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ZAD de Notre-Dame-des-Landes : La bataille de l’expulsion

Alors qu’il essaie d’empêcher les gendarmes d’entrer aux 100 Noms, cet homme est repoussé sans ménagement avant de glisser et de chuter dans la boue. | © AFP PHOTO / LOIC VENANCE

Société

Comme prévu, le gouvernement français a entrepris de libérer les terres squattées à Notre-Dame-des-Landes par les zadistes. 

 

« La main de l’État ne tremblera pas », avait promis le gouvernement. L’État avait été patient… Il se montrera malin. La stratégie a été définie il y a quelques siècles, sous le nom de Combat des Horaces et des Curiaces. D’abord diviser. Séparer le bon grain de l’ivraie. Le paysan idéaliste du radical jusqu’au-boutiste. Le premier est un irréductible qui a soigneusement conservé ses titres de propriété, il a été rejoint par des « néoruraux » dont les projets, quoique originaux, sont assez réfléchis pour passer l’obstacle du dépôt devant les autorités. Le zadiste, lui, ne négocie pas, il rêve ou éructe, partisan du monologue sans limite d’horaires, ni horizon de clarté.

Tous avaient également fêté l’abandon du projet d’aéroport, le 17 janvier ; 300 personnes réunies à la grange de la Vache Rit, chez les Fresneau, cette famille qui manie la fourche et le porte-voix depuis les premiers affrontements. Ce soir-là, on pleure, on trinque. Dans l’euphorie, on annonce que la départementale 281, la « route des chicanes », sera démantelée par les vainqueurs. Qu’ont-ils encore besoin de muraille ?

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C’était le genre de succès, joyeux comme une forêt en automne. Il annonçait la chute des feuilles. Le gouvernement a reculé, certes, mais il a resserré les rangs. Alors, on balaie la RD 281, ou on balaie pas ? Deux mois après, le macadam reste à peine visible, entre les barricades de chariots, de vieux pneus, de branchages pour éviter la progression des gendarmes. Aux voitures qui voudraient s’y aventurer, il conviendrait de pratiquer la conduite en zigzag, façon fin limiers de la politique.

Dès 3 h 30 du matin, le 9 avril, les gendarmes sécurisent la RD 281 qui borde la Zad. © LOIC VENANCE / AFP
Le gouvernement affiche sa mansuétude : on attendra la fin de la trêve hivernale qui protège les occupants sans titre. Il est également prévu que le printemps arrive le 20 mars… Il est temps de se réveiller. Le secret va filer à la vitesse de la mèche qui court vers le baril de poudre : les gendarmes entreront en action le 9 avril. Une réunion s’est tenue mercredi 4 à l’Elysée. Le président, le Premier ministre, Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, Nicolas Hulot, pour la caution environnementale, son secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu, ancien des Républicains en charge de tous les dossiers explosifs, et Nicole Belloubet, ex-prof de droit et garde des Sceaux, ainsi que des responsables de la gendarmerie. 

Côté du gouvernement, on parle d’une centaine d’irréductibles, éparpillés dans un labyrinthe de 1 650 hectares

Sur le théâtre du pouvoir, il faut bien un décor où montrer son « autorité retrouvée ». Il y avait le choix : les amphis occupés, les gares vides, les hôpitaux surchargés. Ce sera donc Notre-Dame-des-Landes, et pas seulement parce que la nature est riante en cette saison. Des contrôles de voitures pratiqués pendant tout le week-end ont fait tocsin. « Ils vont attaquer. » Rendez-vous est pris par les zadistes pour le lundi 9 avril, à 4 heures du matin. On établira le plan d’attaque.

Du côté du gouvernement, on parle d’une centaine d’irréductibles, éparpillés dans un labyrinthe de 1 650 hectares. Pour bien faire la différence avec l’opération César 2012, l’intervention n’a pas de nom. Il n’y a plus non plus, comme en 2012, une quarantaine de tracteurs enchaînés autour des fermes, mais une quinzaine, bien garés, à l’arrière. Certes, des « étudiants » sont arrivés en renfort, comme ce nouveau venu qui déambule entre les tulipes. « Ici c’est le coin des permacultures », lui explique une jeune zadiste. La visite se poursuit par une cabane en bois. En guise de mots d’ordre placardés sur les  murs, les règles d’or du compost. Sur les étagères, pas de manuels de jardinage mais une Bible, un dictionnaire « Harrap’s Business » et « Ça sent le sapin ». À prendre au propre, mais peut-être aussi au figuré… Les gendarmes eux, ne sont pas arrivés à 4 heures mais à 3 h 30, et aussitôt l’affrontement a démarré sur la route des chicanes, promue « colonne vertébrale de l’opération », selon un professionnel.

