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L’avortement est « le meurtre d’une personne innocente » pour un professeur invité à l’UCL

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Stéphane Mercier, un chargé de cours de philosophie de l’Université catholique de Louvain, a disserté durant deux heures avec véhémence contre le droit à l’avortement des femmes. Un étudiant témoigne et partage l’enregistrement du cours.

« Si l’avortement est un meurtre, n’est-il pas encore plus grave que le viol ? Le viol est immoral et heureusement il est aussi illégal ». La phrase a de quoi abasourdir et a dû laisser plus d’un étudiant du cours de philosophie de première année coi. Ceux-ci se la sont vus imposer par le biais d’un véritable pamphlet « pro-life », durant deux heures. L’orateur du jour, c’était Stéphane Mercier, un chargé de cours, professeur invité à l’UCL, qui a profité de sa tribune professorale pour faire passer un message extrêmement controversé à de jeunes gens « contre un prétendu » droit de choisir » l’avortement ». Le message a ensuite été martelé par le biais d’un document récapitulatif, long de 15 pages, publié sur la plateforme de cours de l’université.

Un discours perturbant

« Il a commencé son cours en nous prévenant que ce qu’il allait nous dire n’allait pas plaire à tout le monde, mais que c’était pour égayer notre sens critique, pour qu’il y ait débat », raconte un étudiant en sciences politiques, présent ce jour-là pour le premier cours de ce nouveau professeur, il y a trois semaines. « Il nous a directement mis dans le bain en nous disant qu’il allait donner un cours sur l’avortement ».

Les deux heures qui suivent se déroulent dans l’incompréhension et l’incrédulité la plus totale. L’homme déballe un argumentaire extrêmement élaboré contre le droit à l’avortement. « Il est toujours moralement mauvais de tuer délibérément une personne innocente. Je pense qu’on peut être d’accord sur cette proposition, je ne vois pas de raison de la refuser« , lance-t-il par exemple, sur un ton détendu, mais déterminé, avant d’asséner : « L’avortement consiste à tuer délibérément une personne innocente ».

« La première heure, les élèves ont écouté attentivement en attendant le moment où le débat allait commencer », se souvient le jeune étudiant. Sauf que le débat n’arrivera jamais, laissant place à un long monologue dérangeant. « J’ai mis du temps à me rendre compte de la gravité de la chose », explique-t-il, révélant l’inadéquation d’un tel discours sur les bancs de l’école, et encore davantage devant un public qui doit encore se former à la pensée critique. « Même moi qui ai toujours été pour l’avortement, en sortant, j’ai commencé à douter tant c’était bien développé », révèle-t-il encore.

©BELGA PHOTO ERIC LALMAND

Tout au long de son laïus, il posera une série d’arguments tenant plus de l’ordre du point de vue que d’autre chose : « L’argument de la viabilité [du foetus] (…) ne vaut absolument rien », peut-on l’entendre professer, avant d’enchainer sur la non-assistance à personne en danger, l’eugénisme, et même de nombreux parallèles avec le viol. Les questions des élèves sont habilement déboutées, alors que Stéphane Mercier invite les jeunes gens à aller regarder des vidéos sur la pratique. « Quand on parle d’une IVG (…), en réalité on parle d’un meurtre par démembrement« , détaille-t-il.

Entre les sièges où le malaise se propage, alors qu’il se murmure des « Je ne sais vraiment pas quoi penser de ce cours » et même un « Mec, il part trop en couille ».

À la suite de cette première rencontre avec leur nouveau professeur, certains étudiants scandalisés ont pensé à aller en parler à la direction. Les cours suivants, Stéphane Mercier semblait pourtant s’être « calmé », revenant à un programme plus « classique ». Mais « on a compris très vite qu’il parlait beaucoup de la religion », poursuit l’étudiant. À l’un de ces cours, le professeur clame même que « la religion catholique [est] la seule religion véritable », raconte-t-il.

« Je trouvais que ce prof était assez intéressant : il parle bien, il connait son sujet … », constate l’étudiant, avant d’ajouter : « J’ai trouvé personnellement que ce n’était pas un cours à faire à des étudiants de BAC1. Des étudiants en master pouvaient être prêts à ce genre de confrontation, mais pas nous ».

15 pages de notes

Le texte-résumé, intitulé « La philosophie pour la vie », a été révélé, entre autres, par Synergie Wallonie, qui en tant que défenseur de l’égalité des sexes s’est indigné de son contenu. On y retrouve le même argumentaire, qui pose un point de vue difficile à défendre au vu de la législation actuelle et des avancées de notre société moderne liées à l’avortement. « Sur quoi se fonde donc un argumentaire digne de ce nom ? Sur des faits, des éléments objectifs, du moins pour autant que l’on puisse en juger », proclame néanmoins le professeur, également impliqué au Grand Séminaire Notre-Dame de Namur.

« L’idée que je défendrai est que tout avortement sans exception est un mal, et qu’aucune circonstance ne le justifie jamais, contrairement à ce que l’on entend dire un peu partout aujourd’hui, et dans une mesure qui tend à anesthésier le débat », ajoute-t-il ensuite, avant de poursuivre, « Alors quoi, à partir de combien de cellules sommes-nous une personne humaine ? Trente-deux, cela ne suffit pas ? Il en faut 128 ? ou quelques millions ? »

Dans un langage très compréhensible et assimilable, proche de celui des étudiants – il fait par exemple allusion à Chuck Norris et Bear Grylls -, il s’attaque ensuite à la partie de son argumentaire titrée « illégal ou « seulement » immoral ? », en reférence l’avortement toujours, avant de conclure : « J’ai longuement développé un argument simple qui établit de manière très claire et directe que l’avortement est le meurtre d’un être humain, d’une personne innocente ».

À la fin du document, une liste d’ouvrages et de liens « pour aller plus loin » reprennent des sites pro-life et catholiques.

L’université « respecte le droit à l’avortement »

Trois semaines plus tard, l’affaire enflant sur les réseaux sociaux, l’UCL a réagi dans un court communiqué, dans lequel on apprend que l’université vient tout juste de prendre connaissance du texte. Les autorités de l’UCL précisent que Stéphane Mercier est un « chargé de cours invité à l’Institut de philosophie » et que ce dernier a été immédiatement convoqué. « La personne sera entendue afin d’éclaircir le statut de cet écrit et l’usage éventuel qui en est fait dans le cadre de son enseignement », peut-on lire.

« Quelle que soit l’issue de l’instruction, le droit à l’avortement est inscrit dans le droit belge et la note dont l’UCL a connaissance est en contradiction avec les valeurs portées par l’université. Le fait de véhiculer des positions contraires à ces valeurs dans le cadre d’un enseignement est inacceptable », insiste l’Université catholique de Louvain.

À propos du professeur de philosophie pro-life, on a enfin envie de conclure – pour l’instant – sur l’une des phrases de son texte controversé : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet ».

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