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Restitution des biens africains spoliés : L’amorce d’un dialogue en Belgique

Jacques Storms

Que faut-il faire des statuettes tâchées de sang ramenées du Congo par le militaire Emile Storms? Les présenter aux visiteurs du Musée pour témoigner de la violence coloniale est-il suffisant? Faut-il plutôt les restituer? | © Archives PM

Société

La question des objets culturels pillés durant l’époque coloniale et qui font actuellement partie du « patrimoine » de l’Etat belge s’est invitée pour la première fois dans une assemblée parlementaire.


Restitution des biens culturels africains : question morale ou juridique ? Tel était le titre d’un débat participatif organisé par le Parlement francophone bruxellois et l’asbl Bamko-CRAN, ce 16 octobre 2018. D’emblée la présidente du Parlement, Julie De Groote (CDH) a résumé les enjeux de ce débat par trois mots-clés : « dignité, respect et mémoire collective ». Formulant aussi le souhait que cette journée de réflexion débouche sur du concret, à savoir la constitution d’un groupe d’experts, une co-construction de solutions avec tous les acteurs et, in fine, une résolution qui pourra être transmise aux autres parlements du pays afin de nourrir le débat.

Mireille Tseuhi Roberts
Mireille-Tsheusi Robert, présidente de l’association Bamko © Archives

C’est ensuite Mireille-Tsheusi Robert qui prit la parole pour parler de « la violence de l’agression » et de ces « biens mal acquis dans une période de guerre coloniale totale » qui sont venus « mourir dans des cages dorées » en Belgique. La présidente de l’association Bamko a aussi évoqué la question des collections coloniales de restes humains présentes en Belgique au Musée des sciences naturelles et à l’Université Libre de Bruxelles, ainsi que l’affaire Storms. Il s’agit de ce militaire belge qui fit raser des villages au Katanga à la fin du 19ème siècle et s’en pris particulièrement, dans les environs du lac Tanganyika à un chef appelé Lusinga. Il ramena en Belgique des statuettes volées lors d’expéditions meurtrières, lesquelles se trouvent au Musée de Tervuren. Mais aussi, des crânes de chefs locaux – dont celui de Lusinga – qui avaient été exécutés parce qu’ils faisaient obstacle à ses opérations de conquête territoriales. Durant les débats, cette question des restes humains fut abordée avec un peu de confusion et l’on attribua parfois à l’Université Libre de Bruxelles de posséder des ossements qui se trouvent en fait au Musée des sciences naturelles. On se rapportera utilement aux enquêtes que nous avons publiées sur cette question aussi taboue que délicate.

La Belgique a du retard

En regard des biens culturels présents dans nos musées qui ont été acquis par la violence et/ou différentes formes d’exactions, de ruses ou de tromperies, Mme Robert a plaidé pour qu’ils « soient sortis de la propriété de l’Etat » et qu’un groupe d’experts soit désigné par le gouvernement fédéral préparer la restitution de ces biens mal acquis. Louis-Georges Tin, Premier-Ministre de l’Etat de la Diaspora Africaine, une association internationale qui milite pour la réparation de crimes coloniaux a ensuite démontré que la Belgique avait du retard dans cette réflexion à mener sur la thématique de la restitution.

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A cet égard, on rappellera le discours de Ouagadougou prononcé en novembre 2017 par Emmanuel Macron, lequel se déclarait favorable à la restitution d’un certain nombre d’œuvres d’art africaines qui se trouvent actuellement dans des musées français. En mars dernier, le président français a confié à deux experts culturels la mission d’étudier l’étendue et les modalités des restitutions à venir et leur rapport est attendu pour novembre 2018. Un tel groupe de travail a été également créé en Belgique par la secrétaire d’Etat à la politique scientifique Zuhal Demir (N-VA). Toutefois cette annonce a été faite, fin septembre dernier, en marge de la seule question des restes humains et la communication du gouvernement reste floue : qui fait partie de ce groupe, quel est son agenda ?

Guido Gryseels
Guido Gryseels, directeur général de l’Africa Museum  © PM

Dans ce débat au parlement bruxellois, alors que la question de la restitution n’en est qu’à ses prémisses en Belgique, beaucoup d’observateurs attendaient avec curiosité d’entendre l’exposé du directeur général de l’Africa Museum, Guido Gryseels. Tout en plaidant plutôt la cause de « prêts à longs termes » et de différentes autres formes de coopérations avec des musées africains, en lieu et place d’une restitution pure et simple, M. Gryseels s’est montré ouvert au dialogue. Il a notamment déclaré que le Musée de Tervuren qui réouvrira ses portes le 8 décembre avait clairement pris ses « distances par rapport au système de violence coloniale, un système basé sur une occupation militaire, sur une gestion raciste, l’exploitation des ressources et l’exportation des richesses vers la mère-patrie ».

