Affaire Mawda : La camionnette était une bombe à retardement

L’affaire Mawda ne débute pas par une course-poursuite dans le namurois mais par le placement d’une balise, le jour précédent, dans le cadre d'une opération de police transfrontalière franco-belge. | © Ronald Dersin/ Belga
Reconstitution d’un puzzle dont la justice belge a dispersé les pièces.
Il n’y a pas eu que la course-poursuite, le tir mortel d’un policier et les mensonges qui suivirent. Comme le démontre aujourd’hui notre contre-enquête, la mort de la petite Mawda s’est inscrite dans le prolongement d’une opération de surveillance policière transfrontalière dont les méthodes étaient éthiquement contestables. Nommée « Hermès-Pêche-Melba » (H-P), celle-ci a impliqué des policiers et des magistrats belges et français qui priorisèrent l’identification d’une filière de passeurs kurdes au détriment de l’impérieuse nécessité de porter assistance aux migrants qui étaient entassés dans des fourgons par des trafiquants peu soucieux de leur intégrité. Les agents impliqués dans l’opération « H-P » avaient repéré et « balisé » la camionnette dans laquelle, quelques heures plus tard, Mawda trouverait la mort. Mais ensuite ils laissèrent le véhicule sans contrôle visuel. Ils le le laissèrent se charger de migrants, sachant que, très certainement, comme tous les autres fourgons qu’ils avaient observés précédemment, celui-ci se rendrait en territoire belge ; sachant qu’alors il serait conduit par l’un ou l’autre membre d’une bande de passeurs qui, selon les propres termes utilisés par ces enquêteurs, « ne s’arrêtaient jamais » en cas de contrôle routier ; prenant donc le risque que ce véhicule, soit l’objet d’une « interception », forcément dangereuse, par la police des autoroutes belges dans le cadre des opérations « Médusa ». En résumé, cette camionnette était une bombe à retardement qui n’a pas été désamorcée. Reconstitution d’un puzzle dont la justice belge a dispersé les pièces bien dérangeantes, effaçant de la sorte la ligne de continuité entre l’opération « H-P » et la mort d’une petite fille tuée par un policier sur une autoroute.

Pièce n°1 : Il faut être prudent avec certaines sources policières
On les imagine concernés, peut-être même roulent-ils un peu des mécaniques ces policiers qui montent des opérations spéciales mettant en œuvre des « méthodes particulières de recherche », dites plus communément « MPR » dans le jargon de la profession. Sous le contrôle strict de la magistrature, ils peuvent filer des suspects, hacker leur ordis, écouter leurs conversations téléphoniques, placer des micros et autres caméras à leur domicile, baliser leur véhicule pour « traquer » tous leurs mouvements. Bien sûr, l’usage de tels « moyens techniques » doit être proportionnel. Raison pour laquelle, dans les Etats démocratiques en tous les cas, on réserve cette grosse artillerie à des suspects réputés dangereux, appartenant au grand banditisme et/ou à des réseaux terroristes. Bien que cela ne soit pas explicitement précisé par la loi, on est en droit d’espérer que de tels déploiements soient consentis avec discernement. Mais lorsque l’on découvre la genèse de l’affaire Mawda, on comprend que ce n’est pas nécessairement le cas : la camionnette dans laquelle se trouvait la petite fille qui fut tuée d’une balle dans la tête était en réalité une bombe à retardement qui aurait pu être désamorcée si la priorité avait été de protéger des victimes de la traite des êtres humains.
Mais le but premier de l’enquête franco-belge, cette opération « Hermès-Pêche-Melba » dont nous révélons aujourd’hui les tenants et aboutissants, n’était pas celui-là : des policiers et des magistrats, des deux côtés de la frontière, voulaient remonter une filière, identifier des passeurs. Quitte à laisser des migrants en situation de danger dans des véhicules « balisés » conduits par des bandits qu’ils savaient pourtant prêts à tout pour échapper aux inévitables contrôles dont ils seraient l’objet sur des autoroutes belges. L’affaire rappelle d’autres opérations policières foireuses.
