Viol collectif en Espagne : Le verdict d’une « justice patriarcale »

"Ce n’est pas un abus sexuel, c’est un viol !" | © AFP PHOTO / GABRIEL BOUYS
En Espagne, cinq hommes ont été condamnés pour « abus sexuel ». La décision des juges de ne pas avoir retenu le caractère de « viol » a suscité une vague d’indignation dans tout le pays. Deux jours après ce verdict controversé, les Espagnols ne décolèrent pas et continuent leur lutte contre « la justice patriarcale ».
Retour sur les faits. Pendant les fêtes populaires de la San Fermin, en juillet 2016, cinq hommes, de 27 à 29 ans, ont abusé d’une jeune Madrilène de 18 ans. Un viol collectif répugnant qu’ils avaient filmé eux-mêmes avant d’abandonner la jeune femme, à moitié nue, dans une entrée d’immeuble. Sur un groupe WhatsApp, intitulé « La meute », les cinq auteurs s’étaient même vantés de leur acte en envoyant la vidéo, avec notamment le message : « en train d’en baiser une à cinq », rappelle AFP, citée par Le Soir.
Lors du procès, très attendu en Espagne, le juge avait décidé d’inclure dans le dossier l’enquête d’un détective privé sur la vie de la plaignante. Une décision qui avait déjà suscité l’indignation, rappelle Le Point. « Ce qui est censé culpabiliser la victime de la meute, semer le doute sur sa condition morale, c’est qu’elle osait sortir dans la rue, boire des verres avec ses amies, après avoir été violée, au lieu de rester chez elle toutes fenêtres fermées et la tête couverte de cendres », s’offusquait l’écrivaine Almudena Grandes. La phrase « Yo si te creo » (Moi, je te crois) avait ensuite envahi les réseaux sociaux.
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Une victime consentante, vraiment ?
Jeudi 26 avril, le verdict est tombé : les auteurs, originaires d’Andalousie, ont été condamnés à neuf ans de prison, pour « abus sexuel » aggravé d’« abus de faiblesse ». Ils devront également verser une indemnisation de 50 000 euros à la victime, qu’ils n’ont plus le droit d’approcher ni de contacter pendant 15 ans. Les juges n’ont pas retenu l’accusation de viol, pour lequel le Code pénal espagnol stipule qu’il doit y avoir eu « intimidation » ou « violence ». Ils échappent ainsi aux 22 ans requis par le parquet.
On ne voit pas d’agression sexuelle, on voit des relations sexuelles, point.
Pour justifier cette décision, les juges se sont appuyés sur la vidéo, la pièce à conviction majeure dans ce procès, où l’on voit la victime subir les vexations de ses agresseurs, tout en gardant les yeux fermés. Lors du procès, la jeune femme avait raconté avoir bu de la sangria et fait les fêtes avec des amis, avant de se retrouver seule sur un banc où un des Sévillans était venu lui parler « football » et « tatouage », selon elle. Après avoir embrassé le garçon, elle a suivi le groupe sans « penser qu’allait se produire ce qui s’est produit ». « Quand je me suis vue cernée… Je ne savais plus comment réagir… J’ai réagi en me soumettant », avait-elle résumé devant le tribunal, en décrivant fellations et rapports imposés sans préservatif, rappelle le Point. Il n’en fallait pas plus pour que la défense juge la victime « consentante » puisqu’elle n’avait jamais semblé dire « non ». « On ne voit pas d’agression sexuelle, on voit des relations sexuelles, point », avait plaidé l’avocat de trois agresseurs, Agustin Martinez Becerra.
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La procureur avait rejeté les arguments des défenseurs en disant que « l’intimidation, gravissime, avait empêché la résistance ou la fuite ».
Un jugement controversé
Ce jugement, perçu comme laxiste, a généré une vague de protestations dans les grandes villes du pays. Devant le tribunal, une foule criait « ce n’est pas un abus sexuel, c’est un viol », alors que sur les réseaux sociaux, les indignés relançaient le slogan #Yositecreo.
Ourense#EstaEsNuestraManada #YoSiTeCreo #JusticiaPatriarcal pic.twitter.com/555JJ9qeEW
— Lola Sanchez (@LolaSsomoza) April 26, 2018
La manifestación contra la sentencia machista de #laManada pasa por delante del Congreso. Se respira rabia, lucha, unidad y mucha indignación. Retumban voces de mujer en Madrid. Escenas que dan esperanza cuando más falta hace. No cabe un alfiler.#YoSíTeCreo#JusticiaPatriarcal pic.twitter.com/eN2JrSzaSG
— José Ant Bautista (@JoseAntonio_BG) April 26, 2018
✊🏼 Protests are being held across Spain after five men accused of the gang rape of a teenager during the running of the bulls festival in Pamplona were found guilty of the lesser offence of sexual abuse.#YoSiTeCreo pic.twitter.com/Iw9N7rFVpS
— Xavi Ruiz 🎗 (@xruiztru) April 26, 2018
Dans la soirée, plusieurs manifestations se sont tenues à Madrid ou encore à Barcelone, où la maire de gauche, Ada Colau, s’est adressée à la victime sur Twitter : « Cela m’indigne qu’après un viol collectif, tu doives supporter la violence d’une justice patriarcale ».
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De son côté, le chef de l’opposition, le socialiste Pedro Sanchez, a déclaré : « Si ce qu’a fait la meute n’est pas de la violence en groupe contre une femme sans défense, qu’entend-on alors par viol ? »
Hermana #yosítecreo, y me indigna que tras la violencia de una violación múltiple debas sufrir la violencia de una #JusticiaPatriarcal
No estás sola, hoy seremos miles tomando las calles y uniendo nuestra voz a la tuya. pic.twitter.com/rj7yqKDcfW— Ada Colau (@AdaColau) April 26, 2018
Ella dijo NO. Te creímos y te seguimos creyendo. Si lo que hizo #LaManada no fue violencia en grupo contra una mujer indefensa, ¿qué entendemos entonces por violación? #NoesNo #YoSíTeCreo
— Pedro Sánchez (@sanchezcastejon) April 26, 2018
Pétition massive
Deux jours après le verdict controversé, une pétition en ligne a reçu plus 1,2 million de signatures. Adressée au Tribunal suprême espagnol, elle réclame l’inhabilitation des juges ayant disculpé les cinq hommes de « viol ». Lancée par une Espagnole de 38 ans, le texte déplore « qu’il y ait des juges et magistrats qui considèrent que pour qu’il existe une agression sexuelle (viol, ndlr), il n’est pas suffisant que cinq hommes agressent une jeune sans défense et en état d’ébriété puis l’abandonnent après lui avoir volé son téléphone ».
Vendredi, le gouvernement espagnol a annoncé qu’il allait étudier l’éventualité d’une réforme du Code pénal sur ce point. De son côté, le gouvernement de la région de Navarre, partie civile au procès, a indiqué dans un communiqué qu’il ferait appel du jugement, car il « partage le mécontentement des citoyens qui majoritairement ont exprimé leur indignation contre ce jugement », rapporte l’AFP cité par Paris Match. Le parquet de Navarre a également annoncé qu’il contesterait ce jugement en appel, lui qui maintient que « les faits sont constitutifs du délit d’agression sexuelle (viol) et non pas seulement d’abus sexuel ».