Jean-Denis Lejeune : « Je suis prêt au combat »

Jean-Denis Lejeune, le père de Julie. | © BELGA PHOTO BRUNO FAHY
Face au plaidoyer de l’avocat de Marc Dutroux, la réaction d’un parent de victime.
La perpétuité réelle est une ignominie et son abolition une urgence ». Dans son livre Pourquoi libérer Dutroux ? Pour un humanisme pénal (éd. Samsa, à paraître le 15 février), Bruno Dayez développe un plaidoyer didactique pour une détention maximale de 25 ans et pour systématiser le droit à la libération conditionnelle – qui devrait, dit-il, être acquis au terme d’un certain nombre d’années de prison. Dans son texte puissant et dentelé, en mode crescendo informatif, le juriste-philosophe dénonce le tout-punitif d’un code pénal vieux de 200 ans. En emblème noir de sa cause, le « cas » Dutroux, éminemment symbolique et dont il estime, en substance qu’il peut être porteur, notamment parce que sa médiatisation large a sensibilisé le grand public et parce qu’il incarne le mal aux yeux des Belges. Pour, dit l’avocat, « que la raison l’emporte sur l’émotion » et dans le but avoué de convaincre le « justicier du dimanche ».
En brandissant Dutroux, ce « coupable absolu », en fanion accrocheur, l’avocat dit caresser l’espoir que l’affaire, « vingt ans plus tard, serve de détonateur à une évolution des mentalités en faveur d’une justice du XXIe siècle. Une justice qui replace les personnes, victimes et coupables, au centre de son dispositif et axe son objectif ultime, au-delà du châtiment, sur la réparation ». Le conseil de Dutroux s’attaque aussi à la vacuité et l’inanité du système carcéral, cette justice « stérile » du cercle vicieux, qui porte son lot d’absurdités et de contradictions. Il s’interroge sur la cruauté gratuite et l’hypocrisie de la condamnation à perpétuité qui, sans espoir de sortie, équivaut à une mise à mort dit-il, une « peine de mort déguisée sous le fard d’une peine à vie ».
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Jean-Denis Lejeune, père de Julie, l’une des victimes de Marc Dutroux, n’a pas manqué de réagir à ce texte qui évoque le spectre de la libération de « l’ennemi public numéro un ». Son discours, au fil des ans, n’a pas évolué d’un iota. Une vision forcément aux antipodes du terrain sur lequel le juriste entend ouvrir le débat. « Mes détracteurs puiseront (dans ma réflexion) tout ce qui leur conviendra pour me contredire. D’une certaine façon, je leur tends le bâton pour me battre », commente, réaliste, Bruno Dayez en préambule. Son travail aura au bas mot le mérite de raviver les commentaires, quelles que soient les sphères où l’on croisera le fer.
Dans son livre, Bruno Dayez dit ceci. « Marc Dutroux est un condamné définitif. La tâche de l’avocat n’est plus de contester sa culpabilité ou de plaider sur sa peine. Elle est, clairement et sans équivoque, de plaider sa libération dès qu’il entre dans les conditions légales pour en faire la demande. Cette affirmation peut paraître scandaleuse aux yeux du néophyte. Il n’en reste pas moins que c’est la mission spécifique de l’avocat. (…) » Comprenez-vous dans l’absolu la démarche de l’avocat de Marc Dutroux ?
Jean-Denis Lejeune. Le fait que M. Dayez demande la libération conditionnelle de Dutroux est une démarche légale en Belgique pour le moment.
On n’est que des petites mouches dans un tribunal où on a le droit d’entendre et de subir tous les débats entre avocats et le point de vue des accusés.
« Même si l’on infligeait au condamné un sort exactement identique à celui qu’il a réservé à sa victime, cela ne résoudrait rien, puisque la peine ne pourra jamais abolir le crime. Celui-ci est irréversible et le mal infligé en réaction au mal causé, bien sûr, ne pourra pas remettre les choses dans leur état initial. Prétendre compenser un mal par un autre est donc une ambition vaine, frappée d’irrationnel », dit encore Bruno Dayez. La peine n’abolit pas le crime en effet… Est-ce une évidence à vos yeux aussi ?
Bien sûr. Jamais on ne pourra me rendre ma fille même si on m’offre deux valises remplies de billets.
