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Aide aux migrants : « Les conduire, c’est mon petit caillou à l’édifice »

La règle d'or en tant que chauffeur c'est surtout « rouler sans s'arrêter ». | © Chavagne Mailys

Société

Chaque jour, des chauffeurs gèrent le transport des migrants du parc Maximilien pour les amener chez les hébergeurs. L’un d’entre eux nous a invité à faire le voyage avec lui.

Du Brabant wallon jusqu’à Bruxelles, une petite Kia à la teinte vanillée prend la route chaque vendredi avec, à son bord, des migrants. Et une fois n’est pas coutume, celle que nous appellerons Françoise (nom d’emprunt) sort sa voiture du garage, malgré la route verglaçante, pour ramener son passager jusqu’au parc Maximilien. Cette chauffeuse volontaire offre ses services aux hébergeurs de la Plateforme Citoyenne de Soutien aux Réfugiés.

Chavagne Mailys

Première expérience, sans attache

Françoise est bénévole depuis maintenant deux mois. Fin décembre, elle entend parler de la plateforme citoyenne grâce à une amie et décide de se lancer dans l’aventure : « Au début, je prenais le métro avec les migrants car je n’osais pas rouler en voiture dans Bruxelles. Mais je voyais bien qu’ils étaient fatigués lorsque j’en reprenais avec moi jusqu’à la station Delta, où je m’étais garée plus tôt. Je me souviens très bien du premier soir : l’un d’entre eux, qui avait à peine 18 ans, venait de recevoir un avis d’expulsion. On lui donnait cinq jours pour plier bagages. Je n’avais pas du tout les capacités de l’aider, et il le savait. Il ne me demandait rien, il voulait simplement m’expliquer sa situation et me montrer sa gratitude ».

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Ce soir-là, la reconnaissance dans les yeux de ce passager encourage Françoise à poursuivre son action citoyenne : « J’ai amené mes petits gars chez leurs hébergeurs et ils m’ont remerciée. Ces moments où ils te prennent dans leurs bras, c’est assez fort. Je me suis dit alors qu’il fallait que je fasse quelque chose, pour eux et pour moi aussi. Car dans mon for intérieur, j’ai envie de consacrer un peu de mon temps à une aide ».

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Et pourtant, malgré toutes les rencontres que fait Françoise, celle-ci a pour principe de ne jamais s’attacher. Elle ne cherche ni à revoir, ni à reprendre contact, ni même à embarquer les mêmes migrants dans sa voiture lors d’un prochain voyage. C’est la peur de souffrir en cas de problèmes qui la force à prendre ses distances : « Quand j’entends ces gens qui construisent une relation avec les migrants qu’ils hébergent mais qu’après, il se passe de mauvaises choses, comme une expulsion du pays par exemple, c’est déchirant. Moi, je veux être sereine ».

Le silence est maître

Dans sa petite auto quatre places – cinq, si on se sert un peu à l’arrière – située sur le parking de la gare d’Ottignies, Françoise attend l’arrivée de M. et de sa famille d’accueil. Il sera son seul passager en direction du parc cette après-midi. La pluie tombée durant la journée et le froid ont formé une fine couche de glace sur l’autoroute, forçant Françoise à rouler au pas lorsqu’elle démarre enfin avec son compagnon de route.

Dans le véhicule, pas un mot. Seuls les bruits de mastication de M. interrompent le silence. Françoise a en effet mis à disposition de son voyageur des sucreries et des fruits, sur lesquels il s’est immédiatement jeté, ravi. Et si le trajet vers le parc Maximilien est toujours silencieux, ce calme n’a rien de pesant pour Françoise, qui ne cherche pas à engager la conversation : « Parfois, la communication prend, parfois pas. S’ils veulent parler et se confier, ils le font, mais je ne force pas. Notamment à cause de la barrière de la langue, surtout que je ne parle pas bien anglais. Mais j’ai remarqué qu’ils sont toujours plus calmes lors du trajet de retour ».

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On le sait, parmi les hébergés du parc Maximilien, on compte de nombreux migrants de transit. Leur passage en Belgique est bref. Ils visent l’Angleterre. Pourquoi ? Soit parce que des connaissances y vivent déjà, soit parce que Londres a conservé son image d’eldorado, soit parce qu’ils ignorent qu’ils peuvent demander l’asile en Belgique. Après une bonne nuit passée au chaud, les migrants consacrent donc toute leur énergie à trouver un moyen pour traverser la Manche. « Ils préfèrent repasser par Bruxelles chaque soir pour tenter de trouver un passeur. Dans la voiture, ils sont alors plongés dans leurs pensées parce qu’ils ne savent pas ce que le futur leur réserve ».

