« Donald Trump et Nikki Haley avaient passé un pacte politique »

Nikki Haley et Donald Trump dans le Bureau ovale, le 9 octobre 2018. | © Olivier Douliery / AFP
Avec la démission de Nikki Haley, l’administration de Donald Trump a connu un autre départ important, à moins d’un mois des élections de mi-mandat. Corentin Sellin, professeur d’histoire en CPGE et spécialiste des États-Unis, revient pour Paris Match sur cette annonce et sur l’échéance électorale à venir.
Paris Match. Nikki Haley a annoncé mardi sa démission du poste d’ambassadrice américaine aux Nations unies, avec une grande surprise : le timing.
Corentin Sellin. C’est ce que relèvent des élus et des stratèges républicains : tout en reconnaissant la qualité du travail de Nikki Haley, et lui promettant un avenir politique des plus radieux, ils ne comprennent pas bien le timing de l’annonce. Mais la lettre de démission est datée du 3 octobre, il est très logique que Donald Trump et Nikki Haley aient voulu le mettre en scène, une semaine plus tard, à l’issue d’une semaine extrêmement positive pour l’administration Trump.
Elle a d’ailleurs exclu toute candidature personnelle en 2020.
D’après ce qu’affirme le Washington Post, c’était une exigence de l’équipe Trump, ce qui est bien naturel car il ne s’agit pas d’avoir un rival à l’extérieur, que l’on pourrait moins bien contrôler. Le choix est politiquement assez logique : avant l’administration Obama, qui avait été une exception avec seulement deux titulaires du poste en huit ans, qui ont fait chacune quatre ans, deux ans était généralement la durée moyenne de tout ambassadeur des États-Unis à l’ONU. Ce n’est pas illogique. Par ailleurs, Nikki Haley aura été associée à deux années de l’administration Trump qui, aux yeux des conservateurs, se sont très bien passées. Elle a obtenu ce qu’elle voulait dès le départ : une expérience internationale qui enrichit son CV. Elle peut maintenant attendre, parce qu’il ne faut pas oublier que Nikki Haley est extrêmement jeune, elle a à peine 46 ans. Elle a tout le temps pour elle, pour briguer de plus hautes fonctions.
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« Dina Powell apparaît comme la favorite logique »
Comme celle de vice-président pour l’élection de 2020 ?
Mardi, les réseaux sociaux et les talk-shows humoristiques se moquaient de Mike Pence qui pouvait peut-être s’inquiéter d’un changement de ticket en 2020, car on sait que Donald Trump va tenter de reconquérir l’électorat féminin blanc. Cependant, ce changement de ticket, et une promotion de Nikki Haley, paraît un peu incertain : il est très rare, surtout à l’époque contemporaine, de changer de colistier pour une élection et ne pas garder le vice-président en place. Le dernier était Gerald Ford, en 1976. Par contre, pour une issue plus probable, surtout pour un Donald Trump qui aime les changements et permutations de postes, c’est d’avoir bientôt Nikki Haley secrétaire d’État. C’est une filière traditionnelle : Madeleine Albright avait été pendant quatre ans l’ambassadrice aux Nations unies avant d’être nommée secrétaire d’État par Bill Clinton. C’est arrivé plusieurs fois. C’est un poste qui serait l’étape supérieure et Donald Trump l’a dit lui-même : Nikki Haley reste un peu en réserve pour des postes encore plus prestigieux, éventuellement pour un deuxième mandat.
La vraie question maintenant est : qui pour la remplacer ? Ivanka Trump, évoquée par son père, a nié. Mais on parle surtout de Dina Powell, un poste pour lequel son nom avait circulé quand elle avait quitté l’administration.
Dina Powell apparaît comme la favorite logique pour plusieurs raisons. Dernièrement, les ambassadeurs aux Nations unies ont été des ambassadrices. Mais Powell présente aussi, pour Donald Trump, d’autres avantages : c’est une Américaine née en Egypte, elle est parfaitement arabisante, est une grande spécialiste du Moyen Orient, et a une image de compétence. Elle appartient, comme Nikki Haley, à un cercle conservateur plus traditionnel, c’est une proche de la famille Bush. Cela réconcilierait, comme l’avait fait Nikki Haley, toutes les factions conservatrices, réunifiées derrière Trump. Trump jouerait à la fois la continuité et l’élargissement politique, ça serait un choix très logique. Mais avec Trump, on sait qu’il faut se toujours se méfier des choix qui apparaissent trop logiques.
C’est aussi un des rares départs de la Maison-Blanche qui apparaît sans accroc, sans scandale, ou sans animosité.
Tout simplement parce que Nikki Haley et Donald Trump avaient passé un pacte politique. Nikki Haley n’avait pas été très tendre pendant les primaires de 2016, avait condamné à la fois le ton et les outrances de Donald Trump mais avait décidé de se rallier à lui car elle savait qu’elle devait passer par la case d’une administration présidentielle pour étoffer son CV : il ne faut pas oublier qu’elle a été élue très tôt, gouverneure, à l’âge de 38 ans. Donald Trump devait envoyer des signes à l’électorat féminin conservateur, après cette campagne si difficile et injurieuse pour les femmes. Il avait besoin d’avoir un profil féminin, issu de l’immigration comme l’est Nikki Haley qui est d’origine indienne. Au bout de deux ans, chacun a retiré de ce pacte ce qu’il attendait : Donald Trump a eu une ambassadrice extrêmement loyale, rigoureuse, qui a appliqué à la lettre les consignes de son patron. On sait que Donald Trump a vraiment apprécié cette loyauté d’une femme qui n’a pas toujours été en accord avec lui. Et Nikki Haley a maintenant cette expérience internationale. Chacun peut s’être estimé satisfait. A moins qu’on apprenne une cause de départ a posteriori, chacun a vraiment retiré le meilleur de ces deux années de Nikki Haley à l’ONU.