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Autre extrait du livre : « La médiatisation de ces affaires rend leurs protagonistes plus familiers grâce, en particulier, à la télévision, la seule perception que la plupart des citoyens ont de leur justice se limitant à sa mise en forme télévisuelle. A longueur de mois, les familles des victimes sont interviewées pour savoir si elles sont satisfaites du cours de l’enquête, puis de la sévérité du verdict, enfin de la possible libération du condamné. Il s’agit en fait d’une dérive qui consiste à muer les victimes en « agents de la répression », alors que, comme dit ci-avant, elles ne sont certainement pas impartiales quant au sort à réserver au coupable, raison pour laquelle, dans notre droit, elles n’ont même pas « voix au chapitre » à ce sujet. En les plaçant au centre du dispositif pénal, on leur fait jouer un rôle qui n’est pas le leur, tout en les privant par ailleurs de ce qui leur revient de droit, à savoir, avant tout autre chose, que leur douleur soit prise en compte ». La victime se transforme à tort, via les médias, en « agent de la répression » ? Il faut admettre que le point de vue des victimes ne peut pas guider la justice.
Je ne vais pas répondre à ça. Je dirais simplement qu’à partir du moment où les experts psychiatres ont démontré que Dutroux est un psychopathe, que sa pathologie ne se soigne pas, que c’est irrécupérable et qu’il est socialement non ré-insérable. Partant de ce constat je me demande ce que cherche Bruno Dayez à part faire le buzz et avoir une visibilité personnelle.
Quant à nous, les victimes, on ne décide pas de la gravité des peines en effet. On n’est que des petites mouches dans un tribunal où on a le droit d’entendre et de subir tous les débats entre avocats et le point de vue des accusés.
Dutroux est irrécupérable et donc non réinsérable dans notre société.
« Du point de vue de la société, la peine de prison vise essentiellement à mettre hors d’état de nuire des gens considérés comme dangereux en vertu de ce dont ils se sont rendus coupables. Accessoirement, il s’agit de « montrer l’exemple » en punissant de telle façon que quiconque soit dégoûté d’enfreindre la loi. Enfin, la peine est censée viser la réinsertion du condamné dans la société dès qu’il sera en mesure d’y retrouver sa place. Du point de vue des victimes enfin, force est d’admettre que l’emprisonnement du coupable n’a d’autre vertu que de leur offrir une compensation, forcément relative, pour la douleur qu’elles subissent. Comme si le fait d’infliger une souffrance au condamné pouvait soulager la souffrance des victimes (…) Nous sommes à cet égard dans l’ordre du pur symbole ». Le fait d’infliger une souffrance au condamné permet-il vraiment aux victimes, comme on le dit souvent, de « faire son deuil », pour utiliser une expression galvaudée ?
Je ne pourrais pas répondre directement. Pas question ici d’accentuer ou de prolonger une souffrance du condamné, mais de protéger notre société des cas de récidive d’un individu tel que Dutroux. On n’inflige pas de souffrances, on ne veut plus avoir de prédateurs, de gens nocifs dans notre société.

« Si la peine ne peut équivaloir à une forme quelconque de représailles, si elle n’a pas pour raison d’être essentielle de satisfaire les victimes en étant mesurée en proportion du tort qui leur a été fait, à quel étalon de mesure doit-on se référer pour fixer la peine appropriée ? » « (…) Notre échelle de peines n’est qu’un simple échafaudage, une construction de l’esprit ». Bruno Dayez estime qu’on devrait aller vers une peine de vingt-cinq ans de prison, au maximum. Marc Dutroux est quant à lui condamné à perpétuité avec dix ans de mise à disposition du Tribunal d’application des peines (TAP). Pour rejoindre les propos de l’avocat, 25 ans en prison, n’est-ce pas en effet suffisant ?
Non. Lors du procès à Arlon, Marc Dutroux a été jugé par des experts psychiatres, ils l’ont diagnostiqué psychopathe, je le répète. Il a été médicalement démontré que ça ne se soigne pas. Dutroux est irrécupérable et donc non réinsérable dans notre société.
La perpétuité existe bel et bien en Belgique mais les détenus ont également la possibilité de solliciter une liberté conditionnelle à partir du tiers de leur peine. Comme la perpétuité n’est pas quantifiable, elle est assimilée virtuellement et exclusivement dans le cadre d’une libération conditionnelle à une peine de trente ans. C’est dont exclusivement dans ce cadre qu’elle peut être convertie en trente ans. La mise à disposition du gouvernement s’est transformée en mise à disposition du Tribunal d’application des peines. Pour un récidiviste, il faut attendre 17 ans avant d’introduire une demande.
