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Les dessous de l’arnaque au fisc belge

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Paris Match poursuit son exploration du versant belge des « Dubaï Papers ». Parmi les fichiers éventés, on trouve un mécanisme de blanchiment d’actifs. | © Belga et Paris Match Belgique.

Société

Une femme d’affaires belge cachée derrière une offshore panaméenne, des hommes de paille et des rabatteurs de clients actifs en Belgique… Paris Match poursuit son exploration des « Dubaï Papers », l’énorme « leak » financier dévoilé l’année dernière par l’Obs. Au coeur des révélations, le groupe Helin du prince Henri de Croÿ, vaste réseau soupçonné de pratiquer la fraude fiscale et le blanchiment de capitaux.

Le réseau Helin est un théâtre d’ombres. Les silhouettes qui s’y agitent demeurent insaisissables tant qu’on ne peut accéder à la source lumineuse qui les projette. Grâce aux « Dubaï Papers », il est possible de passer de l’autre côté du miroir aux alouettes tendu par Henri de Croÿ (HdC) et ses associés. On y découvre alors toute une machinerie bien rodée, mise au service de numéros de prestidigitateurs qui varient sans cesse, mais qui ont toutefois en commun de faire passer des vessies pour des lanternes.

Parmi les nombreux tours de passe-passe contenus dans les fichiers éventés voici un peu plus d’un an, il en est un qui s’est joué sur la scène belge, dont les illusionnistes et les bateleurs de Helin se sont appliqués à faire un modèle du genre. Il s’appelle « Vandalia », du nom de l’offshore panaméenne au centre de l’opération magique ayant consisté à faire disparaître son bénéficiaire économique. Paris Match vous en révèle les secrets…

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La société Vandalia Investment SA a été enregistrée au Panama, l’un des paradis exotiques de la finance opaque, le 26 septembre 1985. Cette offshore a été constituée pour occulter le bénéficiaire économique des fonds ayant notamment servi à faire l’acquisition, trois ans plus tard, d’un appartement de standing situé dans la commune d’Uccle. Mais qui se cache derrière ce paravent ? Les registres que nous avons pu consulter renseignent qu’en 2010, c’est-à-dire au moment du rapatriement de l’offshore en Belgique, outre les habituels prête-noms locaux, un trio d’Irlandais assurait la gestion officielle de la structure. En réalité, il s’agissait d’hommes de paille, tous trois impliqués dans les affaires du prince de Croÿ, dont un en particulier, Tom Donovan, sur lequel nous reviendrons.

Des gestionnaires bidons car, ainsi que le dévoile la malle aux trouvailles des « Dubaï Papers », la véritable bénéficiaire économique et gestionnaire réelle de l’offshore panaméenne est une Belge, aujourd’hui âgée de 67 ans. Nous l’appellerons « Madame Chantal ». Au tout début de l’année 2010, après avoir profité durant un quart de siècle du climat fiscal très ensoleillé de la mer des Caraïbes, cette offshore a soudain été redomiciliée en Belgique avec l’aide d’Henri de Croÿ. De toute évidence, Madame Chantal était assez pressée. En atteste un mail du 2 janvier 2010 dans lequel HdC écrit à l’un de ces collaborateurs au sujet du transfert du siège social de Vandalia : « le client est impatient ».

Le motif de cet empressement n’est pas relaté. Mais tout porte à croire que la signature annoncée d’une nouvelle convention (déjà paraphée) entre la Belgique et le Panama, portant sur l’échange d’informations bancaires et fiscales, a alarmé Chantal qui redoutait d’être subitement identifiée. A partir de là, il apparaît qu’elle a sollicité son conseiller juridique afin que ce dernier lui trouve une solution de rapatriement anonyme et « tax free » de l’offshore. L’avocat s’est alors tourné vers le groupe Helin qui lui a concocté un montage sur mesure, destiné à blanchir les actifs de la société. A tout le moins, le bien immobilier acquis trente ans auparavant dans l’une des communes huppées de l’agglomération bruxelloise, dont la valeur a bénéficié de la flambée des prix.

La métamorphose

La première étape du montage a consisté à déménager le siège social de Vandalia Investment en Belgique. A Louvain-La-Neuve plus exactement. Ensuite, la métamorphose de l’offshore s’est poursuivie avec l’adoption d’une nouvelle forme juridique et la modification de sa dénomination et de son objet social. C’est ainsi qu’en mars 2010, la société anonyme de droit panaméen s’est transformée en une société immobilière privée à responsabilité limitée de droit belge. Appelons-la « Kiwi SPRL ».

