Le Canada accusé d’avoir mené des expériences médicales sur des Autochtones

Les enfants étudient dans le pensionnat indien de Fort Resolution, au Canada. | © Wikimedia/Bibliothèque et Archives Canada
Entre les années 1930 et 1970, des milliers d’Autochtones auraient été soumis à des expériences médicales sans leur consentement au Canada.
Le Canada va être confronté à une nouvelle face sombre de son histoire. Une action collective a été intentée devant un tribunal canadien de la province de Saskatchewan au nom des milliers d’indigènes qui auraient été utilisés à leur insu pour des expériences médicales. Ces dernières auraient été conduites entre les années 30 et 70 sur des populations autochtones dans les réserves et dans les pensionnats, précise The Guardian. Le gouvernement canadien est également accusé d’avoir maintenu une politique de soin discriminatoire et inadéquate dans les hôpitaux indiens et les sanatoriums, dans le cadre d’un système de santé distinct qui a fonctionné à travers le pays de 1945 jusqu’au début des années 1980.
« Cela me semble tellement atroce qu’il devrait y avoir des dommages punitifs et exemplaires accordés, en plus de l’indemnisation », a déclaré au journal britannique Tony Merchant, avocat et fondateur du groupe Merchant Law qui porte l’affaire devant la justice et réclame une compensation financière pour les personnes affectées.
Lire aussi > Un manuel satirique pour « se débarrasser des Arabes » (et de leurs travers)
Sur les enfants aussi
Selon Merchant Law Group, certains pensionnats autochtones ont été utilisés comme terrains pour des expériences nutritionnelles sur des enfants, afin que des chercheurs puissent tester leurs théories sur les vitamines, certains aliments et des nouveaux vaccins, explique Slate. À l’époque, plus de 150 000 enfants avaient été placés dans ces pensionnats, financés et supervisés par le gouvernement canadien, dans le but de les intégrer de force dans la société canadienne. « Le tort ici est que personne ne savait que cela se produisait. Leurs familles ne savaient pas », lance l’avocat canadien au Guardian.
Présentant des carences alimentaires, dues au régime des pensionnats, les enfants étaient considérés comme des « sujets expérimentaux idéaux », selon les documents judiciaires qui citent six écoles et les relient à des expériences menées de 1948 à 1953. Ils étaient victimes d’essais qui consistaient à les priver de nutriments supposés être bénéfiques.
Lire aussi > Finie, l’expérimentation animale en Wallonie ? Pas si les scientifiques ont le dernier mot
« Les documents judiciaires décrivent jusqu’où des chercheurs ont pu aller pour protéger leurs résultats : après qu’un directeur à Kenora, en Ontario, a demandé à ce que tous les enfants des pensionnats reçoivent des comprimés de fer et de vitamines, un chercheur lui a demandé de renoncer à le faire, car cela interférerait avec son expérience », indique The Guardian avant d’ajouter : « D’autres chercheurs ont refusé d’administrer des traitements dentaires à des enfants, craignant que des dents et gencives en bonne santé ne faussent leurs résultats ».

Conséquences violentes et auditives
En plus de l’alimentation, les expériences pourraient impliquer également des médicaments expérimentaux, des vaccins contre la tuberculose et la dysenterie amibienne ou encore des traitements oculaires et auditifs. Dans ce dernier cas, un médicament expérimental contre des problèmes auditifs a laissé neuf enfants avec des pertes auditives importantes. Et si les victimes, qui peuvent se compter par milliers, ne coopéraient pas, elles étaient soumises à des abus physiques.
« Certaines personnes ne savent même pas qu’elles ont fait l’objet d’expériences. Dans certains cas, nous pouvons prouver que les directeurs des pensionnats ont dit : ‘Nous avons besoin du consentement’, ou qu’ils ont dit : ‘Nous n’allons pas demander le consentement’ », déclare Tony Merchant.
Lire aussi > Canada : l’appel au secours du caribou des bois
Alors que le gouvernement fédéral n’a pas encore examiné la déclaration, Merchant Law Group (MLG) présente comme plaignant John Pambrun, un Autochtone de 77 ans qui a passé six ans de son enfance dans les hôpitaux et les sanatoriums indiens. En 1955, les chercheurs lui ont retiré une partie de son poumon droit comme « traitement contre la tuberculose ». « Nous ne trouvons rien dans les dossiers médicaux qui indique qu’il a même eu la tuberculose », souligne l’avocat. Par conséquent, les années de traitement l’ont éloigné de sa famille et de son éducation, tandis que la perte partielle d’un poumon l’a laissé essoufflé et a limité ses possibilités d’emploi.

Reconnaitre le mal fait
En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a reconnu un génocide culturel mené par le gouvernement à l’encontre des populations autochtones à travers sa politique d’assimilation forcée. Depuis lors, la situation des Autochtones ne s’est guère améliorée, mais leurs luttes pour la reconnaissance continuent. « Nous sommes dans une période où nous racommodons notre relation avec les peuples indigènes. Donc revenir en arrière et reconnaître que du mal a été fait et payer des compensations est à mon avis important », conclut le fondateur de MLG, cité par Slate.
D’après La Presse, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies exhorte le Canada d’en faire plus pour améliorer le sort des Autochtones, en particulier celui des femmes et des filles. L’ONU a surtout souligné l’importance de soutenir l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, et de régler le problème de la surreprésentation des femmes autochtones dans les pénitenciers canadiens. « Nous savons que c’est un défi et qu’il faut le relever », a réagi la ministre de la Justice Jody Wilson-Raybould, qui reconnaît que, si le Canada avait fait des progrès, beaucoup de travail restait à faire.