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Les votes contre les visites domiciliaires feront-ils la différence ?

Le projet de loi porté par le gouvernement fédéral divise. | © Belga

Société

En Wallonie et à Bruxelles, 49 communes doivent se prononcer sur les visites domiciliaires cette semaine. Aux États-Unis, l’hospitalité va beaucoup plus loin. Le pouvoir étant fortement décentralisé, les villes et états disposent d’une certaine indépendance. À New York, Los Angeles, Chicago ou Philadelphie, les autorités locales se dressent ainsi contre l’expulsion des sans-papiers, dont le nombre est estimé à 11 millions. Soit l’équivalent de la totalité de la population belge.

C’est un euphémisme de le dire : la question migratoire agite le plat pays depuis plusieurs mois. Et le projet de loi sur les visites domiciliaires divise, jusque dans les rangs du MR, partenaire de la N-VA de Théo Francken (Asile et Migration) et Jan Jambon (Intérieur) au fédéral. Jusqu’à maintenant, à Bruxelles et en Wallonie, 42 communes ont adopté une motion contre le projet de loi visant à autoriser les visites domiciliaires – qui visent à arrêter, sous certaines conditions, une personne en séjour irrégulier chez un tiers -. Côté flamand, Drogenbos est la première commune à avoir (p)osé pareil vote. Selon un décompte communiqué par Ecolo, 54 autres communes sont appelées à se prononcer d’ici fin mars, dont 49 cette semaine. Si les textes diffèrent d’une commune à une autre, le message est le même : le gouvernement fédéral est appelé à reconsidérer sa position et à prendre en compte les avis émis par le Conseil d’État, l’ordre des avocats, l’association syndicale de la magistrature, les Évêques de Belgique ainsi que les associations citoyennes (CNCD, Ligue des droits de l’Homme, Ciré, etc.). Le Parlement est également invité à rejeter toute proposition de loi qui viserait à autoriser des visites domiciliaires.

Vingt communes ont également décidé d’intégrer le réseau des communes hospitalières, « là où les migrants sont des citoyens comme les autres ». Pour en faire partie, les communes doivent mettre en œuvre trois engagements. Primo, sensibiliser la population sur les questions migrations et l’accueil de l’autre. Secundo, améliorer l’accueil et le séjour des migrants dans le respect des droits humains. Tertio, montrer sa solidarité envers les communes européennes et les pays confrontés à un accueil de nombreux migrants.

 

De plus en plus de communes adoptent une motion contre les visites domiciliaires. © Belga / Ophélie Delarouzée

Aux États-Unis, des villes et des états défient l’administration Trump

Chez l’Oncle Sam, les communes hospitalières – un poil plus pugnaces – existent également. Baptisées villes sanctuaires (sanctuary cities), elles désignent les localités et juridictions qui ont décidé de tourner le dos à la politique migratoire fédérale. Des villes comme New York, Los Angeles, Chicago, Boston et Philadelphie, pour ne citer qu’elles, défient ouvertement les autorités fédérales. Les politiques sanctuaires varient d’un endroit à l’autre mais dans l’ensemble, elles visent à réduire la collaboration entre les autorités locales et fédérales. Certaines villes refusent ainsi de livrer des clandestins fraîchement interpellés (ou ayant purgé une peine dans une prison d’état) aux polices des frontières et bloquent ainsi leur expulsion. D’autres ont strictement interdit à leurs fonctionnaires municipaux et aux services de police de questionner les immigrés sur leur statut. D’autres encore n’autorisent pas la détention administrative. Par exemple, à Chicago, les immigrés ont accès à tous les services de la ville, qu’ils soient illégaux ou non. Les policiers ne peuvent pas non plus arrêter des personnes sur base de leur statut. En d’autres mots : si leur seul « crime » est de ne pas avoir de papiers, la police doit passer son chemin. Même chose à Boston, où la détenir un sans-papiers sans mandat d’arrêt est proscrit.