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Quelques règles de bonne conduite

Être volontaire pour aider les réfugiés, c’est aussi respecter un protocole pour que tout se passe pour le mieux. Lors de son « inscription » à ces plateformes citoyennes, Françoise a été informée de toute une série de règles à suivre en tant que chauffeuse de migrants.

Dans un premier temps, à chaque fois qu’un citoyen veut participer d’une manière ou d’une autre à l’hébergement du soir, il doit remplir un sondage posté quotidiennement dans le groupe Facebook. Et à partir du moment où le contact est établi avec l’hébergeur, tous les détails doivent se faire par message privé. « Sur la plateforme, on ne doit absolument donner aucun détail, tel que le nom des migrants, l’adresse des hébergeurs… Tout passe par message privé et par GSM. Mon smartphone, c’est ma vie dans ces cas-là. Je m’en sers tout le temps pour aller sur la plateforme et voir si on a besoin de mes services comme chauffeuse le vendredi soir. J’ai aussi un copion sur lequel je note les informations nécessaires au cas où ma batterie tombe à plat ». 

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Mais la règle d’or en tant que chauffeur c’est surtout « rouler sans s’arrêter ». Pour que le trajet se passe sans encombre, il doit éviter les parkings et les stations services : « Il ne faut jamais s’arrêter sur un parking : ils peuvent alors se cacher dans un camion de livraison international pour essayer de passer la frontière et se rendre à Calais. Et s’ils se font arrêter et qu’ils donnent ton nom aux autorités, tu peux être accusé d’être un passeur ».

Lorsqu’ils sont à plusieurs en voiture avec Françoise, celui qui se met à l’avant est le chef du groupe. C’est généralement celui qui parle anglais. Il observe le conducteur, voit comment il roule et regarde le GPS : « Un jour, le chef a regardé longuement mon GPS et m’a demandé si on allait à Calais. J’ai alors fait semblant que mon GPS ne fonctionnait plus en le débranchant rapidement. Il a commencé à rire car évidemment, il avait compris ».

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Le chauffeur, c’est le boss

Aujourd’hui, le trajet est plus rude que d’habitude. Après le gel, c’est la neige qui s’est mise à tomber. Le voyage, qui ne devait durer que 45 minutes, sera donc plus long que prévu. Françoise jette un regard dans le rétroviseur de temps en temps pour s’adresser à son passager et le prévenir du temps qu’il leur reste avant d’arriver à bon port : « It’s okay, take your time » (en français : « c’est bon, prenez votre temps »), répond M. Et si celui-ci, installé sur le siège arrière, les yeux rivés sur la route, n’intervient pas dans la manière de conduire de Françoise, il faut savoir mettre les choses au clair quand c’est nécessaire : dans la voiture, le conducteur est le commandant de bord. « Tu dois pouvoir imposer tes règles et ce n’est pas parce que tu les accueilles dans ta voiture qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent », explique Françoise. « J’en ai eu un, un jour, qui voulait fumer dans la voiture. Et bien que je lui aie dit non, il l’a quand même fait. J’ai dû alors m’arrêter et lui dire ‘stop’ ».

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Pas toujours facile pourtant d’imposer des limites, surtout au niveau de la planification des voyages. Car si les migrants passent généralement leur matinée et début d’après-midi chez leur hébergeur, il leur arrive parfois de changer d’avis sur un coup de tête et de décider de retourner plus tôt que prévu au parc. Il faut alors trouver un chauffeur disponible, ce qui bouleverse le programme de la journée : « Ce sont des conflits entre nos différents modes de vie », explique Françoise. 

Arrivé à bon port

Au bout d’une heure et demie, Françoise arrive finalement à la gare de Bruxelles-Nord, où elle a pris l’habitude de se garer pour y déposer ses invités temporaires. Les adieux sont rapides : pas d’accolade, juste un « au revoir » de loin. Ce soir, Françoise ne repartira pas seule chez elle. Elle retournera au parc à 21h30 pour y chercher quatre nouveaux compagnons de voyage.

Chavagne Mailys

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En attendant l’heure du départ, Françoise se rend à son bistrot favori, « son QG » comme elle se plaît à l’appeler, pour profiter d’une tasse de café. La soirée est loin d’être terminée pour elle. Outre son rôle de chauffeuse, Françoise est aussi bénévole à l’opération Thermos, une distribution de repas chauds aux sans-abris de Bruxelles. Elle passe tous ses vendredis soir dans une station de métro pour y dresser tables et couverts : « C’est un investissement facile. Un autre petit caillou ajouté à l’édifice. Cela me porte ».

 

Erratum : Dans la première version de cet article, une confusion a été faite entre chauffeurs et « colis-colibris ». Ces deux termes ne représentent pas la même aide apportée aux réfugiés : les colis-colibris œuvrent à la collecte et à la préparation de « kits » pour les migrants, tandis que les chauffeurs, eux gèrent leur transport vers un abri pour la nuit.

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