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Bruno Dayez déplore que la justice aujourd’hui soit axée sur le « tout-sécuritaire » et regrette par ailleurs l’application de sanctions qui font « souffrir celui qui la subit sans en percevoir le sens ». Marc Dutroux est placé sous régime de sécurité particulière individuelle (RSPI). Une « prison dans la prison », ce qui en fait un « détenu au carré » comme l’indique encore son avocat. Neuf mètres carré, une heure de sport par semaine, le « droit de nettoyer le préau avant que d’autres n’y déambulent ». « (…) Marc Dutroux est ainsi devenu à son détriment le révélateur des carences du système, mais également de sa violence intrinsèque (…). (…) En faisant subir un tel régime de détention, il donne à croire que ces mesures sont justifiées, ce qui équivaut à peu près à légaliser la torture. » (…)
La « torture » de Dutroux je n’en ai rien à faire. Quelle torture ? Mais vous, vous n’êtes même pas venus voir dans quelles conditions les petites étaient séquestrées. Moi ce que j’aurais voulu avoir, c’est ma fille à mes côtés. Lui a pris des risques, il a joué et perdu c’est à lui à assumer, pas à moi à faire des courbettes pour qu’il puisse avoir un traitement meilleur. Je vous parle sans connaître le traitement qu’il subit pour le moment, ce n’est pas mon problème.
Avez-vous eu envie des pulsions de meurtre vis-à-vis de lui ?
Évidemment. Je pense que ce ne serait pas honnête d’affirmer le contraire et je n’ai pas envie de me faire plus saint que la sainte vierge ou le pape, c’est comme vous préférez.
Bruno Dayez plaide pour des plans de reclassement costauds pour les « désinsérés » de la société dans ce « dépotoir sans ciel ouvert » que sont les prisons belges. Un no man’s land que l’on ne connaît qu’à travers la parole des détenus ou ex-détenus. Votre avocat, Georges-Henri Beauthier, nous avait dit lors d’un précédent entretien voir la prison, de fait, comme un « trou à rats ».
Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai encore rien fait pour me retrouver en prison donc je ne pourrais pas parler du contexte carcéral car je ne le connais pas. Il faut faire la différence aussi entre ceux qui commettent des petits délits pour subvenir aux besoins de leur famille et d’autres. Je trouve petit de la part de M. Dayez d’utiliser le monde carcéral dans sa globalité pour faire valoir les droits de son client. Qui, reconnaissons-le, a quand même un CV relativement important. Rappelons qu’il est multirécidiviste. Dois-je reparler les enlèvements de Julie, Mélissa, An, Eefje, Sabine, Laetitia, les filles tchèques etc. Je vous épargne ce rappel car vous n’en aurez pas l’espace, le dossier fait 500 000 pages…

« Si l’on veut bien comprendre que la punition n’est qu’un passage obligé pour pouvoir, un jour ou l’autre, reprendre le cours normal d’une vie, on doit admettre que le fait de piétiner des gens à terre n’est pas la méthode la plus appropriée pour les remettre debout ». Vous concevez tout de même que la réinsertion des détenus est un vrai travail qu’il faut préparer ?
Je crois qu’il faut tout simplement fonctionner au cas par cas pour pouvoir adapter la situation plutôt que de faire une généralité de tout le monde carcéral.
Avez-vous déjà pensé à cette problématique avant l’affaire Dutroux ? Avez-vous été, auparavant, sensible à la cause des détenus au sens large ?
Non. Je n’étais pas du tout dans un état de réflexion sur le monde carcéral. Ce n’était pas ma tasse de thé car je ne me sentais nullement concerné par cette problématique.
Au chapitre « La mort n’est plus une peine », l’avocat de Marc Dutroux dit ceci : « (…) l’abolition de la peine de mort a entraîné implicitement mais certainement l’abolition de la perpétuité, car celle-ci revient à une forme particulièrement cruelle de mise à mort. Si le criminel se savait condamné à mourir derrière les barreaux, si sa cellule devait être son caveau et la prison son cimetière, il s’agirait d’un châtiment bien pire, et plus barbare, que l’échafaud, la guillotine ou la piqûre létale. Or, l’exercice d’une justice un tant soit peu humaine, marque d’une civilisation évoluée, est incompatible avec un tel mode de torture ». Vous évoquiez la peine de mort, ne pensez-vous pas qu’en effet la prison à vie est bien pire ?