Comme par exemple l’opération « Othello » qui fut déployée dans le cadre de l’affaire Dutroux : pendant des semaines, des gendarmes s’étaient postés devant la maison du psychopathe pour surveiller ses allées et venues, espérant le prendre en flagrant délit, voire démanteler un réseau. Ces policiers-là travaillaient en dehors du contrôle de la magistrature et, par conséquent, ils ne pouvaient pas obtenir de mandat de perquisition pour rentrer dans la maison de Marcinelle. Finalement, ils n’observèrent rien du tout et ils s’en allèrent. Plus tard, il fut objectivé qu’au moment-même de l’opération Othello, quatre victimes se trouvaient séquestrées chez Dutroux, dont deux dans une chambre à l’étage. Plutôt d’observer la cible dans une logique de « filière », il aurait suffi de rentrer pour libérer les enfants kidnappés. Cette affaire en faisait la démonstration éclairante : quand il s’agit de sauver des victimes, il ne peut y avoir d’autre priorité dans une enquête policière. Un principe dont on ne s’est pas souvenu dans le cadre de l’opération « H-P ». Avec la circonstance aggravante que, cette-fois, il ne s’est pas agi d’un « cavalier seul » de la police mais d’un dossier monté sous le contrôle de magistrats français et belges.
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Le fourgon Peugeot Boxer blanc faussement immatriculé 1-SDP425 dans lequel la petite Mawda a trouvé la mort fut repéré par des policiers français, le 16 mai 2018. Soit quelques heures avant que ce véhicule ne commence son tragique périple en Belgique. Le véhicule suspect se trouvait alors sur un parking à Gravelines, une localité faisant partie de la communauté urbaine de Dunkerque. Il était stationné rue Demarle Fetele, à l’endroit précis où plusieurs autres fourgons utilisés par un réseau de passeurs kurdes avaient déjà été repérés par la Brigade de recherche mobile de Coquelles (BMR), une division de la Police aux Frontières française.
Un policier français impliqué dans l’opération « H-P » a expliqué cette séquence à l’IGPN (la police des polices française) : « Nous allions en journée vérifier si les passeurs avaient reçu un nouveau camion. Sur place à Gravelines, nous avions constaté qu’il y avait un nouveau fourgon en lieu et place de l’ancien. (…) Nous l’avons balisé directement. Il n’y a pas eu de surveillance de ce véhicule, ni de filature pour assister au chargement des migrants. Nous devions avoir une autre activité opérationnelle ce jour-là. » Le fait que ces agents de la BMR placèrent une balise de géolocalisation sur le Peugeot Boxer afin d’observer ses déplacements fut évoqué, tel un élément de peu d’importance dans un quotidien belge, très peu de temps après la mort de Mawda. Mais dans ce genre de dossier, il faut être prudent avec certaines sources policières concernées par les faits qui ne donnent qu’une partie de l’information pour… tuer l’information. Ainsi tout le contexte qui présida au placement de cette balise restait à dévoiler et il s’avère, oh surprise, très signifiant. Dérangeant aussi pour des policiers et magistrats, des deux côtés de la frontière.

Pièce n°2 : Une course-poursuite en France ressemblant à celle de l’affaire « Mawda »
Le premier acte de cette enquête policière est posé dans la nuit du 12 au 13 février 2018 sur l’autoroute A 16. Dans les environs de Steenvoorde, en Flandre française, à une trentaine de kilomètres de Dunkerque, tout près de la frontière belge, une patrouille de la CRS autoroutière repère une fourgon Citroën Jumper blanc portant des fausses plaques d’immatriculation. Les faits sont annonciateurs de la tragique course-poursuite qui aura lieu 2 mois plus tard en Belgique ; sauf qu’en France, l’affaire ne se termina pas par un tir policier et la mort d’une petite fille. Lors de l’intervention de Steenvoorde, la CRS autoroutière invite le véhicule suspect à s’arrêter mais le chauffeur n’obtempère pas. Une course-poursuite s’engage. Durant cette tentative d’interception, la voiture des policiers est percutée à plusieurs reprises par le Jumper, lequel parvient finalement à passer la frontière belge. Quelques heures plus tard, la camionnette revient dans le nord de la France. Elle s’arrête à proximité de Grande-Synthe, cette localité située dans la périphérie de Dunkerque où, depuis de nombreuses années, séjournent tellement d’exilés cherchant désespérément l’opportunité de trouver un passage vers l’Angleterre. Dès l’arrêt du véhicule, le conducteur de la Citroën ainsi que plusieurs autres passeurs prennent la fuite. La police française ne parvient pas à les rattraper. Elle intercepte une dizaine de migrants, des Irakiens et des Afghans.
