Pierre Kompany, à nouveau victime de racisme : « Mes enfants sont métis. On a dû les protéger », rappelait-il récemment à Match

Pierre Kompany recevait Paris Match chez lui en mars dernier : "Réponse, la clé du sectarisme se trouve", confirme-t-il, "dans la culture et l’éducation, d’une importance capitale. Il faut élever le niveau de la connaissance commune. Cette connaissance, on l’obtient au départ à travers des lieux partagés comme l’école bien sûr." | © Ronald Dersin / Paris Match Belgique.
Pierre Kompany à nouveau cible de messages racistes. La section bruxelloise du cdH porte plainte. Ce n’est pas la première fois que le bourgmestre de Ganshoren subit de telles abjections. Il était revenu, lors d’un entretien intimiste pour Paris Match en mars dernier, sur ce racisme « ordinaire » qu’il a régulièrement enduré. Sans en faire un monde ni céder. « On a éliminé l’homme noir de l’histoire du colonialisme », soulignait-il dans la foulée.
Depuis la diffusion, samedi dernier, d’une vidéo collective des députés bruxellois cdH, Pierre Kompany est la cible de messages racistes répétés d’une violence inacceptable, comme l’indiquait Céline Fremault, cheffe de groupe du parti humaniste au Parlement bruxellois. La vidéo faisait état du dépôt d’une résolution sur l’Histoire et la Mémoire coloniale partagée, Les six députés cdH du parlement bruxellois ont ainsi annoncé jeudi le dépôt d’une plainte pour incitation à la haine, injures racistes et harcèlement à l’égard de leur colistier. « Force est de constater pour le cdH que seul Pierre Kompany fait l’objet d’un traitement odieux qui s’apparente par ailleurs à du harcèlement », a souligné Céline Fremault, relayée par Belga. « Nous avons décidé de donner une suite judiciaire à ces expressions d’incitation à la haine et aux injures racistes par un dépôt de plainte soutenu par tous les membres du groupe politique. C’est ensemble qu’on ne doit rien laisser passer et c’est ensemble qu’il faut agir, d’autant que la question du racisme ne concerne pas que la victime. Elle relève d’une responsabilité collective. »
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En mars dernier, Pierre Kompany nous avait reçus dans sa maison de Ganshoren et nous avait accordé un long entretien. Nous avions évoqué ce racisme qu’il évoque dans son livre (Du Congo à Ganshoren – Un destin incroyable. Éditions Luc Pire). Il en parle tantôt farouchement, tantôt avec un flegme presque anglo-saxon. Ou une hauteur toute africaine, c’est selon. Son bagage intellectuel, la lignée dont il fait partie, lui ont permis sans doute de voir avec un certain recul les assauts minables du sectarisme aggravé. « Ça m’a permis sans doute d’avoir un certain détachement, c’est vrai par rapport aux effets directs de l’imbécilité qui caractérise le racisme. » Quel conseil donner dès lors aux plus béotiens ? « Il faut qu’autour d’eux les gens communiquent, qu’ils se parlent davantage. »
Alerte à la poudre et propos de caniveau
Le 21 janvier, Pierre Kompany est victime d’une alerte à l’anthrax à l’hôtel communal de sa commune. Un courrier suspect qui lui était adressé – lettre de menace, propos racistes, excréments et poudre blanche. Son élégance face aux caméras après l’acte restent dans les esprits. « Mon courrier est toujours ouvert au préalable. Heureusement, je tenais l’enveloppe verticalement », nous dit-il simplement. « Je suis chef de police et ai appelé leurs services. Pompiers, services de protections et policiers étaient là dans les cinq minutes. Sinon, ce devait être un imbécile ou quelqu’un qui a fait le Congo ou un autre à qui on a raconté certaines humiliations… »