Je vous le répète, c’est le moindre de mes embarras.
J’aimerais réellement savoir ce qu’il s’est passé.
Que serait à vos yeux une peine réparatrice ?
Il n’est pas question de réparer car il n’y a dans notre cas rien de réparable. On ne parle pas d’un téléphone portable qui est tombé et qu’on va remplacer. On parle de la mort d’enfants. C’est irréversible. En revanche, ce qui m’intéresserait c’est de connaître la vérité sur ce qui s’est réellement passé depuis le 24 juin 1995 lorsque Julie et Melissa ont disparu. On ne le sait toujours pas avec certitude. Chacun a sa version. Peut-être qu’un jour les langues se délieront.
« La prison sert à punir le condamné (…) en proportion de sa faute. Elle vise en second lieu à le dissuader de recommencer. (…) Enfin, elle vise à amender le condamné, à lui permettre de « faire retour sur lui-même» et d’exprimer un « repentir sincère » pour obtenir son rachat ». Dutroux aurait-il pu payer sa dette autrement, dans un esprit d’amélioration de soi et de repentir vis-à-vis des victimes, de la société ? Est-ce qu’une manifestation de regrets aurait pu vous aider ?
Il n’est pas question de repentir mais de savoir. Ça me réconforterait en partie. J’aimerais réellement savoir ce qu’il s’est passé. Évidemment il ne va rien reconnaître s’il espère être libéré conditionnellement.

S’il vous demandait pardon, accepteriez-vous de l’entendre ?
Pas du tout. Il n’est pas question de pardon. Ma fille ne s’est pas envolée seule. Il est responsable de tout ce qui s’est passé, ça a été jugé. Ne me parlez pas de pardon. Quoi qu’ils fassent, ni Michelle Martin, ni Dutroux, ni les autres, ni ceux que je ne connais pas – car pour moi ils n’étaient pas seuls responsables dans cette histoire – ne pourront demander pardon. Il n’y a aucune place pour le pardon.
Si Marc Dutroux avait exprimé de la compassion à votre égard, cela aurait-il changé votre regard sur lui ou sur les faits ?
Nullement.
Bruno Dayez met en cause le principe des projections psychiatrique quant à la dangerosité à venir d’un individu. Il estime qu’« utiliser la psychiatrie à d’autres fins que soigner devrait faire l’objet d’un débat ». Les experts, dans ce domaine comme dans d’autres, peuvent toujours être confrontés aux avis de contre-experts. Cette valse des expertises vous a-t-elle secoué ou laissé de marbre ?
Je vous dirai simplement ceci : je trouve étonnant de la part d’un avocat soucieux des droits de chacun de violer ainsi, par la pression médiatique, l’indépendance des juges qui auront à débattre de la libération éventuelle du bourreau de ma fille. Je me questionne et vais interroger le bâtonnier quant à la façon dont cet avocat met sous pression le processus judiciaire.
Votre conseil, Georges-Henri Beauthier cautionne-t-il cette mise en cause que vous venez d’évoquer ?
Me Beauthier n’a pas pris connaissance encore des propos que je vous livre. Je vous donne le fond de ma pensée et je l’assume.
Avez-vous personnellement totale confiance dans ces projections psychiatriques, que vous avez déjà partiellement mentionnées ?
J’ai fait état de l’avis des psychiatres à Arlon. Je ne suis pas médecin, je ne peux que prendre connaissance des rapports.
Estimez-vous que dans son plaidoyer Bruno Dayez montre trop de foi dans la nature humaine ?
Je ne suis pas d’accord avec la manière dont il fait une généralité du monde carcéral et du peuple qui vit en prison. Il ne fait aucune différence, cette approche ne m’intéresse pas puisque son client est de la pire des espèces. Il est évident que le comparer à des gars qui ont volé trois oranges dans un supermarché est facile.
Croyez-vous que l’Homme est fondamentalement bon ?
Je n’en sais rien. Je sais juste qu’un enfant naît innocent. À 8 ans, les petites filles qui ont été enlevées étaient pleines d’innocence vis-à-vis de la vie.

