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Congeler ses ovocytes pour une grossesse plus tardive

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Dans une société où tout se fait plus tard – finir les études, trouver un travail, se mettre en couple –, l’âge de la première grossesse est sans cesse repoussé. | © Pexels

Société

Chaque année, des centaines de Françaises franchissent la frontière pour aller cryogéniser leurs ovocytes à l’étranger, une démarche interdite en France et devenue un business de l’autre côté des Pyrénées. Elles s’appellent Vanessa, Mathilde ou Chloé, ont dépassé la trentaine et entendent ainsi préserver leur fertilité. Nous les avons suivies. 

D’après un article Paris Match France de Marine Dumeurger

 

Place Reial à Barcelone. Sous les arcades centenaires, un flot de touristes se mêle à l’animation de la célèbre esplanade catalane. Parmi eux, Vanessa profite des ocres et des dorés des derniers rayons du soleil. Pourtant, la Française n’a rien à voir avec ces vacanciers ordinaires qui arpentent les Ramblas. À 36 ans, elle est venue en Espagne pour raison médicale : faire congeler ses ovules – également appelés ovocytes –, une démarche illégale en France et couramment pratiquée chez nos voisins méditerranéens. Détendue, elle raconte en sirotant un verre : « Quand j’ai entendu parler la première fois de vitrification, c’était il y a cinq ans, je m’en souviens, cela m’a paru être de la science-fiction. Mais voilà, aujourd’hui, je suis ici. »

Vanessa est en couple depuis cinq mois. Son ami Louis, assis à côté d’elle, l’a accompagnée. « La fertilité baisse à partir de 35 ans et c’est une bonne façon d’y remédier », complète-t-il. Amoureux, ils n’envisagent pas encore d’avoir des enfants ensemble, peut-être plus tard ; leur relation est trop récente. D’autant que Louis travaille à l’autre bout du monde, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et il ne doit pas rentrer en France avant plusieurs mois. « Je n’ai pas envie de faire un enfant parce que le temps presse, argumente Vanessa, pragmatique. Vitrifier mes ovocytes, c’est une façon de me laisser le choix. Je peux ainsi vivre mon couple pleinement, sans me mettre la pression. »

Non loin de là, dans le quartier des Corts, l’antre du FC Barcelone et le centre des affaires de la ville, la clinique Dexeus semble tout droit sortie d’un film d’anticipation. Bordé d’une pelouse parfaite où trônent quelques palmiers, à côté d’un petit cours d’eau translucide, un bâtiment ancien à la façade néoclassique accueille cet établissement privé moderne. À l’intérieur, l’ambiance change radicalement : dans un style épuré et impeccable, tout en dégradé de gris, façon hall d’hôtel chic, des femmes enceintes se mêlent aux couples en attente de leurs rendez-vous médicaux. C’est ici que Vanessa est venue pour le prélèvement de ses ovocytes qui seront ensuite stockés.

Les ovocytes devront être décongelés, fécondés in vitro, puis l’embryon sera déposé dans l’utérus de la patiente

Au sous-sol, après avoir descendu une série d’escaliers et passé les portes sécurisées, nous pénétrons au cœur de la clinique. Dans une pièce d’à peine quelques mètres carrés sont conservés 4 000 ovocytes vitrifiés, entreposés dans des conteneurs en acier emplis d’azote liquide. Responsable du lieu, le biologiste Miquel Solé, en tenue de laborantin, blouse, charlotte et chaussures en plastique, répète les mêmes gestes minutieux à longueur de journée. Il récupère les ovocytes tout juste prélevés sur une patiente et, après les avoir nettoyés dans une solution spécifique, les plonge un à un dans un grand bain fumant d’azote à moins 196 degrés. La cryogénisation prend à peine quelques secondes, puis les ovocytes sont placés dans un tube hermétique où ils pourront être conservés à cette même température pendant des années. La technique, plutôt récente – elle date du début des années 2000 –, est utilisée depuis 2010 chez Dexeus. Elle permet notamment d’éviter la formation de cristaux et assure une meilleure conservation. « Avant, c’était problématique car de la glace se formait. Il y avait beaucoup plus de pertes à la décongélation », détaille Miquel Solé. Car, pour être utilisés, les ovocytes devront être décongelés, fécondés in vitro (Fiv), puis l’embryon sera déposé dans l’utérus de la patiente.