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Le bourgmestre évoque cet épisode survenu quelques années plus tôt, alors qu’il venait d’être élu échevin des Travaux publics, de l’Environnement et de la Propreté. « J’ai reçu une lettre anonyme d’une personne qui me disait : Maintenant, vous n’allez pas transformer notre commune en poubelle comme Kinshasa ! » Le bourgmestre enchaîne, avec ce détachement serein : « J’aurais pu souligner ce que j’ai laissé comme traces dans la communes sur ce plan – les bulles pour le verre notamment. Mais face à de tels événements, il faut garder une certaine modestie !Je n’ai plus eu de nouvelles ensuite, j’imagine qu’il a été satisfait de ma politique de propreté… »
Dans un autre registre, il y a aussi cette séquence pittoresque qu’il raconte dans son livre : sa fiancée Jocelyne, qui deviendra son épouse et la mère de ses trois enfants, l’emmène pour la première fois rendre visite à ses parents en Ardenne. Son père les accueille et demande à sa fille en substance : c’est quelqu’un qui vient travailler pour toi ? Elle répond du tac au tac : « Non papa, c’est l’homme qui va devenir mon mari. »
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Pierre Kompany estime, lors de cet entretien en mars, n’avoir pas été en revanche victime de racisme visible dans la sphère politique. « Je pense que je suis respecté car je n’ai pas commencé aujourd’hui et je connais plus d’un politique depuis très longtemps. Je reçois des coups politiques comme les uns et les autres, ni plus ni moins. De ce côté je n’ai pas grand-chose à déplorer. Au parlement bruxellois, tous ceux qui sont députés aujourd’hui ont prêté serment avec moi. Même le ministre-président Rudy Vervoort ! (Le 11 juin dernier, Pierre Kompany a ouvert officiellement la première séance du parlement bruxellois remanié après le scrutin du 26 mai 2019).»
Assauts du sectarisme aggravé en cour de récré
Il a vécu le racisme à travers ses enfants. Il évoque entre autres cette anecdote cruelle mais réglée au quart de tour. La scène se passe dans l’école néerlandophone du nord de Bruxelles, où sont allés ses trois enfants. Un enseignant dit à François, son plus jeune fils qui a alors cinq ou six ans, qu’il ne pourra pas jouer avec les autres, qu’il ne pourra pas se mêler à ses camarades. « Le soir-même j’ai envoyé un courrier au commissariat de police, avec copie pour info à l’établissement. En deux jours, les choses ont retrouvé leur cours normal. Cette personne ne faisait plus partie de l’établissement. »
Très vite le métis est assimilé aux Noirs. Comme l’a dit Vincent : vous aurez juste à travailler deux fois plus que les autres…
Pierre Kompany parle aussi de racisme dans la sphère du ballon rond, sans s’appesantir outre mesure. Il raconte l’une ou l’autre injustice, prône une vigilance de tous les instants. « Prenons Anthony Vanden Borre (joueur de football belge d’origine congolaise). Son père est blanc, sa mère est noire. Pendant le match, je voyais son père tourner autour du terrain comme l’aiguille d’une horloge. Il m’a dit un jour : ‘Si je m’arrêtais avec tout ce que j’entends, il n’y aurait plus de match. Je n’ai pas envie d’en arriver là…’ En attendant, il veillait au grain. Quand on était jeune, ça aurait pu se régler au coup de poing. Aujourd’hui, en tant que parent, il faut avant tout assurer une présence. »
« Mes enfants sont métis, on a dû les protéger »
Avec son épouse Jocelyne, décédée il y a quelques années, Pierre Kompany a placé dans l’éducation de sa progéniture une attention de tous les instants. Conduire les enfants dans les clubs de sport aux quatre coins du pays, être présents lors de toutes les compétitions, les soutenir avec ferveur. Suivre leurs résultats scolaires et sportifs de près, les guider, veiller à interagir avec les coaches, les enseignants…« Nos enfants sont métis, on a dû les protéger. » C’est plus périlleux, délicat que d’être Noir si on ose synthétiser ainsi les choses ? « Non car très vite le métis est assimilé aux Noirs. Comme l’a dit Vincent: vous aurez juste à travailler deux fois plus que les autres. Mon épouse et moi étions motivés pour nous battre. Jocelyne avait un poste à responsabilité à l’Orbem, elle était militante. Quant à moi, je n’ai rien laissé passer non plus. »
