Attentats du 13 novembre : le principal juge d’instruction débarqué

Le Bataclan un an après le drame. | © Christophe Petit Tesson/MAXPPP
Alors que le magistrat qui dirige l’enquête sur les massacres du 13 novembre sera muté dans cinq mois, François Molins et ses concurrents, en coulisses, rivalisent pour le futur poste de « super-procureur » antiterroriste.
Alors que les enquêtes sur les attentats se poursuivent -13 novembre, Nice, Saint-Étienne du Rouvray, Maganville, Carcassonne…-, un bouleversement de la justice antiterroriste se prépare. Délicatement appelée « transparence » dans le jargon judiciaire, la liste du mouvement annuel des magistrats réserve une surprise de taille qui touche la très sensible et exposée section antiterroriste du Palais de justice. Parmi les quelque 900 juges concernés, le ministère de la Justice a en effet décidé de nommer le magistrat Christophe Teissier aux fonctions de Président de la chambre de l’instruction de Nîmes (Gard) à compter du 1er septembre prochain. Or, le juge Teissier est actuellement Vice-Président chargé de l’instruction à Paris, vedette de l’antiterrorisme, et, à ce titre, à la tête de l’instruction ultra-délicate sur les attentats du 13 novembre 2015.
Lire aussi > Chez « l’émir blanc », le gourou des terroristes français
Ce dossier tentaculaire, qui compte déjà 220 tomes de procédure, plus de 28 000 procès-verbaux et quinze mise en examen (dont six dans la nature, sous mandat d’arrêt) est chapeauté par Teissier depuis l’origine, épaulé par cinq autres magistrats. Parmi ceux-ci, une tout nouvelle venue, Emmanuelle Robinson, a été désignée fin janvier. Elle découvre donc cette gigantesque affaire, tout comme les autres dont elle a héritée : rien moins que l’attentat de Nice, ou celui du Caire en 2009 (plus de 40 000 pages). Cette magistrate a succédé a son collègue Claude Choquet, parti à la retraite le 4 décembre 2016, après n’avoir passé au sein de l’antiterrorisme que 12 mois, vacances judiciaires déduites.
Une mutation-promotion qui intrigue
En clair, le principal dossier antiterroriste portant sur les plus graves attentats jamais commis en France voit arriver une juge novice et va perdre la tête de son instruction dans cinq mois. Certes, Teissier sera remplacé. Selon les informations de Paris Match France, le successeur se trouve dans ce quarté : Julien Retailleau, premier substitut à l’administration centrale, Mathieu Bonduelle, Émilie Brugière, et Stanislas Sandarps, actuellement présidents chargés de l’instruction, respectivement à Créteil, Pontoise et Marseille. Mais, là encore, le successeur, quel qu’il soit, aura le regard du candide. Il n’aura jamais tâté de la matière antiterroriste, pourtant très particulière, et devra se familiariser à grande vitesse avec les dizaines de milliers de pages de procédure.

