Hamon-Valls, le choc des programmes « irréconciliables »
Le second tour opposera deux personnalités de la gauche aux visions totalement différentes
D’après un article PARIS MATCH FRANCE de
Distancé par Benoît Hamon au premier tour de la primaire de la gauche, Manuel Valls attaque les «promesses irréalisables et infinançables» de son adversaire qui garantiraient la «défaite assurée». Dans son viseur, le programme économique et social du député des Yvelines, déjà au centre des débats successifs.
Le revenu universel d’existence (Hamon)
Présente très tôt dans le programme de Benoît Hamon, l’idée de créer un revenu universel d’existence consisterait, à terme, à distribuer 750 euros à chaque citoyen majeur, sans condition de ressource ni contrepartie. Celle qui deviendrait «la mesure structurante du quinquennat» monopolise l’attention, notamment par son coût faramineux. Avec 52,16 millions de Français âgés de plus de 18 ans qui recevraient 750 euros par mois, la dépense annuelle s’élèverait à 469,4 milliards d’euros. Auxquels il faut retrancher une centaine de milliards de refonte des aides existantes. Si des expérimentations ont été menées dans plusieurs pays, et notamment en Finlande avec un revenu de base pour 2000 chômeurs de longue durée, cette mesure n’a jamais été appliquée à grande échelle. Difficile, donc, de cerner ses effets. Après plusieurs tergiversations, le candidat a choisi de procéder par étapes. «Dans un premier temps, 45 milliards seraient consacrés à la hausse de 10% du RSA pour atteindre 600 euros mensuels, à son automatisation et son extension aux 18-25 ans. Cette phase peut être mise en œuvre rapidement. Ensuite, la généralisation et la mise en œuvre du revenu universel dépendra des discussions lors d’une grande conférence citoyenne», précise Nicolas Matyjasik, coordinateur du projet de Hamon.
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Son applicabilité suscite beaucoup de perplexité. Le président de COE-Rexecode, l’économiste libéral Michel Didier explique : «Cela me paraît impensable. Trouver 350 milliards d’euros correspondrait à une augmentation de 30% des prélèvements obligatoires. Des hausses d’impôts de cette nature auraient des effets imprévisibles sur les comportements.» Un ancien conseiller d’Arnaud Montebourg s’interroge : «Quels seront la montée en charge et le financement de cette mesure? Comment traite-t-il la réforme de la fiscalité? La philosophie est claire, mais aucune solution n’est apportée aux écueils». A Bercy, le ministre Michel Sapin, soutien de Valls, tranche : «L’idée du revenu universel est irréaliste. Il est honorable de vouloir animer le débat intellectuel. Mais si on fait cela, c’est qu’on a décidé qu’on était battu.»
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Le « revenu décent » (Valls)
Dans la lignée du rapport Sirugue qui lui avait été remis en avril 2016 à Matignon, Valls prévoit aussi une mesure de lutte contre la pauvreté, mais moins spectaculaire que son adversaire : la fusion de dix minima sociaux en un revenu pour tout majeur résidant en France depuis quatre ans, attribué sous condition de ressources. Il s’élèverait à 850 euros. Après avoir évoqué un coût de 30 milliards d’euros en décembre, il a parlé de 8 milliards le 10 janvier dernier.
La taxe sur les robots (Hamon)
Hamon a repris un point de campagne de François Hollande de 2012 et un serpent de mer de la fiscalité : la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Il veut aussi créer un impôt unique sur le patrimoine qui rassemblerait ISF et taxe foncière et un prélèvement sur les robots. A propos de ce dernier, un ancien conseiller de Montebourg déplore : «Les contours restent flous. Cet impôt pourrait pénaliser l’industrie française et encourager des délocalisations.»
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La défiscalisation des heures supplémentaires (Valls)
C’est la surprise du programme. L’ancien Premier ministre a exhumé une mesure symbolique du mandat de Nicolas Sarkozy supprimée par la gauche dès l’été de son arrivée au pouvoir, la défiscalisation des heures supplémentaires. Afin de redonner du pouvoir d’achat, il veut d’abord exonérer les cotisations sociales (soit un coût de 2,5 milliards d’euros) puis les défiscaliser (1,5 milliard). «Cette défiscalisation ne doit pas être conçue comme une mesure permanente. Elle pose la question de l’équité dans l’impôt sur le revenu : comment justifier que les heures supplémentaires soient imposées moins que les autres heures travaillées? Le vrai déblocage, plus efficace, serait celui de la durée du travail», considère Michel Didier. Valls prévoit aussi une revalorisation de la prime d’activité jusqu’à 1500 euros par mois.
La question du déficit
Les deux programmes, très différents, ont pour point commun d’être peu précis et de ne pas comporter de chiffrage clair. Hamon énumère des dizaines de mesures souvent peu détaillées. Nicolas Matyjasik justifie ce flou : «Nous ne sortirons pas de chiffrage global du programme tout de suite. Ce préprogramme sera affiné. On ne veut pas non plus donner trop d’éléments aujourd’hui. Mais c’est un programme solide qui ne tombera pas dans la folie financière.» En matière de déficit public, Hamon a déjà dit sa volonté de de demander un moratoire sur le pacte de stabilité et de changer le mode de calcul du déficit, en excluant l’investissement. Valls dit s’affranchir, lui, de l’objectif d’équilibre budgétaire (0%), mais pas de la règle des 3%. «C’est passé inaperçu, pointe la députée Karine Berger, soutien de Peillon, mais Manuel Valls prévoit une hausse des dépenses de 2,5% par an, soit 35 milliards d’euros par an pendant cinq ans. Ce lâchage des dépenses ne s’inscrit pas dans la continuité de ce qui a été fait par François Hollande.»
Les économistes qui conseillent Benoit Hamon
Le finaliste de la primaire a rencontré ces dernières semaines, selon son entourage, de nombreux économistes, dont Thomas Piketty, l’auteur du «Capital au XXIème siècle» ou Dominique Meda, spécialiste du travail, mais quelques-uns seulement le soutiennent publiquement. Parmi eux, Nicolas Postel, professeur à Lille I, engagé pour le maintien du courant hétérodoxe dans les universités; Aurore Lalucq, co-directrice à l’institut Veblen pour les réformes économiques ou Julien Dourgnon, ancien directeur des études chez UFC-Que choisir, ancien conseiller de Montebourg à Bercy et auteur d’un livre à paraître sur le revenu universel aux éditions Les Petits Matins. Pour ce dernier sujet, l’équipe a travaillé avec le Mouvement français pour le revenu du base, mouvement transpartisan qui a notamment collecté des informations sur cette mesure.