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Dans la camionnette, les policiers français découvrent de l’outillage permettant d’ouvrir des camions, une bombe lacrymogène et un ordre de quitter le territoire délivré à un migrant par les autorités françaises. Il y a aussi une plaque belge (CGZ009). Dans le fichier des contraventions, il apparait que cette immatriculation a déjà été apposée sur une Mitsubishi Space Star. L’examen des radars automatiques et des portiques de détection, ces caméras que l’on voit au-dessus des ponts d’autoroutes, permet d’établir que, dans les semaines précédentes, sur l’autoroute A16/A25, cette voiture a emprunté plusieurs fois des axes habituellement utilisés par des réseaux de passeurs. Les enquêteurs font aussi un recoupement avec des faits datant du 2 février 2018. Ce jour-là, un fourgon Citroën de couleur noire avait été intercepté par la CRS autoroutière sur l’aire de repos de Steenwerck. Son conducteur avait été interpellé et il avait reconnu qu’il œuvrait au bénéfice d’un réseau de passeurs kurdes dirigé par un certain P., lequel conduisait une Mitsubishi. Dans la foulée, un informateur de la police française donne quelques renseignements sur P. ; il leur indique que ce passeur bien connu des services de police et des exilés du camp de Grande Synthe qui cherchent à se rendre en Grande-Bretagne est impliqué. Le réseau visé est notamment composé de supposés ex-combattants peshmergas, ce qui va conduire ces policiers à dénommer « Pêche-Melba », l’opération de surveillance qu’ils mettront bientôt en place en collaboration avec leurs collègues belges de la Police de Flandre Orientale.

L’observation d’autres véhicules fait apparaître un mode opératoire : aguerris et bien organisés, les passeurs surveillés renouvellent en permanence une importante flotte de camionnettes. Il s’agit principalement de vieux fourgons, achetés en région liégeoise notamment. Ceux-ci sont aménagés mais ce n’est pour sécuriser ou confortabiliser le transport de personnes. On y supprime systématiquement toute cloison entre les sièges avant l’espace de chargement. L’idée est de permettre au conducteur-passeur de se rendre facilement à l’arrière lors d’une éventuelle interception policière, afin de se mêler aux migrants et de se faire passer pour l’un d’entre eux. Les candidats au passage vers l’Angleterre sont pris en charge dans le nord de la France et ils sont ensuite conduits sur différents parkings d’autoroute en Belgique dans le but d’y trouver des camions dont la destination est le Royaume-Uni. Disposant d’un outillage idoine, les passeurs parviennent à faire rentrer les candidats au passage dans ces véhicules – il s’agit souvent de camions frigoriques – sans attirer l’attention des chauffeurs.