Au premier étage, le directeur, le Dr Pedro Barri, vient d’annoncer la bonne nouvelle à Mathilde, une amie de Vanessa, elle aussi venue de France pour la même raison et pour la seconde fois. « Les biologistes ont confirmé que la qualité des ovocytes était bonne. Nous en avons prélevé douze. » Ils viendront s’ajouter aux cinq déjà prélevés il y a quelques mois ; un total de dix-sept. À Dexeus, les médecins estiment qu’il faut prélever entre dix et quinze ovocytes pour qu’une Fiv ait des chances de réussir, même si aucune garantie ne peut être donnée aux patientes. C’est pourquoi la plupart des femmes comme Mathilde doivent procéder à deux prélèvements, facturés environ 3 000 euros chacun.

C’est un processus lourd, et l’on aimerait être davantage accompagnées

Quelques heures plus tard, sur la plage, alors que les vendeurs ambulants défilent, proposant cocktails, chapeaux, lunettes ou massages aux promeneurs, les deux amies d’enfance se retrouvent pour partager leurs impressions. À 37 ans, Mathilde, elle aussi en couple, ne sait pas encore si elle désire un enfant. « Je ne fais pas partie de ces femmes qui ont toujours voulu être mères. Si j’y renonce, je veux que ce soit par choix. Je serais très en colère d’essayer dans deux ans et de ne pas y arriver. Alors, je préfère anticiper, même si je n’ai pas envie d’avoir mon premier enfant à 45 ans. » Déterminée, l’avocate parisienne assume totalement sa démarche et la revendique. Elle vient d’ailleurs de poster un message sur Facebook évoquant son séjour à Barcelone. « Bien sûr, ce n’est pas ce dont je rêvais à 18 ans, aller vitrifier mes ovocytes à l’étranger. Il y a quelque chose d’un peu honteux. Et puis, c’est dégradant de devoir quitter la France, payer l’hôtel, prendre des jours sans rien dire à son employeur, on se sent comme des clandestines. C’est un processus lourd, et l’on aimerait être davantage accompagnées. Je souhaite que les choses changent, alors j’en parle autour de moi. »

Les médecins n’accompagnent pas toujours les patientes psychologiquement

Mathilde, Vanessa… Stéphanie Toulemonde connaît bien ces Françaises qui viennent à Barcelone pour des raisons liées à la fertilité. Elle-même est passée par plusieurs Fiv. Cette mère de deux enfants devenue coach en fertilité a monté une association appelée She Oak, afin de les accompagner. Dans un café chic de la capitale catalane où elle a l’habitude de rencontrer ses clientes, elle évoque le besoin qu’elle a eu de donner du sens à son métier, et la grande solitude ressentie pendant ces longs mois passés à essayer d’être enceinte. « Ce sont des sujets tabous et très sensibles. Et les médecins n’accompagnent pas toujours les patientes psychologiquement. On a souvent l’image de femmes carriéristes qui veulent profiter de la vie et vitrifient leurs ovocytes, mais ce n’est pas la réalité. Certes, elles ont un certain niveau socioprofessionnel. En vérité, pour diverses raisons, elles n’ont pas trouvé le moment approprié pour avoir un enfant, malgré leur désir de maternité. Et il leur faut une certaine force de caractère pour accomplir les démarches seules, parfois sans en parler à leurs proches. »

Car, si le cadre est idyllique, Barcelone, ses tapas en terrasse et le bleu émeraude de la Méditerranée, la procédure reste onéreuse, autour de 7 000 euros en moyenne si l’on compte deux ponctions d’ovocytes assorties des frais de déplacement. Et pesante à entreprendre. C’est d’ailleurs une des raisons évoquées par ses détracteurs qui pointent un protocole lourd – l’administration répétée d’hormones – et dénoncent une médicalisation précoce avec obligation de recourir à une Fiv, elle aussi onéreuse, pour être enceinte, sans succès garanti. En effet, une fois l’ovocyte décongelé et fécondé, l’implantation de l’embryon dépendra de la santé et de la capacité utérine de la mère. Ainsi, Vanessa a commencé la stimulation ovarienne depuis dix jours en se faisant elle-même des injections dans le ventre pour entraîner la maturation de plusieurs ovules. Puis, après une énième échographie et prise de sang, elle a sauté dans un avion pour Barcelone. Demain, l’ovulation sera déclenchée et les ovocytes seront prélevés sous anesthésie générale, comme le souhaite Vanessa. Un spéculum sera introduit dans son vagin, puis une seringue très fine aspirera ses ovocytes, guidée en direct grâce à une échographie.