Qu’est-ce que l’enfermement apporte ? Qu’a-t-il apporté à Dutroux, outre une « protection de la société » ? Plus généralement, croyez-vous en la rédemption ?
Oui j’y crois mais d’une manière générale. Dutroux reste un cas particulier. Sinon, oui tout le monde a le droit de commettre une erreur. Ces erreurs peuvent avoir des conséquences irréversibles. Il faut avoir alors si c’était accidentel ou intentionnel. Il faut faire du cas par cas. L’enlèvement des enfants et ce qui est arrivé à ma fille et aux autres n’est pas accidentel.
Comment aviez-vous perçu Marc Dutroux à l’époque des faits et qu’en savez-vous de plus aujourd’hui ? Votre opinion de lui s’est-elle affinée, a-t-elle évolué avec le temps ?
À l’époque, je l’ai vu comme celui qui m’a enlevé et tué ma fille et je le vois exactement de la même manière aujourd’hui : une ordure.
Lui voyez-vous ne serait-ce qu’une circonstance atténuante ? Quels points dans son éducation, son parcours, ont pu à vos yeux le faire basculer ?
Je ne me permettrais pas de juger ses parents car je ne les connais pas.
Vous ont-il fait un signe quelconque ?
Non.
S’ils le faisaient, prendriez-vous leur demande en considération ?
Je ne sais pas.
Cette femme est responsable de la mort de ma fille et a reconnu qu’elle n’était pas allée nourrir les filles pendant que son mari, Dutroux était en prison. Je vous rappelle qu’elle allait en revanche nourrir les chiens.
Vous avez écrit à Michelle Martin, vous l’avez même rencontrée. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur cet échange ?
Je lui avais écrit pour obtenir des réponses. Elle m’avait répondu qu’elle préférait m’en parler plutôt que de me répondre par écrit. Nous avons donc eu un échange en effet. J’ai eu sa version des faits. Libre à moi maintenant de mesurer la part de vérité qu’elle a lâchée, et la part de mensonges. Mais je n’ai rien appris d’autres que ce qui figurait dans le dossier. L’interview avait été bien préparée avec son avocat je pense.
Comment a-t-elle présenté son rôle ?
Elle s’est fait passer pour une femme soumise, a demandé pardon, dit qu’elle regrettait, ne comprenait pas. Cette attitude, ne me semble pas normale. Cette femme est responsable de la mort de ma fille et a reconnu qu’elle n’était pas allée nourrir les filles pendant que son mari, Dutroux était en prison. Je vous rappelle qu’elle allait en revanche nourrir les chiens.
Crédibles ou pas, ces propos vous ont-ils apaisé ?
Depuis l’enlèvement des petites, il y a des portes qu’on ouvre, d’autres qu’on referme. J’ai l’impression qu’avec elle j’étais au bout du couloir avec une porte entrouverte. Qu’il fallait la refermer et qu’avant de la fermer il fallait regarder ce qu’il y avait derrière.

Et vous avez pu apercevoir ce qu’il y avait derrière cette porte ?
Effectivement.
Aimeriez-vous la revoir pour évoquer certains points encore ?
Non, vraiment pas. Ce n’est pas nécessaire. On a eu quatre heures d’échange, si elle avait des choses intéressantes à dire, c’est à ce moment-là qu’il fallait le faire. Je n’ai même pas envie de la recroiser.
Sa libération conditionnelle n’a pas changé grand-chose dans votre vie, si ce n’est qu’une fois hors des barreaux elle a pu vous parler ?
Exactement.
S’il sortait un jour, demanderiez-vous à rencontrer Dutroux ?
C’est un non-sujet.
On vous a beaucoup reproché d’être omniprésent dans les médias, de rechercher la visibilité. Était-ce une façon de se griser de lumière ?
C’est un peu compliqué. Au début, en 95, quand les petites ont disparu, nous avons eu besoin de relais, notamment des médias, pour faire savoir que les enfants avaient disparu. On avait voulu diffuser un maximum les affiches pour qu’on voie les enfants partout, et pour tenter d’obtenir des éléments qui permettent de les récupérer. Après, il y a eu tout ce conflit entre police et justice. C’était un combat ou un dialogue qui était difficile car en général les parents des familles n’ont pas l’habitude de s’opposer aux forces de l’ordre. Ce n’est pas courant. Nous avons établi que l’entente n’était pas bonne entre les différents services de police etc. Deux commissions parlementaires de six mois ont prouvé que ce qu’on avait affirmé depuis le début était juste. Je n’ai jamais demandé à aller sur les plateaux télé. Je me suis montré disponible quand la presse me contactait pour demander des éclaircissements. Je vous rassure, je n’ai pas un orgasme quand je vois ma photo dans le journal ! Que les choses soient claires. Ici, j’ai essayé de retrouver les filles, c’était notre objectif. On s’est mis pas mal de monde à dos mais je m’en fous, la priorité était de les rechercher.
