La vie brisée des anges gardiens de Snowden

Edward Snowden à Moscou en 2018. | © Lindsay Mills
On l’a longtemps cru seul contre tous. Son incroyable cavale depuis Hongkong, en 2013, n’aurait pas abouti sans l’aide d’alliés hors du commun. C’est Robert Tibbo, fer de lance de la défense des droits humains dans la région chinoise, qui a l’idée du tour de passe-passe. Cacher le lanceur d’alerte dans « un enfer où les gens ont un instinct protecteur ».
D’après un article Paris Match France, de notre envoyée spéciale Emilie Blachère avec Axelle de Russé
L’aube, le 10 juin 2013. Ce coup de téléphone qui l’a tiré d’un profond sommeil, Robert Tibbo ne l’a jamais oublié. « J’ai immédiatement su que ma vie allait changer, nous confie-t-il. Mais je ne savais pas à quel point… » Un geek de 29 ans, Edward Snowden, a besoin de lui. Dans sa fuite à Hongkong, l’ex-agent américain passé par la CIA et la NSA a emporté quatre ordinateurs, des clés USB et près de 1,7 million de documents classifiés et ultra-confidentiels. Des preuves irrécusables pour dénoncer la surveillance que s’autorisent les autorités américaines sur ses propres citoyens comme sur les gouvernements du monde. Commence le plus gros scandale d’espionnage de l’Histoire. Ce n’est pas seulement la liberté de Snowden qui est menacée. C’est sa vie. Les services de renseignement américains sont à ses trousses, ils ne sont pas les seuls. On craint même un kidnapping téléguidé par les Chinois, avides d’informations. Snowden doit être défendu, mais avant tout il doit être caché. Robert Tibbo, avocat canadien, la cinquantaine, est un spécialiste des droits humains. Mais le scénario qu’il élabore est digne de Hollywood.

Robert Tibbo ne révélera pas la chronologie exacte de cette cavale
C’est en Chine, dans les années 1990, que ce diplômé en génie mécanique, ex-salarié chez Monsanto, découvre les transferts de population et les persécutions qui les accompagnent. Son engagement va passer par des études de droit administratif et constitutionnel à l’université d’Auckland, en Nouvelle-Zélande. En 2005, il intègre le barreau de Hongkong et ouvre son cabinet, Eastern Chambers, l’année suivante. Après son mariage avec une Thaïlandaise, il s’installe à Lantau, l’une des 262 îles de l’archipel. Robert plaide pour les sans-papiers – Sri-Lankais, Vietnamiens, Indonésiens, Philippins… –, des hommes et des femmes traumatisés, fragiles, menacés de torture ou de mort dans leur pays. Moins de 1 % des demandes d’asile à Hongkong sont acceptées. Mais près de 12 000 – un chiffre officiel en deçà de la réalité – s’entassent dans les quartiers les plus miséreux de la ville.
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C’est précisément dans ces taudis insalubres que l’avocat imagine mettre à l’abri son célèbre client. « Parce que personne n’irait le chercher là… », nous explique-t-il. Et le 10 juin 2013, à la nuit tombée, il organise l’exfiltration. Robert Tibbo ne révélera pas la chronologie exacte de cette cavale – « trop dangereux », nous avoue-t-il. Mais il veut bien raconter : « Nous sommes allés déposer une demande d’asile auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) afin d’éviter son extradition aux États-Unis. » Et, « en attendant de trouver une stratégie de sortie du territoire », frappe à la porte de ses clients. Il s’agit de trois familles de réfugiés chez qui il va habiter à tour de rôle.