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À la clinique Dexeus à Barcelone, les ovules sont plongés dans un grand bain d’azote à moins 196 degrés. © Axelle de Russé

Les établissements privés se plient en quatre pour attirer la clientèle

Pourtant, malgré la complexité du protocole, les Françaises sont de plus en plus nombreuses à le suivre. Dans une société où tout se fait plus tard – finir les études, trouver un travail, se mettre en couple –, l’âge de la première grossesse est sans cesse repoussé. En Espagne, on parle de plusieurs centaines de Françaises par an, même si aucun chiffre officiel n’a été publié. Dans la clinique Eugin, le nombre de patientes aurait doublé l’an passé. Devant cet afflux, les établissements privés ibériques capitalisent, se pliant en quatre pour attirer la clientèle, avec des équipes médicales polyglottes, des chargées de communication ultra-réactives et des promesses révolutionnaires de freiner le temps qui passe.

Ce temps qui passe et un homme réticent à devenir père, Chloé en a fait l’expérience. Dans un café parisien, cette cadre supérieure au sein d’une grande entreprise souhaite conserver l’anonymat mais accepte de témoigner. Déterminée, l’allure soignée et sobrement maquillée, elle devient fragile et sa voix s’adoucit quand elle parle de son parcours. « L’année de mes 39 ans, je discutais avec une de mes copines, mère de quatre enfants. C’est elle qui m’a conseillé de vitrifier mes ovocytes. Sur le moment, je lui en ai beaucoup voulu. Je n’avais aucune relation sérieuse depuis trois ans. J’allais passer la quarantaine et j’ai tourné le sujet dans ma tête pendant un an. Je me posais plein de questions, sur le fait de contraindre la nature, de jouer avec l’éthique. Pourtant, je ne voulais pas avoir de regrets. Une fois que cela a été fait, je me suis sentie libérée d’un poids. J’avais pris les choses en main. » Suite à sa ponction d’ovocytes, elle se remet avec son ancien compagnon. « J’avais eu une relation longue, compliquée avec un homme qui ne voulait pas fonder de famille. Nous nous aimions mais nous nous étions séparés à cause de ça. Finalement, on s’est retrouvés et j’étais beaucoup plus sereine. Vouloir un enfant à tout prix peut vraiment polluer un couple, mais là, quoi qu’il se passe, j’ai mon assurance bébé. » Ironie du sort : elle tombe spontanément enceinte. Aujourd’hui, à 45 ans, Chloé vient d’utiliser ses ovocytes vitrifiés pour un deuxième enfant. L’embryon a été déposé dans son utérus il y a à peine une semaine et elle saura bientôt si la nidation s’est bien effectuée. Les chances de succès sont malgré tout peu élevées, « moins de 15 % », selon elle*. Elle sourit : « C’est mon compagnon qui veut un deuxième enfant, même si cela risque de bouleverser mes projets professionnels ! »

Personne n’a recours à une procréation assistée par choix. Ce sont les difficultés qui y conduisent