La seconde partie du combat a été d’essayer d’obtenir la vérité sur notre affaire et à nous mettre à la disposition de ceux qui le souhaitaient pour faire en sorte, autant que possible, que ce type de fait ne se reproduise pas. A un moment, j’ai voulu mettre un frein à ce combat. J’ai arrêté d’en parler car ça me polluait. Mais ça s’est révélé impossible car il y avait régulièrement des éléments liés au dossier qui surgissaient. Et si je ne réagissais pas par rapport à la sortie de tel ou tel bouquin – en l’occurrence ici sur l’évocation de la libération conditionnelle de Dutroux -, je pense que ce serait un acte de lâcheté par rapport à la population. Il serait lâche de ne pas monter au créneau pour dénoncer ce que je vois comme de la provocation.

Quelle est la meilleure posture pour tenter d’obtenir la paix de l’esprit : pouvoir s’accorder une marge d’oubli, sinon de pardon, ou poursuivre une lutte coûte que coûte ? Sur quoi porte votre combat premier aujourd’hui ?
Mon combat ? Mais je suis un guerrier, je lutte contre le système judiciaire actuellement en place en Belgique. Et effectivement, il y a là un débat politique qui doit avoir lieu. Je reste attentif à tout ce qui se passe concernant l’affaire Dutroux. Étant quand même concerné, il est normal que je reste vigilant et que j’essaie d’apporter ma petite pierre là ou c’est possible, notamment via les projets avec mon ASBL, Objectif Ô.
Et puisque vous évoquez le mot combat, je reviens au livre de Bruno Dayez. J’ai trouvé une certaine agressivité dans ses propos lorsqu’il dit ceci, au début : « Je choisis le terrain sur lequel nous allons batailler et les armes de notre duel. » Je trouve ça un peu vaniteux. Je réponds à ça que je suis prêt à batailler sur son terrain avec n’importe quelle arme. Je ne refuse pas le combat, ni le duel, ni les armes. Allons-y.
Y a-t-il des faits divers récents, en Belgique ou à l’étranger, qui ont retenu votre attention ou vous ont interpellé ces dernières années ? On peut songer par exemple à l’affaire Maelys de Araujo en France en août dernier, ou à la disparition de la jeune Madeleine McCann au Portugal en 2007 ?
Je retiens surtout la montée du terrorisme dans le monde et le laxisme de certains. Un dossier qui m’a beaucoup touché aussi est l’histoire de cette gamine française tuée par son voisin à Liège. (Louise, étudiante française à l’Université de Liège, tuée en octobre 2017 par un violeur récidiviste qui habitait dans son immeuble. NDLR). Elle avait porté plainte mais n’a pas été entendue. On n’a malheureusement pas tenu compte du passé, du profil de cet homme. C’est le genre de fait qui me met hors de moi.
Vous êtes engagé auprès du cdH. Le parti a-t-il déjà réagi à vos déclarations ou prises de position ?
Je travaille au secrétariat particulier de la ministre Alda Greoli (Vice-présidente des Gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles NDLR). Mais non, le parti n’a pas réagi. Ici, c’est Jean-Denis Lejeune qui vous parle, ce n’est pas un communiqué du cdH. Quand j’ai rejoint le parti, j’ai dit que je gardais ma liberté de pensée et de parole, ça c’est moi. Et s’il m’arrive de ne pas être en adéquation avec la ligne du cdH, celui-ci n’a qu’à me convoquer et prendre la décision adéquate. Moi je suis avant toute chose le papa de Julie. Et ce n’est ni le cdH ni personne qui va me dicter ma façon de penser concernant mon dossier.
Avez-vous rêvé de vous vider la tête, de réinitialiser le disque dur comme dans un film de science-fiction ?
Se vider la tête ? Je ne sais pas si le principe existe. On n’est pas dans Retour vers le futur…