Viol : une affaire d’incompréhension et d’idées fausses

Le 26 avril dernier, à Mexico, des milliers de femmes manifestaient contre le harcèlement sexuel lors de la Journée de mobilisation nationale contre les violences sexistes. | © AFP PHOTO / YURI CORTEZ / BELGA
Campagne après campagne de sensibilisation contre le viol, les mêmes messages se répètent et font toujours froid dans le dos. Non, le nombre de victimes ne diminue pas. Oui, le phénomène reste impuni autant qu’incompris.
Cent victimes de viol par jour. C’était le message fort envoyé par l’ex-secrétaire d’État Elke Sleurs à quelques jours de la Saint-Valentin. Une campagne contre les violences sexuelles au message choc : le viol, ça se passe aussi au sein d’une relation, qu’elle soit amoureuse, amicale ou professionnelle. Comme beaucoup d’autres campagnes, celle-ci tente de lever le voile sur l’une des facettes du problème. « La violence sexuelle entre partenaires, conjoints, collègues ou amis, c’est toujours un peu gênant », précise Luc Demullier, porte-parole d’Elke Sleurs.
#100parjour À la Saint-Valentin aussi, 100 femmes, hommes et enfants sont violés. Info: https://t.co/trGkzr6NJj. Partagez le vidéo svp. pic.twitter.com/D0D9rkMz2r
— ElkeSleurs (@ElkeSleurs) 8 février 2017
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Le consentement, c’est dire oui pleinement
Une semaine plus tard, c’est au tour de la France de lever le tabou. Un court-métrage coup de poing dénonce avec des images glaçantes la violence conjugale. Dans « Je suis ordinaire », la scénariste Chloé Fontaine déconstruit un énième mythe. « Le viol est quelque chose de plus courant que l’on ne croit. Ça n’arrive pas que dans les ruelles sombres, la nuit, lorsque l’on marche toute seule parce qu’on a raté le dernier métro pour rentrer chez soi. Attention, je ne dis pas que ça n’arrive pas. Je dis que c’est un pourcentage minime sur la globalité des viols commis en France », explique-t-elle au Huffington Post.
Rappelons tout de même que le viol dit « par inconnu » n’est pas un stéréotype pour autant. Il représente aujourd’hui entre 25% et 30% des viols commis.
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Cette vidéo pointe efficacement la question du consentement, notion complexe aux frontières fragiles qui brouille souvent les pistes. Car le consentement, c’est dire « oui » pleinement et pas « non » à un moment donné. Le violeur qui ne tient pas compte du refus devient ainsi un abuseur. Un comportement devant lequel les victimes restent silencieuses et que la justice peine à condamner.
Méconnaissance et préjugés
Si encore aujourd’hui, les campagnes contre les agressions sexuelles sont au coeur du débat politique, le phénomène n’en reste pas moins impuni. Et cette même impunité explique la persistance du fléau, voire son aggravation. Un cercle sans fin reliant les différents – et nombreux – maillons de la chaîne du viol qui, s’il n’est pas pris en charge dans sa globalité, pourrait durer indéfiniment.
Si le viol persiste, c’est parce qu’on ne le comprend pas. C’est le message d’une femme qui, à travers son expérience en tant que responsable du service des urgences psychiatriques de l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, se bat depuis vingt-cinq ans pour faire évoluer la problématique. Docteur en psychologie et spécialiste des violences sexuelles, Danièle Zucker ne cesse de rappeler les méconnaissances et les préjugés qui planent au-dessus du viol.
Il y a vraiment une méconnaissance de ce qu’est le viol, sa victime et son auteur, qui font que le sujet n’est pas suffisamment pris au sérieux.
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Le viol n’est pas juste un débordement pulsionnel
Une étude l’a récemment démontré : 40% des Belges considèrent que, dans certaines circonstances, le viol n’est pas quelque chose de grave. « La plupart des jeunes pensent que le viol est un jeu sexuel qui a mal tourné », déplore la spécialiste. Pourtant, elle insiste sur le fait qu’il s’agit d’abord d’une prise de pouvoir, une réalité bien loin du « débordement pulsionnel et sexuel » qui est souvent évoqué. « Le violeur sent qu’il a la vie et la mort de la victime entre ses mains. Il fait d’elle ce qu’il veut, ça lui donne une sensation de pouvoir extrême, de toute-puissance. C’est justement ça qui créé la jouissance, et non pas la sexualité », explique-t-elle.
De même que la victime du viol est souvent jugée responsable de son propre sort, le crime du violeur ne s’apparente qu’à un « petit débordement qui ne se produira plus ». « Si le viol reste aujourd’hui impuni, c’est parce qu’on invente toutes sortes de raisons qui justifient cet acte. Devant un sujet aussi émotionnel et qui fait peur, on met en place toute une série de mécanismes – et donc des excuses – qui font qu’on va tenir ça loin de soi le plus longtemps possible », poursuit Danièle Zucker. Des justifications qui, mêlées à une méconnaissance du sujet, « entraînent la situation actuelle ».
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La sentence en manque de moyens
Il y a tout juste un an, cette « masse de préjugés » était confirmée par des chiffres. Un sondage d’Ipsos (l’association française de Mémoire Traumatique et Victimologie) révélait l’ancrage accablant des idées fausses répandues sur le viol. Statistiques sous-estimées, jugements mal-interprétés, idées reçues : des problèmes devant lesquels Danièle Zucker constate une « sorte de naïveté générale ».
À ce constat s’ajoute la prise en charge insuffisante, tant au niveau des enquêtes que des victimes : une conséquence du manque de moyens mis en place. « Il y a un réel problème de formation des magistrats et de tous les acteurs de la chaîne, mais aussi un problème de temps et d’effectifs », souligne-t-elle. « Tant qu’on ne distribuera pas les formations adéquates pour combattre ce fléau, il sera difficile de faire évoluer les choses ».