Le gérant de Kiwi, au moment de son implantation sur le sol belge, n’était autre que l’Irlandais Tom Donovan, alias « Tom » chez Helin, l’un des collaborateurs du prince de Croÿ et son principal homme de paille dans quantité de combines du groupe. Chez Vandalia comme chez Kiwi, c’est précisément le rôle qu’il a tenu afin de laisser Madame Chantal dans l’ombre. La domiciliation de la SPRL n’était pas non plus anodine : l’adresse renvoyait à une fiduciaire louvaniste spécialisée dans l’expertise comptable et le conseil fiscal. Il s’agissait du cabinet (fusionné depuis) de Guy Ollieuz, dont l’une des matières de prédilection est, d’après son profil, « l’optimisation fiscale du patrimoine privé tant en Belgique qu’à l’étranger ». Son CV professionnel omet cependant de mentionner qu’il a également été un important rabatteur de clients chez Helin. Les « Dubaï Papers » font d’ailleurs apparaître qu’en 2008, sa société a secrètement cédé des parts à HdC.

En septembre 2010, le premier écran de fumée ayant produit son effet de masquage, les hommes de paille agissant à titre fiduciaire pour Chantal ont transmis les parts sociales de Kiwi et le mandat de gérant … à Chantal, faisant croire de cette manière qu’elle n’était pas la bénéficiaire économique antérieure de la société. C’est à ce moment que le siège de la SPRL a été déplacé de Louvain-La-Neuve. Une première fois à Saint-Gilles et, près de deux ans plus tard, en juillet 2012, à Ixelles. Dans les deux cas, il a été réimplanté à l’adresse des cabinets successifs de l’avocat de la nouvelle gérante. Avocat qui n’est pas un inconnu. C’est lui aussi un proche d’Henri de Croÿ, apporteur d’affaires juteuses et dont Paris Match a révélé l’implication dans les circuits d’Helin. Il s’agit de Maître Arnaud Jansen.

D’après nos documents, le juriste a été à la manœuvre d’un bout à l’autre de l’opération. Entre autres mails, celui que lui a adressé HdC le 23 novembre 2009 permet de mesurer ce qu’a été sa participation concrète. Il est question dans ce courriel du montant de la commission empochée par le prince pour ses services. Ce dernier lui écrit : « Cher Arnaud (…) Solution 1 : 5 000 euros. Solution 2 : 10 000 euros. Pour peu que tu t’occupes de la rédaction de toutes les conventions, des relations avec le notaire belge ou le cas échéant les administrations belges. Ces frais ne comprennent pas les frais extérieurs. Pour l’instant, je n’en vois que deux : frais du correspondant de la société offshore, frais de notaire ».

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La suite montre que l’avocat d’affaires a piloté toutes les étapes du transfèrement de Vandalia Invest vers la Belgique. Durant cette période, la question de la taxation de la plus-value sur l’immeuble de Uccle a été posée par le notaire belge en charge des actes officiels. C’est alors qu’Arnaud Jansen a consulté pour avis l’un de ses confrères, Me Thierry Afschrift, le conseiller fiscal le plus célèbre du royaume, vieille connaissance d’Henri de Croÿ, également apporteur pour le groupe Helin selon les « Dubaï Papers ». Dans son analyse de cas datée du 1er avril 2010, ce dernier conclut à une exonération de la taxe sur la plus-value immobilière mais, précisons-le, ici en application de la législation en vigueur. Rien ne peut donc lui être reproché sur ce point. Néanmoins, pouvait-il ignorer qu’on le consultait au sujet d’un bien destiné à être blanchi ? Compte tenu de son très haut niveau d’expertise et de sa connaissance de la nature des activités de Helin, il est permis d’en douter. En tout état de cause, son avis écrit a levé les inquiétudes manifestées par le notaire qui bloquait le transfert.

Un si petit monde

Lorsqu’on pousse les investigations plus loin, on découvre que le hasard ne doit rien à la mise en relation de tous les protagonistes de cette histoire. Comme nous allons le voir, l’offshore rapatriée de Panama a atterri en pays de connaissance.

