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Corée du Sud : Pourquoi les femmes détruisent leur maquillage

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Les Sud-Coréennes comparent aujourd'hui les produits de beauté à des "ordures". | © Capture d'écran Twitter / QGyj2aAyAFAqi2c

Société

En Corée du Sud, de nombreuses images de produits de beauté détruits se rassemblent depuis plusieurs semaines sous le hashtag #EchappeAuCorset. Un nouveau mouvement contre la pression pour une apparence parfaite et irréaliste.

Rouge à lèvres framboise écrasé, fard à paupières pulvérisé en poussière scintillante, vernis à ongles vidé sur du papier blanc… Accumulés au fil des mois, voire des années, les produits de beauté sont rassemblés par les Sud-Coréennes pour ensuite être mieux détruits. Depuis plusieurs semaines, les vidéos et photos de cette magnifique destruction se multiplient sur les réseaux sociaux, dans le cadre d’un mouvement intitulé « Échappe au Corset ». Leur message est simple : elles protestent contre les normes de beauté strictes et irréalistes du pays, en comparant le maquillage à un corset puisque les deux objets contraignent l’apparence des femmes à une forme homogène. 

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Sur Twitter et Instagram, les témoignages féministes sont explicites. « J’ai eu l’impression de renaître« , explique au Guardian Cha Ji-won qui a jeté tous ses produits de beauté et coupé ses cheveux. « Chaque personne ne dispose que d’une quantité quotidienne d’énergie mentale limitée, et j’en utilisais tellement pour me préoccuper de ma beauté. Maintenant, j’utilise ce temps pour lire des livres et faire du sport », ajoute celle qui dépensait près de 80 euros par moi en cosmétique. « J’aimais les choses ‘jolies’. Je voulais être jolie. Je détestais mon visage moche », explique une autre. « Je n’allais pas à l’école les jours où mon maquillage ne convenait pas ». Aujourd’hui, elle a réalisé qu’elle n’avait pas besoin d’être jolie. « J’ai ôté le masque qui me tourmentait et qui a ruiné ma vie », conclut-elle. Et une autre d’ajouter : « Je me demande pourquoi j’ai perdu mon temps avec ces choses-là. C’est désagréable de penser que j’ai pu m’appliquer des produits si nocifs pour le corps ».

Pays de la cosmétique et de la chirurgie esthétique

Le fait qu’un tel mouvement se passe en Corée du Sud n’a rien d’un hasard. Comme le précise Quartzy, le pays constitue le huitième marché mondial pour les produits cosmétiques, estimé à plus de 8 milliards de dollars, avec 3% des ventes mondiales. Entre 2012 et 2017, le marché a enregistré une croissance annuelle de plus de 7%. « Les femmes sont poussées à atteindre un look ‘sans pore’ et rosé, qu’elles obtiennent grâce à des régimes stricts de traitement de la peau et à des produits de maquillage soigneusement appliqués », explique le site américain.

Avec Séoul considérée comme la capitale mondiale de la chirurgie esthétique, les normes de beauté sont plus puissantes qu’ailleurs. Selon The Guardian, pas moins d’un tiers des jeunes femmes sud-coréennes y auraient eu recours au moins une fois dans leur vie. Et les requêtes sont souvent les mêmes puisqu’en Corée du Sud, les femmes recherchent une peau pâle, de grands yeux, un pont nasal haut, des jambes maigres, des lèvres ressemblant à des cerises, un petit visage et un corps au ratio 9-1, ce qui signifie que le corps doit être 9 fois plus long que le visage. « Alors que chaque pays a sa propre idée de ce qui est idéal, la forte tendance conformiste de la Corée du Sud a poussé des millions de personnes à atteindre le même objectif », analyse le journal britannique.

L’ampleur des mouvements féministes

Le mouvement « Échappe au Corset » s’inscrit dans un contexte plus large d’une révolution féministe contre les valeurs patriarcales du pays, à la suite du mouvement #MeToo. Des centaines de femmes ont raconté leur propre histoire d’agression et de harcèlement. En juin, la Marche des femmes pour la justice, qui a réuni 22 000 personnes à Séoul, est devenue le plus grand rassemblement féministe de l’histoire du pays.

Si ces mouvements féministes reçoivent un tel écho en Corée du Sud, c’est aussi à cause d’un phénomème connu sous le nom des « molka », des minuscules caméras placées par certains hommes pour filmer les femmes à leur insu. Ces « caméras-espions » filment alors les victimes aux toilettes, se déshabillant dans une cabine d’un magasin, à la piscine ou à la salle de sport, pour ensuite publier les vidéos en tant que « contenus pornographiques ». Plus de 6 000 plaintes sont déposées chaque année, révèle The Independent.

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Solution : viser les hommes

Alors qu’elles devaient parfois se lever une ou deux heures plut tôt pour se maquiller, de nombreuses femmes se demandent aujourd’hui pourquoi elles ont dépensé autant de temps et d’énergie. « Pour ces femmes, se maquiller revient à s’éroder, expliquait Yoon Kim Ji-young, professeure à l’Université Konkuk, à l’agence Yonhap en juin dernier. Le fait que de plus en plus de femmes portent des pantalons et se coupent les cheveux montre que le corps le plus ‘efficace’ pour la société est celui des hommes. Celles qui participent à ce mouvement se demandent pourquoi la beauté est un critère qui n’est demandé qu’aux femmes ». 

Il est encore trop tôt pour dire si, sur le plan économique, le mouvement « Échappe au Corset » a eu un impact sur la vente de produits cosmétiques et s’il entraînera un réel changement culturel. Selon les médias locaux, cités par Quartzy, certaines entreprises cherchent déjà à se repositionner sur ce nouveau marché féministe. Plutôt que de miser sur les insécurités des femmes, elles viseront plutôt les clients de sexe masculin de manière plus agressive.

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