Zainab Fasiki, la dessinatrice féministe marocaine qui libère le corps des femmes

En quelques années, Zainab est devenue une véritable icône féministe au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. | © Zainab Fasiki
Zainab Fasiki est marocaine et lutte à coups de crayon pour briser les tabous liés au corps de la femme dans le monde Arabe. Entre reconnaissance et harcèlement, à 25 ans, elle est un symbole de sa génération.
Zainab Fasiki cumule des dizaines de milliers de followers sur les réseaux sociaux et parcourt le monde pour partager son combat: libérer le corps des femmes et parler librement de sexualité. Fraîchement diplômée de l’École nationale supérieure d’électricité et de mécanique de Casablanca, cette jeune Marocaine enchaîne les projets à vocation artistique et d’éducation sexuelle. En quelques années, elle est devenue une véritable icône féministe de la région MENA, (Moyen-Orient et Afrique du Nord).
Prise de conscience des inégalités
Zainab Fasiki naît en 1994 à Fès, dans le nord-est du Maroc. Elle est la seule fille d’une fratrie de 5 garçons. Toute petite déjà, manier le crayon était sa passion. En grandissant, le harcèlement de rue et les injustices liées au genre à l’école viendront s’ajouter à la pression familiale. « J’ai eu un véritable déclic à 19 ans quand j’ai commencé mes études en ingénierie mécanique. Je me suis alors rendue compte que durant les cours et pendant les stages, j’étais toujours sous-estimée et négligée par les garçons et les profs. Sans compter que dans la rue j’étais harcelée et à la maison on voulait me contrôler. C’est un stress permanent de vivre dans cette société », confie-t-elle.
La jeune fille exprime alors ses frustrations et l’absurdité de sa réalité à travers des dessins qu’elle partage sur Facebook et Instagram. À chaque publication, les réactions fusent. Certains la félicitent, d’autres la malmènent en lui rappelant que son travail est « haram » (interdit). Malgré tout, sa communauté en ligne s’agrandit très vite. Derrière sa frange coupée droite, se cache un sacré caractère, bien décidé à ne pas se laisser faire.
Dessiner, éduquer, militer
2015 marque sa première collaboration avec Skefkef, un fanzine marocain satirique et décalé. Elle y publie une série de vignettes pour dédramatiser l’éducation sexuelle. Autodidacte, c’est en contribuant à ce collectif de bande dessinée qu’elle apprend à scénariser les problématiques sociétales. En 2017, elle publie sa première bd Omor (« Des choses »), elle y dénonce au fil des cases les inégalités homme-femme à travers les personnages de trois jeunes marocaines. S’ensuit Feyrouz Versus The World, une saga émancipatrice, inspirée de son propre vécu.
À l’été 2017 à Casablanca, une jeune femme handicapée est agressée sexuellement dans un bus par plusieurs garçons qui filment la scène. Zainab Fasiki, est bouleversée et en colère. Elle publie un dessin légendé : « les bus sont faits pour transporter les gens, pas pour violer les filles. »
L’illustratrice est alors projetée sous le feu des médias internationaux et se fait inviter aux quatre coins du monde pour témoigner, éclairer et porter la parole des Marocaines. Le scandale du bus de l’été 2017 a relancé le sujet du harcèlement au coeur des débats. « Malheureusement c’est toujours une réalité du quotidien dans nos rues. Le scandale de l’agression dans le bus a juste aidé à exposer le sujet, à exploser les tabous », commente Zainab Fasiki. Une étude menée en 2016 par le bureau régional d’ONU Femmes dans la région de Rabat, révèle que 63% des femmes interrogées ont été confrontées à des actes de harcèlement sexuel et 53% des hommes ont reconnu avoir déjà harcelé sexuellement une femme ou une fille. Bonne nouvelle cependant, une nouvelle loi criminalisant les violences sexuelles et le harcèlement, vient d’entrer en vigueur au Maroc.