Tout d’abord, Madame Chantal est la fondée de pouvoir d’une fondation privée, active en Belgique et à l’étranger dans le domaine éducatif, humanitaire et médical. Cette institution a son siège à l’adresse professionnelle du secrétaire général qui n’est autre qu’Arnaud Jansen. Mais ce n’est pas tout. L’un des administrateurs de ladite fondation est le patron d’un groupe d’édition franco-belge qui compte parmi son actionnariat la filiale d’une « stichting » (fondation) basée aux Pays-Bas. Or, comme Paris Match l’a révélé dans son édition d’octobre dernier, cette stichting a bénéficié d’un système de fausse facturation mis en place par le groupe d’Henri de Croÿ avec l’aide active de… Me Jansen.

Poursuivons : Guy Ollieuz, le relais d’Helin chez qui la SPRL Kiwi a été initialement domiciliée à Louvain-La-Neuve, n’était sans doute pas un illustre inconnu pour Madame Chantal au moment où elle a décidé de ramener son offshore sur le sol belge. En effet, tous deux sont membres d’un prestigieux cercle d’affaires, parfaitement honorable au demeurant, qui rassemble des entrepreneurs, mais également des personnes issues du monde de la politique et des médias. Chantal y est renseignée comme administratrice d’une société active dans le négoce du vin.

De toute évidence, la pieuvre Helin a vu l’opportunité d’étendre ses tentacules à l’intérieur de ce cercle, certainement identifié comme un vivier de premier choix pour ses rabatteurs. Parmi les membres de ce club très fermé, on trouve en effet un autre client de HdC, et pas n’importe lequel. Toujours selon les « Dubaï Papers », il s’agit d’un homme d’affaires qui a disposé d’au moins cinq offshores dans deux paradis fiscaux : l’archipel des Marshall dans l’océan Pacifique, et Raïs Al-Khaïma, l’émirat arabe où Helin s’est implanté en 2009. Ce ne sont pas moins de huit millions d’euros issus de ses propres avoirs que ce chef d’entreprise actif dans le secteur des télécommunications a confié au prince. Les « Dubaï Papers » identifient Guy Ollieuz comme apporteur de ce client.

D’autres ramifications apparaissent encore. Elles forment cette nébuleuse qui donne le vertige au premier regard. Mais dès lors qu’on se donne la peine de l’observer plus attentivement, on finit par s’apercevoir que ce n’est rien d’autre qu’un tout petit monde.

« Je ne suis pas concerné par des actes illégaux »

L’expert comptable et conseiller fiscal Guy Ollieuz est mis en cause dans notre enquête. Nous l’avons confronté à nos informations. Celles reprises dans l’article et d’autres qui le concernent. S’agissant du rapatriement en Belgique de la société Vandalia Invest, il prétend être tout à fait étranger à cette opération. Pour le reste, voici sa réponse :

« Je ne suis pas concerné par des actes illégaux. Bien que tenu par le secret profesionnel, je peux vous dire que j’ai de fait mis des clients en relation avec Henri de Croÿ que j’ai rencontré au début des années 1990. A l’époque, il était fiscaliste spécialisé en droit international auprès de la banque Degroof Luxembourg. J’ai pu, à cette occasion, apprécier sa compétence dans le cadre d’une opération tout à fait respectueuse de la législation fiscale applicable en Belgique. Par la suite, il a quitté la banque Degroof et je l’ai recommandé à divers clients à la recherche d’une compétence sur le plan international. Les missions pour lesquelles des clients ont sollicité mon avis ont toutes été réalisées dans la plus stricte légalité. Il s’agissait d’opérations relevant de la planification patrimoniale en dehors de tout contexte d’évasion fiscale ou de blanchiment d’argent. Les structures mises en place étaient diligentées et entièrement gérées par l’équipe de M.de Croÿ. Il n’est pas impossible que certains clients aient confié à Henri de Croÿ une mission sans m’en informer et dont ils n’étaient d’ailleurs pas tenus de m’informer car elle ne présentait aucun lien avec les activités déployées en Belgique. Je ne puis assumer la responsabilité des montages fiscaux réalisés par certaines personnes en collaboration avec Henri de Croÿ sous prétexte que je les aurais mis en relation. Je n’aurais jamais pu imaginer que M. de Croÿ ait pu commettre les actes qui lui sont actuellement reprochés et que je réprouve totalement. Si j’avais su tout cela, je n’aurais certainement pas entretenu la moindre relation avec lui ». 

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