« La culture congolaise aurait dû nourrir les Belges »
Quant à ce guet-apens ultime que constitue la discrimination, Pierre Kompany l’évite, le contourne, l’affronte aussi quand il le faut, on l’a vu. Il l’explique en grand sage : « Certains politiques font usage de groupes démographiques pour obtenir des voix. Par ailleurs, dès que les grands groupes constitués se mettent à jouer à ce jeu-là, il est fatal que dans la foulée, ceux qui n’avait plus en tête de parler de manière dégradante s’y mettent et on entend alors s’exprimer tous les abrutis… »
La réponse, la clé du sectarisme se trouve, confirme-t-il dans la culture et l’éducation, « d’une importance capitale. Il faut élever le niveau de la connaissance commune. Cette connaissance, on l’obtient au départ à travers des lieux partagés comme l’école bien sûr. L’école est un début. »

Pierre Kompany rappelle si besoin était que les Belges ont failli dans leur colonisation, ou post-colonisation, alors qu’ils auraient pu et dû, souligne-t-il, faire de ces échanges une richesse hors pair. La culture congolaise aurait pu nourrir les Belges, qui auraient pu ensuite la diffuser. Le patrimoine des deux côtés s’en serait trouvé vivifié, nourri, embelli. « Notre culture aurait pu être diffusée par les Belges s’ils s’en étaient donné la peine. J’ai rencontré récemment, lors d’une activité officielle en tant que bourgmestre un couple mixte, dont l’épouse, blanche, parlait impeccablement le lingala (une des langues officielles en République démocratique du Congo et en République du Congo). Sans accent. Des centaines de milliers de Belges ont vécu au Congo. Si chacun avait laissé ses enfants parler ces langues, apprécier la culture du pays, l’enrichissement aurait été incomparable. »
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Pierre Kompany a bénéficié d’un enseignement solide au Congo, plus costaud sans doute qu’en Europe, cela se lit entre les lignes de son récit de vie. Avant de débarquer en Belgique et de devenir ingénieur mécanique, avant d’inventer ensuite une éolienne qui lui vaudra deux médailles d’or aux Salons des Inventions de Genève et de Bruxelles, il s’est imprégné de culture, tant en famille que sur les bancs de l’école. Il évoque entre autres les maths qui lui ont été inculquées à la dure, dans toute leur complexité. « Le calcul mental par exemple, les multiplications m’ont été enseignés par des instituteurs et professeurs qui étaient blancs ou noirs. »
L’homme noir était dans les pyramides de l’Égypte. On l’a éliminé dans l’histoire de la colonisation.
Il parle volontiers des oublié(e)s de la science et de l’Histoire. Est en réalité intarissable sur le sujet. L’espace nous manque. Il aborde quelques faces soigneusement cachées du grand récit congolais. « Beaucoup d’hommes noirs n’ont pas encore conscience que leur histoire ne démarre pas au moment de la colonisation, c’est à dire au moment où les Portugais ont rencontré le Congo, deux ou trois cents ans avant les Belges. Il y avait d’ailleurs à l’époque des échanges assez amicaux mais ce n’est pas le début de notre civilisation. L’homme noir était dans les pyramides de l’Égypte. On l’a éliminé dans l’histoire de la colonisation. On sait que les maths amenées en Grèce – connues par Pythagore et Archimède – étaient d’inspiration égyptienne. Certains ont eu le courage de le dire. Et le fait que la Grèce ait connu une civilisation plus sophistiquée que la plupart des pays d’Europe ne l’a pas empêchée de devenir, aujourd’hui, l’un des pays les plus menacés du Vieux Continent. Parlons du Soudan qui est complètement foutu : de ce pays partaient des pharaons… Tout le monde le sait aujourd’hui : l’histoire laisse toujours des traces et on peut visiter les petites pyramides du Soudan, mais au départ on ne nous l’a pas appris.»

