Plan SACHA : Et si on pouvait fêter sans peur de se faire harceler ?

Longue vie à SACHA. | © Elodie Grégoire
Viols, agressions, harcèlement… Les festivals ne sont pas seulement synonymes de fête et de musique. Après des années de tabous et de non-dits, les organisateurs décident enfin de prendre la problématique au sérieux. La palme de la lutte contre les violences sexistes revient à Esperanzah ! et son Plan SACHA. Reportage sur le terrain…
Dimanche après-midi, le site de l’abbaye de Floreffe grouille de monde sous le soleil. Un public éclectique, tendance baba cool vogue de concert en concert dans une ambiance chill, festive et plutôt bienveillante. Et pourtant, même ici dans ce cadre plutôt idyllique, les violences sexistes font partie des réalités, comme dans tous les autres festivals. Selon une enquête menée en 2018 par Plan International, 1 fille sur 6 révèle avoir été victime de harcèlement au moins une fois à un festival. Pour la deuxième année consécutive, le festival Esperanzah ! tente de lutter contre le harcèlement et les agressions sexistes et sexuelles en milieux festifs à travers le Plan SACHA (Safe Attitude Contre le Harcèlement et les Agressions). Nous retrouvons Amandine Verfaillie coordinatrice du plan SACHA au Village des Possibles, un espace qui rassemble des initiatives citoyennes et des projets associatifs.
Assumer la réalité d’un phénomène
« SACHA a vu le jour dans le cadre de la campagne ‘Le Déclin de l’Empire du Mâle’ autour de la domination masculine, menée pendant le festival Esperanzah ! l’été passé. Les organisateurs ont alors réalisé que pour aller plus loin, il fallait prendre en charge ce phénomène de harcèlement et de violences sexistes et sexuelles. Ils ont réfléchi aux outils à mettre en place et c’est comme ça que le plan SACHA est né avec une équipe de bénévoles. En prenant en compte et en assumant la problématique, des actions peuvent être menées et le festival peut agir en conséquence par rapport aux auteurs. Avant, il n’y avait rien de structuré pour assumer cette réalité. Aujourd’hui, le plan s’exécute autour de trois axes : la formation, la prévention et la prise en charge psychosociale », explique Amandine Verfaillie.
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En amont du festival, une trentaine de bénévoles sont formés à devenir des Super SACHA’s, ce sont eux qui se retrouvent en première ligne face au public dans l’un des trois stands du festival. Ils sensibilisent les festivalier.e.s en leur transmettant des informations et des outils d’auto-défense verbale. « On a aussi briefé les bénévoles de toutes les équipes pour essayer qu’ils soient au courant et sachent que faire s’ils ou elles sont témoins ou victimes d’agressions. »

Parlons-en : « Non, c’est non ! »
À Esperanzah !, SACHA est partout, la campagne d’affichage aux slogans percutants (« de la cour au jardin, mon cul veut pas de ta main » ; « mon corps n’est pas un sujet de débat ») attire le regard de tous les festivaliers. Aux trois stands, les Supers SACHA’s accueillent le public en leur transmettant des infos sur le harcèlement, les agressions, la drague… Aude a 28 ans, elle est Super SACHA bénévole : « Je me suis retrouvée très souvent dans des situations où je ne savais pas comment réagir en tant que victime ou en tant que témoin, et je trouvais très utile d’avoir des trucs et astuces pour répondre. Les outils qu’on propose pour réagir au sexisme sont très ludiques. »
Grâce au plan SACHA, la question du consentement est au cœur des discussions. « Avant, on n’en parlait pas. C’est super aussi pour les gens plus jeunes qui découvrent la sexualité. Franchement, en y réfléchissant, ça va vite le non-consentement », témoignent Elisa et Annabelle, 24 ans, festivalières.
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Charlotte, 30 ans est, elle aussi une Super SACHA : « On propose des situations au public, et on réfléchit ensemble au consentement qui doit être libre et éclairé. On essaye d’apporter la nuance pour éviter de tomber dans le flou. On touche un public très large et les conversations sont différentes selon le type de personnes. Le but, c’est que l’info arrive à leurs oreilles et fasse son chemin. Dans mon parcours de femme, je fais face à des situations de harcèlement, ça fait sens pour moi de sensibiliser le public. Certains, mais surtout certaines témoignent de violences et elles sont super contentes de voir ce genre d’initiatives. On dépasse le tabou et on en parle, enfin ! »

