappeler combien l’aide des Chinois était intéressée. Après avoir construit le siège de l’UA à Addis Abeba, ces derniers ont jugé bon de truffer le bâtiment de micros.
