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Rédoine Faïd : fin de cavale

Rédoine Faïd

Arrestation de Faïd le 3 octobre | © Capture d'écran Youtube BFMTV

Société

Démarrée comme une superproduction hollywoodienne, la cavale de Rédoine Faïd s’est achevée à la ramasse, comme une vidéo amateur.

D’après un article de Paris Match France de Brendan Kemmet

Les hommes de la PJ en étaient certains. Le secret pour rattraper Rédoine Faïd, c’était juste de « travailler sur la rondelle ». La rondelle, dans leur jargon, c’est l’entourage, l’ensemble de relations qui, par cercles concentriques, permettent de se rapprocher du cœur de la cible. On commence par le cercle le plus large, le fief : Creil, à 45 kilomètres de Paris, 35 000 habitants, une ville moyenne de Picardie qui a grandi trop vite durant les Trente Glorieuses et cumule aujourd’hui toutes les difficultés des lendemains qui déchantent. Les usines fermées ou restructurées, telle Ugine-Kuhlmann, l’entreprise de productions chimiques de Villers-Saint-Paul où travaillait le père. Comme dans une voie sans issue, les habitants restent coincés dans un enchevêtrement de HLM : Plateau Rouher, Cavée de Senlis, Cavée de Paris, cité Guynemer… ces quartiers que Faïd connaît par cœur, le coin de ses potes et de sa famille. Pour cet officier de la PJ, il y était forcément, d’abord parce qu’il « n’a pas de réseau, pas de faux papiers, pas de logistique. Autour de lui, il n’y a que des demi-sels. Il est revenu à Creil pour manger au quotidien. Personne ne pouvait le nourrir ailleurs ».

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On arrive ainsi à la deuxième « rondelle ». Et même au « tiercé gagnant », défini dès le début de la cavale : le frère aîné, Rachid, premier fan de Rédoine, le neveu Liazid, surnommé « Bilo » (fils de Larbi, un autre frère), et « très probablement » un Herizi, c’est-à-dire un membre de la famille maternelle qui est aussi la belle-famille de Rebeh, la sœur aînée des Faïd. Dans la mémoire des flics, il doit y avoir un peu de Saint-Simon : il faut avoir le goût des arbres généalogiques… Ce premier cercle a prouvé ce qu’il était prêt à faire pour Rédoine : en 2004, on les retrouve volant des voitures pour financer – déjà – un projet d’évasion.

Rédoine Faïd
Interpol

L’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) du commissaire Frédéric Doidy et la DRPJ de Versailles du contrôleur général Franck Douchy, avec le renfort de la PJ de Lille et de quelques policiers bien « rancardés », vont bien sûr les placer sous surveillance. Ils sont les chaînons directs. C’est-à-dire les plus solides. Les maillons faibles, on les trouve plus loin, presque anonymes. Ceux-là, on y accède par les lieux. Par exemple, le Gavarnie, bar-tabac-PMU avec sa carotte rouge et son écusson Pelforth, ses vitres fumées et son stand de crêpes. Un flic, plus buriné par les années que par les vacances au soleil, nous le décrit : « Quatre pylônes et une vitrine. Un bistrot lambda. En fait, une tour de contrôle, le rendez-vous des potes de Rédoine et de leur mentor, un ex-entraîneur de foot. Ici, en 2010, ils ont déjà essayé de secourir un des leurs, Olivier Tracoulat. Il avait été blessé lors de la fusillade qui a coûté la vie à la policière municipale Aurélie Fouquet ».

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C’est même ainsi que le Gavarnie est sorti de la brume où se perdent les bistrots des dalles de cités. La « bande » avait demandé à un habitué, médecin anesthésiste, de soigner Tracoulat, vite identifié grâce aux traces de sang. Et la mort d’Aurélie, 26 ans, mère d’un petit garçon de 1 an, c’est exactement le genre de choses qu’on n’oublie pas dans la police. Si, huit ans après, la « bande à Rédoine » croit qu’il lui suffit de changer de « crémerie », et de passer du Gavarnie, évidemment « grillé », au O’KLM (prononcer « au calme »), un restaurant-salon de thé à 1 kilomètre, pour être tranquille, elle fait vraiment preuve de naïveté… Le patron a pour intime un certain Daouda Baba, condamné en même temps que Rédoine Faïd à dix-huit ans de prison, toujours pour la fusillade qui a coûté la vie à Aurélie Fouquet.