Pièce n°3 : la création d’une « Joint investigation Team » franco-belge
A la mi-février 2018, la BMR de Coquelles entre en contact avec un enquêteur de la police fédérale de Flandre orientale. Le commissaire Claude (prénom fictif) y dirige une cellule d’enquête spécialisée dans la lutte contre la traite des êtres humains. Celle-ci est dénommée Mercurius, ce qui renvoie au dieu du commerce, des voyages et des voleurs dans la mythologie romaine. C’est l’équivalent du dieu Hermès qui appartient à la mythologie grecque. Le commissaire Claude se réjouit de cette collaboration qui se profile. Il explique à ses collègues français que, de part et d’autre de la frontière, les policiers enquêtent sur le même réseau de « passeurs kurdes », lequel est souvent actif sur le parking de Waasmunster, près de Lokeren (Flandre orientale). Lors d’une première réunion de travail en France, à Coquelles, le policier belge a notamment cette phrase : « Ces passeurs vivent chez vous et ils travaillent chez nous. On doit unir nos efforts. » D’emblée, Claude plaide pour la création d’une cellule d’enquête commune qui permettrait aux policiers des deux pays d’échanger tous leurs renseignements et de planifier des opérations transfrontalières.
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Fin février 2018, une nouvelle réunion rassemble des policiers de la BMR de Coquelles et de la PJF de Flandre orientale mais aussi des magistrats belges (parquet de Gand) et français (parquet de Dunkerque). Ces intervenants se mettent verbalement d’accord sur la création d’une « Joint Investigation Team » (JIT) qui, le 3 avril 2018 sera officialisée par une convention écrite. Côté belge, ce document est validé par le juge d’instruction de Dendermonde, Patrick Van Cauteren et par la substitute du parquet de Gand, Caroline Jonckers. Côté français, c’est la substitute du procureur de la République, Justine Vérité qui signe la convention. Sont mentionnés comme intervenants dans cette cellule d’enquête commune, une vingtaine d’enquêteurs belges et français appartenant à la PJF de Flandre orientale et à la BMR62. On a déjà dit pourquoi, en France, cette opération commune reçu le nom de « Pêche-Melba ». En Belgique, la PJF de Flandre orientale préfère les références plus classiques : la même opération est baptisée « Hermès ». Outre la référence à la culture gréco-latine qui n’est pas dénuée d’intentions idéologiques, cette appellation renvoie à d’autres opérations policières identiquement nommées, comme celle qui fut mise en œuvre par Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, à Lampedusa en 2011.

L’accord de coopération signé le 3 avril 2018 mentionne que le « JIT est créé afin de faciliter la recherche en France et en Belgique d’un groupe d’auteurs actifs dans le cadre de la traite des êtres humains, étant basé au Nord de la France, tandis qu’il opère sur le territoire belge. » Il précise aussi que « le but est d’identifier les suspects et les localiser, de collecter les pièces à conviction et de les citer devant les tribunaux ». On le voit, l’objectif est de localiser et d’identifier des passeurs. On est dans la logique de « filière » expliquée au début de cet article. Il ne s’agit pas de porter secours au plus vite aux victimes de la traite des êtres humains pouvant se trouver en situation de grand danger lorsqu’elles sont « transportées » par un réseau de trafiquants. Pourtant, dès la signature du JIT, les différents acteurs judiciaires et policiers concernés par ce dossier savent pertinemment bien qu’ils s’intéressent à une organisation criminelle dangereuse. Seulement animés par l’esprit de lucre, ses membres se montrent peu soucieux de la vie des migrants dont ils abusent de la situation de faiblesse. Cette dernière étant elle-même le fruit d’une politique européenne – elle sera certainement mis au pilori par les générations futures- ne laissant d’autre choix à ceux qui veulent « passer » pour se créer l’opportunité d’un début d’avenir que d’être pris en tenaille entre des criminels – leur seul recours- et les services de police qui chassent sur les autoroutes. Une espèce de cercle infernal. Les policiers font du chiffre – nombre de migrants interceptés sur les autoroutes – pour satisfaire des décideurs politiques – qui en font ensuite des slogans et des déclarations sécuritaires. Les criminels se font du fric. Les migrants tentent seulement de se forger un avenir, de survivre.