Partager le savoir

Evoquant un « changement d’esprit culturel et institutionnel », Monsieur Gryseels a dit « assumer le fait que la collection permanente du musée » était restée figée pendant « soixante ans » et que le regard qu’elle posait sur l’Afrique était « parfois raciste » et « certainement colonial ». Ainsi dans la nouvelle mouture de Tervuren des statuettes comme celles volées au chef Lusinga devraient être présentées avec une explication du contexte de violences coloniales. Une solution intermédiaire entre le silence d’antan et la restitution de demain ? L’histoire des objets qui se trouvent à Tervuren reste largement à écrire. Mais plus encore, elle doit être communiquée à un large public de manière accessible.

Storms
Emile Storms a incendié des villages et tué des hommes dans le cadre de la conquête coloniale : une partie de son butin fait partie de la collection permanente du Musée Royal de l’Afrique Centrale © Mrac

Par exemple, l’histoire de Storms a été plusieurs fois abordée par des scientifiques (Roberts, Couttenier, Wastiau, Volper) au cours de ces dernières années sans que pour autant l’opinion publique n’ait eu la moindre connaissance de l’existence-même de cette histoire abominable pourtant tellement exemplative de la violence coloniale. Le savoir doit donc plus se partager dans l’espace public. Des connaissances qui circulent seulement dans un groupe restreint de spécialistes ne permettent pas de faire avancer les débats de société. Les scientifiques, et notamment ceux qui travaillent au Musée du Tervuren, doivent donc sortir de leur tour d’ivoire pour ne pas être les acteurs (parfois inconscients) du conservatisme. Tant il est vrai qu’un savoir non partagé s’exclut de facto du champ social et donc débat démocratique. Est-il dérangeant (et pour qui ? pour quels intérêts ?) que Monsieur et Madame Tout le monde comprennent parfaitement bien et aisément les questions que posent l’affaire Storms ?

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En 2017, s’adressant en anglais à d’autres spécialistes de ces questions dans un ouvrage spécialisé, l’ancien conservateur du Mrac et actuel directeur du Musée d’ethnographie de Genève, Boris Wastiau ne disait pas autre chose : « Quel devrait être le rôle du conservateur de ces collections ? Les musées, en tant qu’institutions publiques, ont un rôle à jouer pour rendre l’histoire accessible et intelligible à un large public. Les faits historiques sur la colonisation sont largement connus et les documents historiques à l’appui sont préservés, mais ils ne sont tout simplement pas réunis avec les objets pour donner un sens aux visiteurs, pour leur donner une idée de l’importance historique de ce qu’ils voient. Qu’ils soient historiens, historiens de l’art ou anthropologues, les conservateurs de collections historiques dans les institutions publiques ont le devoir d’explorer le potentiel de leurs collections pour transmettre des connaissances sur le passé historique. Dans les cas spécifiques des musées belges, ils ont la responsabilité en tant que conservateurs d’un patrimoine belgo-congolais partagé et le devoir en tant qu' »historiens publics »  d’étiqueter et d’interpréter correctement la provenance des objets culturels acquis dans le contexte le plus inéquitable et de traiter dans les salles d’exposition toutes les questions sensibles de l’histoire coloniale et postcoloniale ».

Ne pas seulement se payer de mots

Raconter l’histoire des objets, leur donner une dimension autre que seulement esthétique, voire ne plus exposer ce qui est le butin de pillage, voire encore restituer. Oui mais à qui, quand, comment ? Beaucoup d’idées sont sur la table. Le débat ne fait que commencer en Belgique. Mais ce qui a été dit hier par plusieurs intervenants semble augurer de la possibilité d’un début de dialogue constructif. Pour autant que l’on ne se paye pas seulement de mots, comme le souligna Anne Wetsi Mpoma après l’intervention du directeur du Musée. Cette historienne de l’art qui fit partie du « groupe de six », soit des scientifiques issus de la diaspora qui ont accompagné la rénovation du Musée de Tervuren au cours de ces dernières années, est sortie très meurtrie de cette expérience où elle eut le sentiment de jouer le rôle d’alibi, de caution visant à justifier le ravalement de façade d’un Musée qui ne change pas vraiment.

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L’intégralité de cette matinée de débat au parlement bruxellois a été filmée par la chaîne de télévision BX1 et il donc possible d’y assister en différé.

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