Le bourgmestre député nous parle aussi longuement des oubliées de la science, ces femmes de l’ombre qui ont oeuvré à la Nasa ou ailleurs. L’espace nous manque là aussi. Ce sera l’objet d’un autre récit. « De même énormément de gens ignorent qu’aux États-Unis, au début du XXe siècle, alors que commençaient à apparaître des lois antiracistes, un Noir a remporté un procès au tribunal face à un ingénieur d’origine blanche et avec des juges blancs. Le mensonge prend souvent l’ascenseur, la vérité emprunte les escaliers mais elle finit par arriver. Voyez aussi l’affaire des os d’Ishango, en RDC, près de la frontière ougandaise. Ce sont des artefacts archéologiques datés de plus de 20 000 ans. Ce pourrait être la plus ancienne preuve de pratique de l’arithmétique dans l’histoire de l’humanité. J’ai étudié au Congo et personne ne me l’a jamais enseigné. Or cela aurait pu être considéré comme patrimoine commun. J’ajouterai encore ceci : en Belgique, au début des années 1920 on a formé en Belgique un ingénieur agronome d’origine congolaise. Il a même participé à de grandes conférences sur les colonisations. Il est décédé très vite de façon assez suspecte. Si on a pu former un Congolais ici en 1920, comment se fait-il qu’en 1960 on clame partout qu’il n’y a pas d’universitaire congolais ? Qu’est-ce qui peut expliquer un tel ‘gap’ ? »
«Il fallait prendre toute cette culture comme un bien commun »
Dans la foulée, il nous parle de ce clip qui a fait fureur sur les réseaux sociaux, on y voit « une petite fille belge et blanche danser à l’africaine ». Il s’agit de la fillette carolorégienne Anaé Romyns et sa professeure bruxelloise Jeny Bonsenge, spécialisée dans l’afrodance, ont fait un tabac avec leur vidéo repérée par Meghan Markle. Elles ont été conviées sur le plateau d’Ellen DeGeneres diffusé par CBS aux États-Unis. « Combien de filles blanches dansent comme des femmes congolaises ? On voit en Suède des jeunes filles blondes en train de danser sur de la musique congolaise, on voit des groupes entiers s’en inspirer. La Belgique aurait pu initier tout cela. Il aurait été formidable d’avoir plus d’exemples de transmission de culture de ce type. La musique du monde entier est basée sur notre culture musicale. Nous sommes partout, dans le tango, dans la rumba, les rythmes brésiliens, etc. Quand un peuple est capable d’incarner tout cela, comment le colonisateur n’a-t-il pas pu en tenir compte et diffuser l’info ? Ceux qui font marcher le temps, l’histoire, et ceux qui font fonctionner le commerce ont négligé l’apport de la culture du Congo. Or il fallait prendre tout cet apport, toute cette culture comme un bien commun. »
Parmi les idoles de Pierre Kompany, ses héros de tout temps, il y a l’incontournable Mandela: « Mandela, c’est quand même le top… En football, j’ai beaucoup d’admiration pour Pelé. C’est un grand monsieur. Il a été assez conciliant par rapport à la diversité. Il a quand même joué pour un pays qui devait encore tenter d’effacer le mot racisme (…) »
Que dire d’Obama, auquel une citoyenne l’avait comparé dans un reportage de l’équipe du Petit journal de Canal + lorsque Pierre Kompany est devenu « premier maire noir de Belgique » ? « Obama… Il reste un formidable exemple. Le fait qu’il ait été combattu par des arguments racistes (notamment cette question grotesque de l’acte de naissance) l’a rendu plus fort. »
Entretien long publié dans Paris Match Belgique, édition du 12/03/20.
– (*) La Vrije Universiteit Brussel (VUB) décernera des doctorats d’honneur à une série de personnalités de divers horizons. Pierre Kompany figure parmi les lauréats. C’est « un modèle d’intégration fier de ses origines » a souligné l’institution académique. Les nouveaux lauréats « proviennent des secteurs les plus divers, mais ils ont une chose en commun: ils unissent. C’est ce dont le monde a besoin aujourd’hui » , a expliqué Caroline Pauwels, rectrice de la VUB. La cérémonie qui devait se tenir en mars dernier a dû être reportée en raison de la crise sanitaire.