Parmi les bénévoles, on compte aussi des hommes. Yacine, 22 ans est l’un d’eux : « C’est une thématique qui me touche, ces inégalités concernent la moitié de l’humanité. En festival, on peut cibler beaucoup de gens en peu de temps, c’est un échange très riche. »
Une véritable prise en charge
Cette année, à Dour, il y a eu trois plaintes pour viol. L’info a fait la Une des médias. Rien de nouveau malheureusement, mais ce qui change, c’est qu’aujourd’hui, les victimes témoignent. « Il y a probablement des viols chaque année dans plusieurs festivals, mais avant les victimes se taisaient maintenant elles se sentent plus légitimes de dénoncer, elles osent porter plainte », commente Clémentine Carlier, psy et coordinatrice de la prise en charge pendant le festival. Par binôme, les psys assurent une permanence 24 heures sur 24, que ce soit par téléphone, sur le site ou dans les deux « safe space » qui ont été aménagés. La quinzaine de psys bénévoles ont été formés par le centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) qui a développé un protocole pour savoir comment réagir aux situations de violence sexuelle en milieux festifs. « On ne communique pas sur les chiffres mais oui, notre téléphone a sonné et oui il y a eu des plaintes de harcèlement et des prises en charge. Parfois, des comportements peuvent réveiller des traumatismes passés… », continue la psychologue. Heureusement, les équipes ne sont pas débordées, mais leur travail est utile et nécessaire, et ce même à Esperanzah !, un festival réputé pour son esprit festif mais bienveillant.
« Même si ça prend du temps, je sens qu’il y a une conscientisation et une déconstruction qui est en train de se faire au niveau sociétal. Et c’est sûr qu’ici, on sent directement l’impact de notre travail, on peut agir concrètement », ajoute Clémentine Carlier.

Aussi, un tout nouvel outil a été mis en place : la chatbot. Une sorte de chat messenger dans lequel des questions/réponses pré-définies permettent d’orienter la personne victime ou témoin de violences sexistes et sexuelles vers les structures pertinentes. L’équipe espère que cet outil aide les témoins et victimes à identifier ce qu’il s’est passé qu’il s’agisse d’agissements sexistes, d’agressions, harcèlement ou de viols.
SACHA, pas SACHA
« On ne va pas régler le problème du sexisme en Belgique mais l’un de nos objectifs est de créer une référence commune pour évaluer nos comportements et les comportements des autres par rapport à la thématique du sexisme : tel acte, c’est SACHA, tel autre ce n’est pas SACHA. Il y a encore beaucoup de travail, mais, le fait que il y ait un cadre, je pense que c’est sécurisant », sourit Amandine Verfaillie.

Dans la foule, un homme balance une blague un peu lourde et sexiste, quelques secondes plus tard, ses amis autour de lui hurlent : « Pas SACHA ». L’humeur est légère, néanmoins le message semble clair. Louise, 30 ans, est une habituée du festival, elle observe les changements : « Même ici à Esperanzah !, on sent des résistances par rapport au patriarcat et au sexisme. Certains tournent le projet à la dérision, ce qui prouve que c’est quand même une thématique qui dérange. Clairement, il va falloir encore du temps pour observer de réels changements, mais en tant que femme ça me rassure de savoir que SACHA existe. Je trouve que c’est super belle initiative, ils sont encore en phase test, ça fait jaser, c’est certain, mais au moins tout le monde en entend parler et c’est comme ça que les choses peuvent changer. »
Une initiative qui porte ses fruits puisque le plan SACHA sera mis en place aux Solidarités, au Jyva’zik, aux 24 Heures Vélo de Louvain-La-Neuve et sur le campus de l’ULB. Ce n’est que le début, longue vie à SACHA!