Au Pakistan, des millions de filles sont privées d’éducation

Des étudiantes se rendent à l'école Khpal Kor Model, construite avec l'argent du prix Nobel de Malala Yousafzai au Pakistan. | © ABDUL MAJEED / AFP
Dans un rapport alarmant, Human Rights Watch présente les nombreux obstacles à l’éducation des filles au Pakistan et appelle le gouvernement à prendre des mesures afin de mettre fin à ce genre de discrimination.
« Dois-je nourrir ma fille ou bien la mettre à l’école ? » Au Pakistan, près de 22,5 millions d’enfants ne sont pas scolarisés. Une situation qui touche particulièrement les filles, interpelle Human Rights Watch dans un récent rapport. « 33 % des filles en âge d’aller à l’école primaire sont déscolarisées, contre 21 % des garçons ». L’instabilité politique, l’influence disproportionnée sur la gouvernance des forces de sécurité, la répression de la société civile et des médias, l’insurrection violente et l’escalade des tensions ethniques et religieuses empoisonnent le paysage social pakistanais et détournent l’attention du gouvernement sur l’obligation de fournir des services essentiels tels que l’éducation.
« L’échec du gouvernement du Pakistan vis-à-vis de l’éducation des enfants a un impact dévastateur sur des millions de filles », a déclaré Liesl Gerntholtz, directrice exécutive de la division Droits des femmes à Human Rights Watch qui a réalisé plus de 200 entretiens pour la rédaction de son rapport. « Beaucoup des filles que nous avons interrogées désirent désespérément étudier, pourtant elles grandissent sans l’instruction qui leur permettrait de faire des choix pour leur avenir ».
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L’éducation a un coût
Le premier obstacle à la scolarisation est probablement l’argent. Les familles pauvres ne peuvent se permettre d’envoyer leurs enfants à l’école, malgré leur motivation. « Je voulais que mes filles soient instruites, mais je n’ai pas réussi, à cause de la pauvreté. Mon mari gagne 12 000 roupies [près de 80 euros] par mois. À la fin du mois, nous manquons toujours [d’argent], et nous ne savons plus quoi faire – il ne reste rien », explique Halima, 38 ans, mère de cinq filles âgées de 13 à 19 ans, dont aucune n’est restée à l’école plus d’une année ou deux. « Je voudrais une école pour les filles qui viennent de familles pauvres ». Mais la pauvreté est loin d’être la seule entrave à l’éducation des enfants, et surtout des filles.
Faible qualité de l’enseignement
Au cours des dernières années, le système éducatif pakistanais a bien changé, suite à la renonciation par le gouvernement de fournir aux écoles publiques un niveau d’enseignement adéquat, obligatoire et gratuit, pour tous les enfants. Le manque d’accès des écoles publiques à de nombreuses populations pauvres a créé un marché en plein essor pour les écoles privées peu coûteuses, qui constituent, dans de nombreuses régions, la seule forme d’éducation disponible pour les familles pauvres.
« Je pourrais les mettre à l’école, si seulement il y avait une école publique », explique Akifah, mère de trois enfants. Cette femme de 28 ans, à la recherche d’un emploi, a dû déménager il y a trois ans dans une zone où il n’y a que des écoles privées, qu’elle ne peut pas se permettre. Au Pakistan, les établissements publics sont si peu nombreux que même dans les principales villes du pays, beaucoup d’enfants ne peuvent pas se rendre à pied à l’école en sécurité et dans un laps de temps raisonnable. Dans les zones rurales, la situation est bien pire. Nouvelle preuve du manque d’investissement du gouvernement jugé désintéressé.
Même les parents qui ne sont pas instruits eux-mêmes comprennent que l’avenir de leurs filles dépend de leur scolarisation, mais l’État tourne le dos à ces familles. (…) L’avenir du Pakistan dépend de sa capacité à apporter une éducation à ses enfants, y compris ses filles.
– Liesl Gerntholtz.
Que ce soit au sein des établissements publics que des instituts privés bon marché, Human Rights Watch a constaté une faible qualité de l’enseignement, un défaut de réglementation des établissements privés par l’État et les effets de la corruption. Parmi les facteurs de déscolarisation des filles, on retrouve alors l’investissement insuffisant du gouvernement dans les établissements, son incapacité à rendre la scolarité obligatoire, le manque d’établissements, les frais d’écolage et annexes inabordables, ainsi que les punitions corporelles. Par ailleurs, il y a beaucoup plus d’écoles de garçons que de filles. « Pour 10 écoles de garçons, on trouve 5 écoles de filles », souligne un expert en éducation de la province du Khyber Pakhtunkhwa.
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Human Rights Watch a également observé que les établissements secondaires sont plus rares que les écoles primaires, et les universités ont encore moins de capacité, surtout pour les filles. « De nombreuses filles qui ont réussi leur scolarité jusqu’à la dernière année d’un niveau d’enseignement n’ont pas accès à un établissement où elles pourraient continuer dans le niveau suivant », explique l’organisation qui appelle ceci « un goulet d’étranglement » au fur et à mesure que les enfants grandissent.
#Pakistan : Des millions de #filles ne vont pas à l'#école en raison de #discrimination sexiste, de difficultés financières et d'autres obstacles, selon un nouveau rapport de HRW qui appelle le gouvernement à agir pour rectifier cette situation injuste. https://t.co/qZ5p1FfLTr
— HRW en français (@hrw_fr) November 13, 2018
Normes sociales préjudiciables
Mais les barrières à l’éducation pour les filles se trouvent également en dehors du système scolaire. Le travail des enfants, la discrimination fondée sur le sexe et les normes sociales préjudiciables, ainsi que l’insécurité et les dangers sur le chemin de l’école constituent également des obstacles difficilement franchissables. La violence à l’égard des femmes et des filles – y compris le viol, les meurtres dits « d’honneur », les attaques à l’acide et la violence domestique – est un problème grave au Pakistan. Les activistes pakistanais estiment qu’il y a environ 1 000 crimes d’honneur chaque année, précise Human Rights Watch.
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Dans un pays où 21% des filles se marient avant l’âge de 18 ans, le mariage des enfants est à la fois une conséquence et une cause de la déscolarisation des filles. Ces dernières sont aussi, souvent, retirées de l’école à l’approche de la puberté, parfois parce que les familles craignent qu’elles ne s’engagent dans des relations amoureuses.
« Le gouvernement reconnaît que la réforme de l’enseignement est désespérément nécessaire et promet d’en faire sa priorité, surtout pour les filles – c’est un pas en avant », a conclu Liesl Gerntholtz, alors que le programme du parti politique du Premier ministre nouvellement élu, Imran Khan, promet des réformes majeures du système éducatif. « Nous espérons que nos conclusions l’aideront à diagnostiquer les problèmes et à trouver des solutions afin d’offrir à chaque fille pakistanaise un avenir radieux ».