Lire aussi : « Ces villes sanctuaires américaines qui refusent de dénoncer leurs sans-papiers »

Le dernier maillon de cette chaîne de cités rebelles n’est rien de moins que l’État de Californie. Le Golden State a officiellement été proclamé Sanctuary State le 1er janvier 2018. L’argument avancé par le gouverneur : pousser des étrangers dans les bras de la clandestinité a des effets néfastes. Les immigrés en situation illégale sont parfois installés depuis très longtemps aux États-Unis et participent activement à la vie de société. Aujourd’hui, ils vivent dans « la peur d’être déportés ou de voir leurs familles brisées », n’inscrivent pas leurs enfants à l’école, n’osent plus contacter la police ou se tourner vers les professionnels de la santé. Bref, tout le monde est perdant.

La solidarité se paie cash

Ces sanctuaires ont le don d’irriter l’administration Trump, pour qui les villes doivent aider le gouvernement fédéral à appliquer la législation sur l’immigration. Le président a même menacé les villes et états sanctuaires de les priver de subventions fédérales. Bien qu’aucune étude sérieuse ne le prouve, les autorités américaines soutiennent la croyance populaire selon laquelle l’immigration illégale alimente la criminalité. Et se basent, entre autres, sur cet argument pour renforcer la répression envers les sans-papiers. Or, la grande majorité des recherches ont démontré que les quartiers à forte concentration d’immigrés vont souvent de pair avec une baisse du taux de criminalité. Deux études publiées en 2017 ont quant à elle établi que les politiques sanctuaires n’ont statistiquement aucun effet sur la criminalité. Une troisième, publiée dans le Justice Quarterly, montre que les vols diminuent dans les villes sanctuaires mais pas les homicides. Toutes s’accordent cependant pour dire que l’économie se porte mieux dans les comtés sanctuaires que dans les autres. Bref, le débat ne date pas d’hier, même si l’ère Trump l’a ravivé. En 1971, Berkeley (Californie) est devenue la première ville sanctuaire. Le Center for Immigration Studies (CIS), une organisation indépendante, estime que quelques 300 juridictions (villes, comtés et états confondus) ont adopté ce statut.

 

La ville de New York, où des manifestations se sont récemment déroulées, défend férocement son statut de sanctuaire. © AFP

Quel scénario chez nous ?

Le gouvernement fédéral pourrait-il sanctionner financièrement les communes adoptant des motions contre les visites domiciliaires ? Non. « L’État n’a pas un pouvoir de vie ou de mort sur les communes », commente John Pitseys, chargé de recherches au Centre de recherche et d’information socio-politique (Crisp). En outre, ce sont les Régions qui exercent une tutelle sur les entités locales. Pas de scénario à la Trump, donc, d’autant que les motions ont une portée plus politique et symbolique que juridique. « L’intérêt de ce type d’actions est de pousser un certain nombre d’acteurs à prendre position. Pour l’opposition, c’est un moyen de pousser le MR à se prononcer sur la question. Et, in fine, d’influencer la politique fédérale. Pour le MR, ça peut servir à rassurer son électorat plus centriste sans toutefois changer la politique en cours », analyse le chercheur.

La dernière grosse vague de motions datent du débat sur le CETA. 180 communes s’étaient alors prononcées contre le traité. Le parlement wallon a donné son feu vert en 2016. « Il y a parfois des cas intéressants. Dans ce cas-ci, il est interpellant de voir que le groupe MR liégeois a voté la motion s’opposant au projet de loi. D’autant que Christine Defraigne (qui n’est autre que la présidente du Sénat, NdlR) est ouvertement montée au créneau. C’est très singulier. Cela peut pousser un grand nombre de politiques à porter deux casquettes. Ou en tout cas, à se contorsionner », note John Pitseys. Et de citer également l’exemple d’Uccle, commune majoritairement bleue, où le conseil communal a voté contre les visites domiciliaires. Les élus libéraux se sont abstenus.

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