Vivons-nous dans un monde de plus en plus insomniaque ?
Faire des nuits trop courtes, c’est mauvais. Dormir trop longtemps, c’est pas bon. Si l’on bataille encore à trouver le juste dosage, c’est qu’en matière de sommeil, tout est une question d’équilibre.
C’est un fait. On dort de moins en moins bien. Et plutôt que de compter les moutons, on préfère retarder encore et toujours plus l’heure du coucher. Car qu’on le veuille ou non, dormir ne se fait plus aussi spontanément qu’avant. Envahi par les tablettes et les smartphones, l’oreiller finit délaissé à force de journées stressantes et d’emplois du temps chargés. À coups de camomille ou de somnifères, les uns cherchent désespérément l’endormissement pendant que les autres accumulent leur dette de sommeil. « La connectivité permanente actuelle qu’on connaît tous fait que la balance entre activité et détente devient de moins en moins évidente », constate le docteur Johan Newell, psychiatre au laboratoire du sommeil de l’hôpital Brugmann. Radio, télévision, emails, streaming en ligne, réseaux sociaux… Parce qu’on peut désormais tout faire tout le temps, la tendance est au « s’occuper plus pour dormir moins ». Pourquoi pas. Après tout, on pourra toujours dormir plus tard…
Pourquoi perdre son temps à dormir
Certains soupirent encore face au constat : on passe un tiers de notre vie à dormir. Un temps précieux pendant lequel on voudrait pouvoir faire autre chose que roupiller. Pour beaucoup, dormir est donc devenu une vraie perte de temps. « La société actuelle nous habitue à vouloir tout faire, tout le temps », explique le docteur Newell. « Or, quand on dort, on ne fait plus rien ». Perçu comme une activité inutile et chronophage, le sommeil est délaissé, au profit d’une hyperactivité professionnelle et d’un divertissement non-stop. « De plus en plus de gens ont tendance à se priver de sommeil, consciemment ou inconsciemment ». Pourtant, bien dormir « c’est comme manger sainement ou pratiquer une activité sportive régulière », rappelle le psychiatre. Avec l’alimentation et la forme physique, la bonne santé passe aussi par l’oreiller.
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« On a beaucoup plus de facilité à suivre un régime sain ou à se fixer 120 minutes de sport par semaine qu’à se promettre 8 heures de sommeil par jour », poursuit Johan Newell. Pour lui, faire des nuits courtes à répétition, c’est comme manger au fast-food tous les soirs : « Ca ne va pas nous tuer du jour au lendemain, mais à terme ça peut nuire grièvement à notre santé ». Perte de mémoire et de concentration, prise de poids, perte de libido, dépression… Les risques sont connus et surtout nombreux. Mais le sommeil continue de souffrir d’un manque cruel d’attention.

Une vie à dormir debout
De tous temps, le sommeil n’a jamais été une grande priorité. Processus naturel et spontané, il s’est toujours auto-régulé au rythme d’un même refrain : Quand on est fatigué, on dort. Si on dort bien, tant mieux. Si on dort mal, tant pis… on récupérera demain. Inutile donc, de trop s’en préoccuper. « Avant, les gens allaient dormir quand il faisait noir et qu’il n’y avait plus rien à faire. Le sommeil se régulait facilement et de façon spontanée », explique Johan Newell. Mais l’électricité tous azimuts et les nouvelles technologies ont rapidement changé la donne. « Aujourd’hui, le problème ne fait que s’aggraver avec les années », déplore l’expert. « Que ce soit les mails, les informations, le divertissement, les réseaux sociaux ; tout est devenu accessible partout, tout le temps ».
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À une époque où l’on peut désormais rester actifs ou éveillés 24 heures sur 24, le sommeil peine à s’auto-réguler et perd en spontanéité. « C’est devenu quelque chose à faire de façon consciente », note l’expert. « De plus en plus de gens ont donc tendance à tirer sur la corde ». C’est que beaucoup aimeraient voir le sommeil fonctionner comme un interrupteur. « On veut être occupé jusqu’au moment où on va au lit et quand on se réveille, on s’attend à être en pleine forme », remarque-t-on. « Or, si on ne fait pas le nécessaire, le cerveau va toujours rester en monde ‘veille’, ce qui aura forcément un impact négatif sur la qualité du sommeil ». Une « qualité » dont on a du mal à se rendre compte quand le réveil sonne. « Le plus souvent, on a l’impression de faire des nuits complètes et plus ou moins bonnes. Mais il faut que les gens prennent conscience qu’on est de plus en plus exposés à des troubles du sommeil ».

Ni trop, ni trop peu
En consultation, les patients se succèdent autour d’un même fléau : l’insomnie. Bien pire que les ronflements chroniques ou l’apnée du sommeil, elle rime avec stress, angoisse, insécurité et décalage complet. « La lumière bleue émise par les smartphones ou les tablettes a tendance à retarder, voire stopper la production de mélatonine », précieuse hormone du sommeil. Et les consignes de bases pour mieux dormir (éviter les repas copieux, boire une tisane, favoriser les activités relaxantes, éviter les substances excitantes, etc.) ne suffisent plus aux personnes qui en souffrent. « Avec l’insomnie, on est constamment fatigué donc on va avoir tendance à dormir dès que possible. Pourtant, c’est vraiment la chose à ne pas faire », avertit le psychiatre. « Car on risque de faire des mauvaises associations et développer une appréhension à aller au lit, qui sera synonyme d’angoisse et de traumatisme ». Changer ses comportements et ses habitudes avant le coucher font ainsi partie d’un processus indispensable de réapprentissage. « On ne sait plus comment s’endormir correctement ».
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Il n’y a aucune règle fixe. Le but c’est d’être confortable.
Faire des nuits trop courtes, c’est mauvais. Dormir trop longtemps, ce n’est pas bon. Si l’on bataille à trouver le juste dosage, c’est qu’en matière de sommeil, tout est une question d’équilibre. « Il n’y a aucune règle fixe. Le but c’est d’être confortable », lance Johan Newell. S’observer et s’écouter peut certainement aider. Du reste, c’est physiologique. « Connaître ses besoins personnels en temps de sommeil ainsi que son horloge biologique est primordial pour bien dormir », souligne-t-on. Une fois qu’on a discerné ses heures optimales de coucher et de lever, « l’idée est de garder ce repère le plus possible ». Le tout, en adoptant un rituel pré-nocturne qui prépare le corps et l’esprit à faire un bon et gros dodo.