Pièce n°4 : « Ces conducteurs ne veulent s’arrêter pour rien ou personne »
Certes l’accord de coopération franco-belge signé le 3 avril 2018 évoque la situation périlleuse des migrants qui montent à bord des véhicules utilisés par le réseau de passeurs placé sous observation. Brièvement, la convention mentionne que les activités de ce « groupe d’auteurs transportant jusqu’à 40 personnes par nuit », présente un « degré de danger pour les personnes introduites en contrebande (elles sont transportées dans des camions réfrigérés). » Elle signale aussi « l’utilisation de violence par les auteurs (menaces, fractures de bras, foncer sur la police) » et d’autres « circonstances aggravantes comme la contrebande de mineurs d’âges ».
Mais ce sont les mots des enquêteurs impliqués dans ce JIT qui permettent le mieux de comprendre « sur quoi » ils travaillaient afin, ensuite, de porter un regard précis et critique sur leur logique d’enquête : le « comment » ils ont procédé. On connait leur version parce qu’après la mort de la petite Mawda, plusieurs policiers français et belges impliqués dans l’opération « H-P » furent interrogés. Outre-Quiévrain, ces interrogatoires furent menés par l’IGPN (Inspection générale de la police nationale) en présence de magistrats français et belges (Parquet général de Gand). En Belgique, le commissaire Claude fut invité à s’expliquer devant le Comité P et, vu ses réticences à être parfaitement transparent, toutes ses communications électroniques (mails) furent consultées sur mandat d’un magistrat.
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Il ressort de ces enquêtes de contrôle que les policiers belges et français de l’opération « H-P » avaient des contacts quasi-quotidiens. A l’IGPN, un policier français a résumé la nature de cette collaboration transfrontalière en ces quelques mots : « Le but était d’échanger toutes nos informations avec nos collègues belges. Que l’on ne fasse rien sans l’aval des uns et des autres ». Sur le territoire français, le placement de balises et de caméras de surveillance sur certaines aires de repos et la mise en place de filatures ont conduit ces enquêteurs à visualiser plusieurs chargements de migrants, à filmer et photographier des auteurs, notamment le fameux P. Outre le Peugeot Boxer, pas moins de 12 véhicules ont ainsi été placés sous surveillance ; dès qu’une balise était posée, la BMR de Coquelles prévenait ses collègues belges par téléphone et/ou par mail. Ces derniers pouvant aussitôt suivre les déplacements de la cible sur leurs PC et smartphones.

A l’IGPN, l’un des policiers français a expliqué le contexte de ces surveillances en ces termes : « Lorsque l’on déclenche l’opération, nous savons que des camions sont chargés de migrants mais les conditions n’étaient pas optimales pour interpeller, nous les avons laissés passer de chaque côté de la frontière. (…) Pour faire une filière, il fallait les voir travailler. Il fallait déterminer dans le lot qui était le passeur et qui faisait monter dans les camions. Il fallait donc surveiller en Belgique. » Un autre a complété : « Les interpeller sur le bord de l’autoroute, c’était trop dangereux. Le but était de connaître l’équipe en place. (…) Nous savons en effet de notre expérience passée, dans d’autres affaires, que s’agissant de kurdes, ils ne s’arrêtent pas lorsque nous voulons procéder à leur interpellation et qu’ils sont véhiculés. (…) »
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Au Comité P, le Commissaire Claude a précisé : « Ces groupes d’auteurs kurdes se composent de combattants peshmergas, qui ont effectivement combattu dans des situations de guerre. Nous savons que rien ne leur fait peur et qu’ils ne s’arrêteront jamais, pour rien ni personne, quelques qu’en soient les conséquences. Ils ne se préoccupent pas du tout de l’intégrité physique des migrants et des tiers. A aucun prix, ils ne veulent être pris. (…) Dans plusieurs cas, des véhicules ont été poursuivis et ont été ou non interceptés par les services belges de police dans des situations extrêmement dangereuses dans lesquelles le véhicule a été utilisé comme arme contre les services de police ou a mené à de graves accidents de la circulation. Dans chacune de ces situations, il y avait des migrants dans l’espace chargement de ces véhicules. Souvent il y avait jusqu’à bien trente personnes dans ces camionnettes qui ne sont pas prévues pour cela. Cela a mené à des situations extrêmement dangereuses pour les migrants et pour des tiers. Je peux évoquer une poursuite policière au cours de laquelle une camionnette a finalement fini sur son flanc, à côté de la route. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de morts. A chaque fois, les auteurs se sont échappés, jamais les trafiquants d’êtres humains n’ont été interceptés. Je peux aussi mentionner une situation au cours de laquelle le chauffeur a sauté du véhicule alors qu’il roulait encore. Il s’est crashé à une vitesse d’environ 30-40-km par heure. Ou encore rapporter un incident où des petits enfants étaient dans une camionnette qui a passé un feu rouge pour rouler à contresens et finalement terminer dans l’accotement. Les incidents susmentionnés n’ont pas fait la une des journaux mais sont en soi comparables à ce qui s’est passé à Mons. Ces conducteurs ne veulent s’arrêter pour rien ou personne. (…) Ce ne sont pas des trafiquants d’êtres humains normaux. Ce sont des soldats, qui étaient actifs dans des situations réelles de guerre. »
Pièce n°5 : « La procédure doit être revue (…) Les Belges interpellaient systématiquement tous les véhicules »
Le décor étant planté, on peut maintenant porter un regard sur la logique d’enquête qui fut celle de l’opération « H-P ». L’idée était donc de laisser faire, d’observer, afin de démanteler une filière. Si de telles méthodes policières s’entendent bien quand il s’agit de surveiller une livraison de drogue, leur éthique pose question lorsqu’il s’agit d’un transport de personnes par des criminels peu soucieux de leur intégrité et qui sont prêts à prendre tous les risques en cas de contrôle policier. Dans leur logique de « filière », les policiers et magistrats qui ont conçu l’opération « H-P » avaient certes bien imaginé des garde-fous. On l’a dit : plusieurs véhicules balisés (mais pas tous) ont été placés sous « contrôle visuel » par les français, jusqu’à la frontière belge seulement. Un brigadier de la BMR a aussi expliqué que, pendant un temps, pour éviter la prise en chasse des camionnettes surveillées « qui ne s’arrêtent jamais » par d’autres services de police français et belges, « les véhicules balisés étaient inscrits au Ficher Objets et Volés et Signalés (FOVES), avec le code VS03, c’est-à-dire « ne pas contrôler, ne pas interpeller ». Ce signalement, comme l’a confirmé le commissaire Claude devant le Comité P., était accessible aux policiers belges via le SIS (Schengen Information System) … Le problème, c’est que cet avertissement n’a jamais été respecté en Belgique, voire qu’il a servi de « signal » inverse pour la police belge des autoroutes très affairée à contrôler les transports de migrants dans le cadre de ses opérations « Médusa ».

Questionné par le Comité P, le commissaire Claude a bien dû reconnaitre cette incohérence fondamentale de l’opération « H-P » : « Dans ce dossier, il y a eu de multiples situations aux cours desquelles des véhicules balisés ont été poursuivis par les services belges de police après avoir franchi la frontière franco-belge. Cela a mené chaque fois à des incidents. Dans ces situations-là, les véhicules étaient signalés SIS (Schengen Information System) par les autorités françaises après le placement du moyen technique. Ils signalaient le véhicule pour que soit procédé à un contrôle discret afin de pouvoir générer le plus de données possibles. Le texte qui donne des explications quant au « signalement » n’était lu qu’après l’interception. Dans plusieurs cas, les véhicules ont été poursuivis et ont été interceptés ou pas par les services belges de police dans des situations extrêmement dangereuses. Le fait que ces véhicules, qui étaient signalés pour des contrôles discrets étaient toujours l’objet de poursuites et d’interceptions rendaient la tâche difficile aux Français. ».