En réalité, les femmes qui utilisent leurs ovocytes comme Chloé sont peu nombreuses. « Beaucoup n’y ont pas recours parce que leur situation personnelle change, confirme le Dr Barri, chez Dexeus. Elles rencontrent quelqu’un, font un enfant naturellement, ou bien les obstacles matériels n’existent plus. Et c’est tant mieux. Personne n’a recours à une procréation assistée par choix. Ce sont les difficultés qui y conduisent. » Ainsi, à Dexeus, sur les 350 patientes qui ont effectué une vitrification, une trentaine seulement ont utilisé leurs ovules. Pour dix d’entre elles, cela n’a pas débouché sur une grossesse, souvent à cause de leur âge ; pour les vingt autres, oui, parfois après plusieurs Fiv. Amalia raconte son heureuse histoire, décomplexée : « Quand j’étais plus jeune, je voulais être mère, mais le temps a passé et je ne m’en suis pas rendu compte, confie-t-elle. J’ai rencontré mon ami actuel à 38 ans et j’ai très vite utilisé mes ovocytes vitrifiés et effectué une Fiv. Je connais des couples qui ont essayé longtemps d’avoir un bébé, je ne souhaitais pas passer par là. » Aujourd’hui âgée de 40 ans et enceinte de sept mois, elle attend son premier enfant. « Je m’estime chanceuse. Tout a bien fonctionné. Alors, pourquoi ne pas utiliser un deuxième ovocyte ? »

De leur côté, Mathilde et Vanessa ont repris le chemin de la France. Contentes et soulagées. « J’ai l’espoir que, si je dois un jour me servir de mes ovocytes, la loi aura changé en France, que ce sera légal », ose Mathilde. En septembre dernier, le Comité d’éthique suggérait de proposer une autoconservation, sans pour autant l’encourager. En attendant les aléas de la vie et de la législation, leurs ovules reposent dans les sous-sols de Dexeus, bien au frais, à moins 196 degrés. n Marine Dumeurger

* Quelques semaines après notre rencontre, Chloé repartait à Barcelone pour une troisième Fiv, après l’échec des deux premières.

« Autoriser la vitrification sans l’encourager »

Joëlle Belaisch-Allart, Vice-présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), milite pour la légalisation de la vitrification en France. Confrontée au quotidien aux problèmes de fertilité, la responsable du service gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction du Centre hospitalier des Quatre-Villes à Saint-Cloud clarifie les choses.

Paris Match. Que dit aujourd’hui la loi en France par rapport à la vitrification d’ovocytes ?
Joëlle Belaisch-Allart. Elle est autorisée dans deux cas seulement : pour des raisons médicales, par exemple avant un traitement de chimiothérapie qui risque d’altérer la fertilité, ou en contrepartie d’un don, où la donneuse peut garder une partie de ses ovocytes prélevés, s’il y en a plus de cinq. La conservation pour raison de convenance, c’est-à-dire sans raison médicale, est interdite.

Il n’y a pas de raison médicale de l’interdire

Le CNGOF s’est prononcé pour la légalisation de la vitrification pour raison de convenance. Pourquoi ?
Comme l’Académie de médecine, il s’est en effet déclaré en faveur de l’autoconservation, en fixant la limite d’âge à 45 ans pour utiliser les ovocytes, avec la possibilité de repousser à 50 ans au cas par cas. Aujourd’hui, beaucoup d’arguments sont favorables à la légalisation : le recul de l’âge de la première grossesse, l’allongement des études, la liberté individuelle, l’égalité hommes-femmes… La méthode est scientifiquement prouvée, elle est développée dans le monde depuis les années 2000 et les enfants nés après une vitrification d’ovules vont bien. Ça ne veut pas dire qu’il faut l’inciter ou que cet acte soit pris en charge par la Sécurité sociale. Mais, hormis des attitudes dogmatiques ou peu féministes, il n’y a pas de raison médicale de l’interdire. A mes yeux, la seule question valable, c’est comment l’autoriser sans l’encourager. La plus grande des priorités est d’informer sur la baisse de la fertilité avec l’âge.

Quel message aimeriez-vous faire passer à ce sujet ? 
Il est important d’en parler sans angoisser les femmes et dire qu’une procréation médicalement assistée (PMA) ne fonctionne pas toujours. À partir de 35 ans, la réserve d’ovocytes diminue, en quantité et en qualité. D’ailleurs, le meilleur moment pour faire vitrifier ses ovocytes, c’est avant 35 ans. On peut estimer que la congélation de dix ovocytes avant 35 ans donne 69 % de chances d’obtenir une naissance. Ce pourcentage tombe à 50 % à 37 ans et 30 % à 40 ans. Il faut également informer les hommes car, dans de nombreuses histoires, ce sont eux qui ne sont pas prêts et qui repoussent hasardeusement l’échéance d’une grossesse.

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