Cette perspective fait sursauter un des nombreux avocats des victimes du 13 novembre qui confie : « Ma crainte est qu’il y est un trou d’air et que l’instruction marque sensiblement le pas. Celui ou celle qui va diriger et clore cette gigantesque instruction va la prendre en cours de route, c’est délirant ! ». Même étonnement de la part d’un magistrat en poste : « Le plus curieux est que Teissier ne va pas clore lui-même cette instruction qu’il a dirigée depuis le début, c’est très étrange au regard de l’importance du dossier ». Alors que le procureur de la République François Molins avait indiqué aux victimes parties civiles, lors d’une audience le 4 octobre dernier, que cette enquête devrait être close « au printemps 2019 », elle a connu un coup d’accélérateur. Désormais, l’issue de l’instruction serait attendue pour début 2019. L’étape suivante est la rédaction du réquisitoire définitif du parquet, qui reverra les suspects devant la Cour d’assises spéciale. Cette phase, qui doit synthétiser tous les éléments du dossier, à charge et à décharge, est d’ordinaire longue et fastidieuse. Mais au regard de l’importance de cette affaire, ce travail est effectué au jour le jour. « Concrètement, cela signifie que, lorsque l’instruction sera close, le réquisitoire sera rendu dans les deux mois », indique un magistrat parisien.
Lire aussi > Arrestation d’une fausse victime des attentats de Paris
Les futures fonctions nîmoises du juge Teissier sont pour lui une promotion. Mais, au Palais de justice, certains s’interrogent sur cette curieuse mutation. Il est vrai que Teissier a instruit l’affaire Merah, dans laquelle le frère Abdelkader a échappé à la perpétuité, reconnu non-coupable de « complicité d’assassinats » ou celle des « logeurs de Daech » qui s’est soldée par une relaxe de Jawad Bendaoud. Surtout, c’est encore Teissier qui avait instruit durant deux ans et demi l’affaire d’un projet d’attentat contre… le Bataclan, mettant à l’ombre un suspect durant 16 mois, avant de prononcer un non-lieu en septembre 2012. La Chancellerie se serait-elle subitement inquiétée que celui qui dirige les investigations sur les massacres du 13 novembre, dont celui du Bataclan, est le même qui a délivré ce non-lieu trois ans avant les attentats ?
François Molins candidat au poste de super-procureur antiterroriste
D’ici la fin de l’année, la justice antiterroriste va encore connaître un autre profond bouleversement. Emmanuel Macron a en effet tranché pour la création d’un Parquet national antiterroriste (PNAT), spécifiquement en entièrement dédié à ces crimes et délits, à l’instar du célèbre Parquet national financier (PNF). À l’origine, François Molins n’avait pas de mots assez durs pour fustiger ce projet, dénonçant « l’ignorance » et la « mauvaise foi » de ses inspirateurs (dans Le Monde du 2 septembre 2016). Depuis, le médiatique procureur de la République s’est fait à l’idée. Mieux, il est candidat au poste de super-procureur antiterroriste. À une condition, toutefois : qu’il soit nommé avec le titre de procureur général. Une subtilité sémantique qui change tout. Et pour cause, à ses fonctions actuelles, Molins chapeaute toutes les affaires judiciaires, terroristes compris. En toute logique, la suite de sa brillante carrière aurait dû se poursuivre à la Cour de cassation. Mais poste de procureur général, une promotion, donc, devrait lui convenir. Le calendrier semble même conçu sur mesures puisque François Molins doit quitter son poste actuel en novembre prochain.

Mais ces futures nouvelles fonctions attisent les ambitions. Ainsi, Maryvonne Caillibotte, actuelle avocate générale à la Cour d’appel de Paris serait sur les rangs. « Une femme dynamique, c’est un bon casting, mais si elle est marquée politiquement, comme les autres d’ailleurs… », s’amuse un magistrat. En effet, Maryvonne Caillibotte fut la conseillère Justice de François Fillon lorsqu’il était Premier ministre. Le monde, judiciaire et politique, est décidément petit, puis François Molins, à la même époque fut, quant à lui, directeur de cabinet des ministres de la Justice Michèle Alliot-Marie puis Michèle Mercier, toujours dans le gouvernement Fillon.
Lire aussi > Abdallah El-Hamahmy : Itinéraire d’un touriste terroriste
Pendant un temps, le nom d’un autre magistrat avait circulé pour diriger le PNAT, celui de Jean-Paul Garraud, avocat général à Poitiers, également membre de la Cour de justice de la République. Son CV ne s’arrête pas là, il fut député UMP de Gironde de 2002 à 2012, délogeant Gilbert Mitterrand dans son fief de Libourne. Et c’est lui qui a concocté le projet de parquet antiterroriste, apporté ficelé à l’Élysée le 23 novembre 2015 dans la foulée des attentats. Selon nos informations, le juge Garraud a récemment été reçu à l’Élysée par un conseiller d’Emmanuel Macron pour évoquer le futur haut titulaire du parquet qu’il a imaginé. Mais un obstacle est apparu… encore politique : durant l’affaire Fillon, Jean-Paul Garraud, renouant avec son militantisme, avait dénoncé ce qui constituait pour lui une « tentative de coup d’État judiciaire ». Nommer à la tête du Parquet national antiterroriste celui qui a ainsi violemment critiqué le Parquet national financier du fait de ses accointances politiques ferait désordre. Dans les colonnes du quotidien Sud-Ouest, il avait ajouté à propos du « Penelopegate » : « Oui, je pense que la presse est instrumentalisée par le cabinet noir de l’Elysée au profit de Macron, soit complice pour certains médias ». Un cocktail politique-justice sans doute explosif pour le premier poste à l’antiterrorisme.