Face aux réfractaires, une avancée pas à pas, à coups de gaz lacrymogènes. © LOIC VENANCE / AFP

Devant le camp autogéré du Lama fâché, on annonce les premières scènes de violence. Pour rejoindre le champ de bataille, il faut traverser la brume. Indifférentes aux hommes qui surgissent des bosquets, les vaches paissent. Côté zadiste, c’est cagoule et raquette de tennis… pour renvoyer les grenades lacrymogènes. Des voix murmurent des « Salut » respectueux. On hisse l’arsenal dans la tour de guet, cocktails Molotov et bûches. Le front est encore tranquille. On attend. Au théâtre, tout commence par les trois coups. Ici il en faudrait six pour 6 heures, l’entrée en scène des principaux acteurs : neuf huissiers de Dreal et d’Ageo, qui vont signifier les avis d’expulsion. Dur métier. Ils sont entourés d’une escorte de gendarmes, supervisés par la préfète de Loire-Atlantique. Le mur anti-émeute avance, les lacrymos pleuvent.

Ils ont touché au potager, là on va pas se laisser faire.

« Enfoiré » est le premier cri de guerre. Une zadiste : « Ils ont touché au potager, là on va pas se laisser faire. » À l’arrière, des « experts en lacrymos » commentent la trajectoire des tirs à 5, voire 10 mètres. D’autres font des allers retours entre le front et la buvette, il faut tenir : avaler un café et un bout de banane. Les talkies-walkies crachent les ordres. « Il faut du monde à la Grée. » Premiers signes de démoralisation. « On ne peut pas vraiment les stopper. » Deux vieilles bagnoles s’enflamment. Retour sur les Fosses noires, au cœur de la Zad, « ça sent le dénouement, bordel », commente un pessimiste.

13 h 45 : pour protester contre l’expulsion, ces zadistes obligent les gendarmes à venir les chercher… sur le toit d’un hangar. © LOIC VENANCE / AFP

10 h 30, déjà sept heures qu’ils sont en guerre. Le mur anti-émeute est bien visible comme un rideau qui tombe. « Ils ont rasé Lama fâché », annonce un jeune guerrier abasourdi, devant les pelleteuses qui, dans un vacarme de chantier de démolition, font taire les oiseaux. « C’est allé vite, de nombreux lieux étaient vides, et le précaire est plus rapide à détruire », explique un officier de gendarmerie. Du côté des zadistes, on cherche des raisons de garder le moral : « C’est bien la lutte, la fête c’est mieux. » Silence. « Bon, moi, faut que je sèche mes chaussettes. » Le talkie reprend. « Rassemblement de soutien à la préfecture de Nantes. » C’est loin, Nantes. Comme l’espoir que tout recommence. Ailleurs, dans la jungle d’une ville qui se prépare à en voir bien d’autres.

L’hélico tourne au-dessus des têtes. Ça chauffe aux 100 Noms, l’espace des projets agricoles où huit personnes habitent depuis cinq ans. Les gendarmes mobiles se sont déployés dans les champs. On se toise. On regarde passer trois ânes. Ils ne brandissent pas le drapeau blanc mais c’est tout comme. Puis ça recommence. Une vingtaine de rebelles prennent possession du toit d’un hangar. Les gendarmes commencent à grimper. « Faites les caramels mous », ordonne la résistance.

À terre, huit gendarmes essuient des tirs de boue. C’est « La Guerre des boutons ». « La Zad vivra », crient les spectateurs pour encourager ceux du toit. Une zadiste n’en revient toujours pas. « Ils nous ont dit : ‘Vous avez dix minutes pour partir.’ On a mis quelques affaires dans une brouette, mais je n’ai pas eu le temps de la prendre. » Tout d’un coup ses yeux s’écarquillent : « On a oublié le chat, on a oublié Minicat. Rendez-nous Minicat ! » Nouveau cri de ralliement.

Dans les rangs d’en face, personne ne rigole. La cellule nationale d’aide à la mobilité entre en jeu, elle est spécialisée dans le « désentravement », aguerrie par les opérations Greenpeace. Ces hommes disposent d’un matériel bien spécifique qui leur permet de dénicher le récalcitrant dans les endroits les plus saugrenus. La préfète les félicite.

Notre-Dame-des-Landes voulait être un modèle de décroissance, un nouveau Larzac

Dominique Fresneau, lui, s’inquiète pour sa ferme. Il ne voudrait pas qu’on lui piétine projets et plates-bandes. Certes, il ne soutenait pas les zadistes, mais il met en garde : « Cela devait être des expulsions ciblées. S’ils continuent, ce sera une opération César 2. » Des agriculteurs se déclarent solidaires des expulsés. Ils annoncent qu’ils aideront à « reconstruire ».

Mais il manque un étendard. Comment rester unis quand le monstre est enterré, quand les stickers « Contre le projet d’aéroport » se décollent ? Notre-Dame-des-Landes voulait être un modèle de décroissance, un nouveau Larzac. On pourrait surtout s’en souvenir comme d’un succès d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe… si aucun drame ne vient entacher l’évacuation prévue sur plusieurs jours. La fermeté paye dans les sondages. Le président progresse d’un point dans le tableau de bord Ifop-Fiducial pour Paris Match. Désormais, il plaît plus à droite (50 %) qu’à gauche (30 %). De quoi assombrir le ciel du printemps pour le champion du « en même temps ». « La chienlit, c’est fini » se console un membre du gouvernement qui connaît son gaullisme. Pour la grande manifestation de soutien sur les Champs-Elysées… il faudra quand même attendre. C’est face aux caméras, qu’ailleurs, la bataille s’engage.

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