On choisit les cibles. Puis on va « à la pêche ». « Cinquante personnes “branchées” qui mènent à 50 autres rondelles », résume un policier. Ainsi Alima A. Cette ancienne adjointe de sécurité dans la police nationale habitait une rue perpendiculaire au Gavarnie. Il faut se souvenir qu’elle a été autrefois en relation avec un proche des Faïd, lui aussi client du bar-tabac, et qu’elle est, par ses sœurs, un proche de la belle-famille de Rachid. Evidemment, si les lieux et les personnes sont repérés, le reste ne va pas de soi. Un enquêteur explique : « On ne travaille pas facilement à Creil. Si on vient avec un sous-marin [un véhicule de surveillance], on se fait cramer immédiatement ». Comme le chat qui guette la souris, il faut sembler dormir, oreilles à l’affût. Mais cette fois, c’est un œil qui s’entrouvre. Voilà Alima qui se promène avec des « amies » en burqa… La burqa, ce n’est pas vraiment le genre de l’ancienne bande du Gavarnie. La silhouette de 1,85 mètre qui se faufile ainsi déguisée dans un petit ensemble HLM de la rue Jean-Baptiste-Carpeaux ne passe pas inaperçue. Six heures plus tard, l’assaut est donné. Il est 4 h 20, le matin du 3 octobre, quand les « ninjas » de la BRI nationale (la brigade de recherche et d’intervention de la direction centrale de la police judiciaire) défoncent la porte du F3. « Il a été très, très surpris de nous voir, s’amuse un haut gradé. Il n’a pas eu le temps de réagir, ni l’envie. C’est un bandit, pas un terroriste, il ne voulait pas mourir ». Un autre policier savoure : « Il était hagard, comme un lapin pris dans les phares d’une voiture ». 

Après le « coup de chaud » de Sarcelles, les enquêteurs ont pensé qu’ils n’étaient pas près de le revoir

Rédoine Faïd
STF / AFP

Lors de l’assaut, l’arme de poing qui ne quitte pas Rédoine Faïd tombe même de la table nuit : son revolver de type 357 magnum au long canon proéminent. C’est un « homme au bout du rouleau », vidé par quatre-vingt-quinze jours de cavale, que les policiers ont découvert, confie l’un des enquêteurs. Sa belle avait pourtant de l’allure : un hélicoptère qui se pose dans la cour d’honneur d’une prison… mais, depuis, le scénario n’était plus à la hauteur. L’arme tombée de la table de nuit, un policier croit l’avoir aperçue sur les images de vidéosurveillance enregistrées le 24 juillet à Sarcelles, à moins de 40 kilomètres de Creil. Le fugitif, accompagné du fidèle Rachid, son aîné, échappe de justesse à un contrôle de gendarmerie. A bord de leur Renault Laguna, les deux frères se réfugient dans le parking d’un centre commercial, puis disparaissent à pied. Non sans être filmés. Rédoine tient un sac banane qui pourrait cacher le 357 magnum. Dans la Laguna, les flics retrouvent des détonateurs et six « boules ». Des pains de plastic ? En fait, plutôt du mastic pour vitrier… Comme si Faïd s’était fait flouer en voulant acheter de quoi ouvrir un fourgon blindé, ou s’il avait voulu faire semblant d’avoir une bombe. Autre symptôme de sa déconfiture, l’état de la voiture : « Ça sentait le fauve ! » dira un policier. A l’intérieur, des lingettes et de l’anti-moustiques : Faïd a dû dormir à la dure, sans pouvoir sortir de la Laguna.

C’est un mégalo narcissique qui voulait être l’égal d’un Francis le Belge ou d’un Jacky le Mat

Après le « coup de chaud » de Sarcelles, les enquêteurs ont pensé qu’ils n’étaient pas près de le revoir. Il a pu se rendre aux Pays-Bas où ses neveux, trafiquants de stups, ont leurs « tombées », c’est-à-dire des points de chute. « Si on avait su où il était, on l’aurait arrêté, même à l’étranger ! affirme un officier. De toute façon, il n’était pas au Marriott, mais dans un appartement moisi, aux aguets».

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Rédoine Faïd
Sarah BRETHES / AFP

Rue Jean-Baptiste-Carpeaux, les policiers ont trouvé mieux que le tiercé gagnant : Rédoine, amaigri de 4 à 5 kilos, épuisé, Rachid, son aîné, la barbe hirsute, et un neveu, Isaac Herizi, dit « le Rouquin », le fils de leur sœur Rebeh. « Ils n’avaient pas 100 euros sur eux », rapporte un flic. Et au même moment, « Bilo » est arrêté à Villers-Saint-Paul. La PJ est persuadée que deux de ces hommes, voire trois, ont participé directement à l’évasion de la prison de Réau, et qu’ils étaient présents dans l’Alouette. Selon nos informations, Rachid a « oublié » son ADN sur un sac dans la prison et sur un tissu ramassé, en partie calciné, près de l’hélicoptère.

Jean-François Maugard, ancien de la brigade de répression du banditisme de Paris, qui a traqué Rédoine Faïd dès 1996, est sûr que, malgré toutes les précautions, « il recommencera ». Parce que c’est la seule chose qu’il sait faire. Pour le reste, il n’a jamais réussi à être le héros dont il rêvait : un parrain à la marseillaise. « C’est un mégalo narcissique qui voulait être l’égal d’un Francis le Belge ou d’un Jacky le Mat. Son bilan à lui, c’est un braquage raté et une jeune policière tuée ». Le revolver 357 magnum de Belmondo dans « Le professionnel » est tout ce qui lui restait de ses rêves de grandeur.

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