Ce constat conduisit-il à ce que des mesures soient prises pour éviter la multiplication de courses-poursuites en Belgique, lesquelles étaient potentiellement dangereuses pour les migrants entassés dans les véhicules balisés ? Du tout ! Interrogés par l’IGPN, un policier français a en effet déclaré : « Malgré le signalement Foves, les Belges interpellaient systématiquement tous les véhicules. Dès lors, on n’a plus fait systématiquement ce type de signalement. » Devant le comité P, le commissaire Claude posa le même constat en d’autres termes : « Il est possible que ces interceptions belges aient créé des frustrations et que les Français aient porté moins d’intérêt aux signalements de véhicules. Nos expériences dans ce dossier nous apprennent que les signalements ne garantissent pas qu’aucune intervention n’aura lieu. La procédure doit peut-être être revue, vu le mode opératoire de ce groupement kurde, qui n’arrête jamais. » Malheureusement, cette dernière considération ne fut formulée qu’après la mort de Mawda.
Pièce n°6 : « J’aurais peut-être directement cessé la poursuite. Je ne l’aurais peut-être même jamais entamée »
Dans la journée du 16 mai 2018, la BMR de Coquelles repéra la camionnette Peugeot Boxer. Ce véhicule portait une fausse plaque belge et, à Gravelines, il était stationné à l’endroit précis où les membres du réseau surveillé dans le cadre de l’opération « H-P » avaient l’habitude de se garer. Dans leur logique d’enquête, les policiers français décidèrent de baliser le fourgon suspect, avec l’accord du parquet de Dunkerque. En début de soirée, ils prévinrent leur collègue belge de référence, le commissaire Claude : comme tous les autres utilitaires précédemment repérés dans cette enquête transfrontalière, celui-ci allait sans doute bientôt se rendre en Belgique, chargé de migrants. Pour les mauvaises raisons que nous avons exposées plus haut, la BMR se priva toutefois de tout signalement « Foves » ou « SIS ». De même, elle ne mit en place aucun contrôle visuel. Quelques heures après le « balisage », Mawda, ses parents et un vingtaine d’autres personnes – des migrants et des passeurs- montaient à bord de la camionnette. Un nouveau véhicule « qui ne s’arrête jamais » prenait alors la route vers la Belgique. Une bombe à retardement : comme bien d’autres qui l’avaient précédé, ce fourgon allait bientôt être pris en chasse par des policiers belges engagés dans une autre opération, dite « Médusa ». Avec les conséquences que l’on sait.

Des risques ont donc été pris pour collecter de l’information. Des vies ont été mises en péril. Mais il n’y a pas que les migrants qui ont été considérés comme des éléments subsidiaires dans ce mauvais plan. En effet, on imagine le ressentiment des policiers namurois de la WPR et du CIK qui, dans la nuit du 16 au 17 mai, s’engagèrent dans la chasse d’une camionnette Peugeot Boxer « qui ne s’arrêtait pas » sur quelques 70 km. L’inspecteur principal Dan (prénom fictif) qui dirigea cette course-poursuite a d’ailleurs été interpellé sur le sujet par le Comité P qui lui demanda : « Votre intervention aurait-elle été différente si vous aviez été informé de la présence d’une balise sur la camionnette ? » Il répondit : « Oui. J’aurais peut-être directement cessé la poursuite. Je ne l’aurais peut-être même jamais entamée. Il arrive que l’on soit informé d’un véhicule « chaud » parce que surveillé par l’un ou l’autre service. On ne s’en approche alors pas. »
« Si on a l‘information que le véhicule est balisé, qu’une fois qu’on le passe en contrôle, il est indiqué qu’il ne faut pas inquiéter, on ne le suit pas. Cela arrive parfois. », a également déclaré un autre policier qui participa à la course-poursuite. Un autre agent encore a dit : « Dans le cadre des vols cargo, on travaille avec divers services de police. Il arrive qu’ils nous informent du fait qu’un véhicule est balisé et nous demandent alors de ne pas passer par le parking concerné ou à tout le moins de ne pas contrôler le véhicule. Si on avait eu connaissance du fait que le véhicule était balisé, on aurait pu avoir des directives concernant son non-contrôle. Directives que nous respectons alors. » Cela c’est la version policière de terrain ; on s’imagine mal que les policiers concernés l’aient inventée mais…