« On peut se demander si le métier de président ne finit pas par rentrer »
On a l’impression que le turn-over de l’administration Trump est assez impressionnant. Est-ce inédit ?
La seule administration à laquelle on pourrait comparer celle de Trump à conditions équivalentes est l’administration Reagan, qui avait connu aussi des changements incessants, souvent contraints, au poste de conseiller à la sécurité nationale et au poste de « chief of staff », dont la fameuse discorde qui s’était installée avec Donald Regan. On avait aussi cette mobilité, mais souvent plus contrainte par des scandales, par la pression de la presse, dans la décennie suivant le Watergate. Ce qui est plus atypique chez Donald Trump, c’est le côté volontaire : il décide de départs, change régulièrement ses équipes sans y être contraint –même si c’est arrivé. Donald Trump l’a annoncé, il veut gérer l’État et la haute fonction publique avec une démarche qui était la sienne lorsqu’il était patron, c’est à dire des équipes réduites, un petit nombre de personnes mais de grande confiance – et la fameuse prime à la loyauté – et avec un renouvellement extrêmement fréquent, parce qu’il y a l’idée qu’on est dans des missions courtes et qu’une fois la mission accomplie, soit on change de poste, soit on s’en va. Il applique ça à la lettre et cela tranche de l’administration Obama avec des mandats de longue durée qui, sauf accident ou scandale majeur, ont été nommés pour quatre ans : Hillary Clinton et John Kerry au secrétariat d’État, Samantha Power et Susan Rice à l’ONU. Cela entretient un turn-over régulier, ce qui est le plus souvent du temps voulu –mais ça ne veut pas dire que c’est le plus souvent du temps bien fait. Clairement, pendant la première année, il y a eu beaucoup de couacs dans la mise en scène des départs parce qu’on avait une administration très faiblement peuplée et surtout extrêmement inexpérimentée.
Donald Trump se rattrape-t-il avec la mise en scène de mardi à la Maison-Blanche ?
C’est ce que beaucoup d’observateurs font remarquer : on peut se demander si le métier ne finit pas par rentrer. On a pu voir dans la gestion des ouragans : même si l’ouragan Florence était moins fort que prévu, on a vu un Donald Trump qui avait organisé des séquences média où il se montrait très empathique, très compatissant avec les gens, en total contraste avec ce qu’on avait vu l’an dernier avec les naufragés des ouragans. Il ne faut pas oublier qu’il n’avait jamais été élu, même à l’échelle locale, il n’avait aucune expérience du monde politique. C’est encore loin d’être parfait, on a vu qu’il y a encore beaucoup d’écarts, mais on note quand même, peut-être, une forme de normalisation, à confirmer.
« Si la majorité reste républicaine au Sénat, cela serait une victoire politique »
Donald Trump est parti depuis plusieurs semaines faire ce qu’il adore : il mène la campagne électorale. Dans les sondages, les chances de victoire démocrate au Sénat, déjà très faibles, ont encore diminué. Les chiffres économiques, qu’ils lui soient imputables ou non, sont bons. Toute l’affaire Kavanaugh a mobilisé la base conservatrice. Les républicains vont-ils finir par sortir la tête haute de ces élections de mi-mandat, alors qu’ils étaient promis à une défaite cuisante ?
On le savait depuis longtemps à cause du calendrier des 35 sièges remis en jeu, il apparaît impossible que le Sénat repasse à majorité démocrate. Les démocrates défendent 26 sièges, les républicains n’en défendent que neuf. Pour reprendre un gain de trois sièges nets, il faudrait vraiment que les démocrates gagnent 29 des 35 élections, ça paraît totalement insensé. Ca serait pour Trump une vraie satisfaction puisqu’il pourrait dire qu’il a au moins conservé sa majorité au Sénat. Dans ces élections sénatoriales, et surtout parce que le Sénat a été le lieu où s’est noué le drame Kavanaugh, cela aura une grande symbolique politique. Certains sondages semblent indiquer, en particulier dans l’électorat indépendant, que les démocrates en ont trop fait, se sont trop acharnés sur Kavanaugh. Mais dans le même temps, pour les élections à la Chambre des représentants, qui sont toujours plus locales, les chances démocrates ne cessent d’augmenter et on se demande comment les démocrates pourraient ne pas reprendre la majorité. Mais ce qui est un peu logique car il faut rappeler que la majorité des républicains est de 23 sièges. Or, Hillary Clinton l’avait emporté dans 25 districts républicains en novembre 2016. On va vers un jugement de Salomon, un peu partagé : une Chambre qui semble devoir redevenir démocrate et un Sénat qui reste républicain. Si la majorité reste républicaine, voir si elle s’étendait, cela serait une victoire politique, surtout après l’affaire Kavanaugh.
Pourtant, la victoire des démocrates à la Chambre pourrait présenter un risque pour Donald Trump car, outre le blocage législatif, les élus pourraient ouvrir des enquêtes parlementaires.
Mais des enquêtes qui n’aboutiraient à rien à cause de la majorité républicaine au Sénat. Il faut rappeler que pour l’impeachment, il faut les deux tiers du Sénat, 67 sénateurs : la majorité républicaine au Sénat servirait de garde fou absolu pour toute difficulté d’ordre judiciaire pour Donald Trump. Le passage de la Chambre aux démocrates bloquerait totalement l’agenda législatif de Donald Trump mais serait-ce forcément un si grand mal pour lui ? Cela signifierait que, dès janvier 2019, on entre en campagne présidentielle et que Donald Trump pourrait faire inlassablement campagne pour reprendre sa majorité à la Chambre. Cette situation de blocage ne serait pas pour lui un désavantage.