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Offrir une parole aux femmes
Malgré une charge de travail immense, quotidiennement, la dessinatrice continue d’échanger avec sa communauté, en postant des articles, en faisant la promotion de jeunes artistes, ou en faisant entendre des voix qu’on voudrait réduire au silence. Cet empowerment, Zainab Fasiki l’encourage à travers Women Power, une association qu’elle a créée dans le but de soutenir des jeunes artistes marocaines, par la mise en place d’ateliers de coaching mensuels et de groupes de discussions 2.0.
« Le projet de Women Power a pour but d’encourager les artistes marocaines en devenir à développer leur carrière. Il y a peu, je débutais moi-même dans ce domaine dominé par les hommes où la voix de la femme est souvent oubliée. Le mouvement féministe au Maroc est en train de grandir chaque jour un peu plus grâce aux réseaux sociaux qui ont donné la parole à plusieurs femmes qui ne pouvaient pas s’exprimer. »
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Hshouma, l’éducation sexuelle comme outil d’émancipation
À 25 ans, Zainab Fasiki enchaîne les projets, les collaborations et les conférences. Récemment, elle a lancé le projet Hshouma, une bande dessinée et un site internet dédiés à combattre les tabous liés au corps féminin . La discrimination, la violence, les inégalités entre homme et femme, l’éducation sexuelle, la liberté sont autant de sujets abordés dans ce projet.
Le mot « hshouma » signifie en dialecte marocain « la honte », ce dont on ne peut pas parler. Ce manque de communication encourage le développement de fausses informations, Zainab Fasiki a décidé de palier ce vide d’éducation sexuelle. « Hshouma était un projet que je voulais lancer depuis longtemps, c’est un mot que j’entendais depuis le début de mon adolescence et de ma carrière. J’ai commencé le projet pendant une résidence artistique de deux mois à Madrid en juin 2018. J’ai eu beaucoup de retours positifs mais aussi d’autres beaucoup plus négatifs . Mais c’est normal, j’ai créé Hshouma à cause de la présence des conservateurs qui représentent malheureusement la majorité des Marocains », ajoute la dessinatrice.
Le phénomène de la Hshouma et des non-dits qui en découlent est aussi présent en Belgique au sein des communautés d’origine maghrébine. Zina Hamzaoui est sexologue et musulmane, dans son cabinet à Molenbeek, elles encontre ses patients et les aide à comprendre leur sexualité en insistant sur la nécessite de parler et de partager. « Hshouma est un terme que l’on colle à tout ce qui fait honte et qui crée beaucoup de problèmes. Mais les tabous autour du corps et de la sexualité sont universels. On a encore tous beaucoup de travail pour déconstruire les peurs… », explique la spécialiste.

Tant qu’il y aura des menaces, la mission continue
« Je me sens définitivement libre du jugement des autres y compris ma famille. » Cette force d’exister dans une société hostile, ce n’est pas simple tous les jours. « Je suis habituée à être menacée, c’est une conséquence de la mise en avant de mon travail. Ça ne m’a jamais empêchée de continuer. Je savais dès le début que ce serait une mission très difficile qui implique de recevoir des menaces chaque jour, d’être insultée et de faire des sacrifices familiaux. Ces effets négatifs sont le reflet du véritable visage de la société patriarcale dans laquelle je vis. Ces menaces ne me rendent pas triste mais me motivent au contraire à continuer ma lutte. »
Quand on lui demande si elle pense que les femmes arabes sont victimes de stéréotypes dans les yeux des Occidentaux, Zainab Fasiki répond avec intérêt : « Cette question est importante car souvent, on me dit que ce que je fais c’est juste le résultat du féminisme occidental mais pour moi la liberté est universelle, sans nationalité, sans ancrage local. Quand je défends la liberté de la femme, je défends la femme qui veut être nue mais qu’on empêche de vivre comme elle l’entend, mais je défends aussi la liberté de la femme qui veut porter le voile mais qui est forcée de l’enlever. Dans toutes les situations, je me bats pour la liberté de choix de la femme dans un monde patriarcal. Et pour moi, ce combat n’a rien à voir avec l’influence des pays occidentaux, nous les femmes de la région MENA, on veut totalement être libérée de stéréotypes de soumission. »