Pièce n°7 : Circulez, il n’y a rien à voir
Mais on constate avec étonnement que la direction de la police fédérale tient un discours tout à fait contradictoire. Dans un procès-verbal versé dans le dossier Mawda, un enquêteur du Comité P a en effet renseigné qu’ « à la suite d’un contact avec la direction des opérations judiciaires de la police fédérale, il apparaît qu’il n’y a aucune diffusion de l’information du balisage, ceci afin de protéger les techniques d’enquête mises en œuvre (peu importe que le balisage soit réalisé par les services belges ou étrangers, ou qu’elle se fasse dans le cadre d’une JIT). » Surprenante contradiction avec les témoignages exposés plus haut. Mais en plus, affirme aussi le sommet de la hiérarchie policière, « le fait qu’un véhicule est balisé n’implique pas que les services de police ne doivent pas intervenir en cas de commission d’infraction de ce véhicule ou de ses occupants. Ils doivent agir comme ils le feraient dans n’importe quelle autre situation. Toutes les réactions d’intervention des services de police sont donc réalisables, comme pour tout autre véhicule. » Circulez, il n’y a rien à voir. La direction de la police nous dit de ne pas croire ses policiers de terrain. Si c’est elle qui a raison, on s’interroge sur l’absence total de sens de l’opération H-P : à quoi servaient les balises, si les véhicules surveillés étaient systématiquement interceptés ? On ne peut que constater que cette version de la direction de la police permet d’éviter une polémique supplémentaire dans ce dossier. On aurait pu l’intituler ainsi : « Outre la bavure policière, cette course-poursuite n’aurait même pas du débuter »

Circulez, il n’y a rien à voir, ce fut aussi l’attitude du Commissaire Claude qui, le 17 mai 2018 au matin, apprit par ses collègues français que le Peugeot Boxer balisé était à l’arrêt depuis plusieurs heures sur un parking en Belgique. Dare-dare, le policier belge de référence de l’opération « H-P » se rendit à Mons pour s’informer auprès de ses collègues de la PJF locale. Que leur dit-il ? Qu’il n’y avait aucun lien entre ce véhicule balisé et le réseau surveillé dans le cadre de l’opération « H-P » ! Comment cela ? Cela intrigua les enquêteurs du Comité P. autant que nous. Claude leur servit ceci : « La conclusion après cette concertation avec mes collègues de Mons était que pour moi, il n’y avait aucun élément concret (j’ai vu des photos des personnes arrêtées sur le parking) pour relier les personnes ou le véhicule à notre dossier Hermès. Le juge en a été informé et le dossier est resté à Mons. »
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Le 20 juin 2018, ce « circulez, il n’y a rien à voir » a été institutionnalisé par la décision des autorités judiciaires belges de disjoindre le dossier Mawda. Tout le volet « traite des êtres humains » de l’affaire a quitté le dossier montois pour être confié à une magistrate liégeoise travaillant sous la houlette du parquet fédéral. En procédant de la sorte, l’institution a coupé la ligne de continuité entre une opération de police imprudente – placement d’une balise sans signalement et sans mesure de contrôle visuel sur un véhicule dont on présumait qu’il ne s’arrêterait pas en cas de contrôle- et un dossier de bavure policière – tir inconsidéré sur un véhicule poursuivi parce qu’il ne s’arrêtait pas.
Pièce n°8 : Qui oserait encore prétendre que le dossier Mawda n’est pas une affaire d’Etat ?
Ce dossier « liégeois » qui, selon le commissaire Claude, n’avait rien à voir avec l’opération « H-P » est pourtant truffé de références… à l’opération « H-P ». Le procès-verbal de synthèse de ce dossier évoque explicitement des « véhicules dont l’information de base provient de l’enquête de Dendermonde DE. 55. F1. 3158/2018, (Monsieur le juge d’instruction Van Cauteren », soit le volet belge de l’opération « H-P ». La conclusion de ce PV du dossier de Liège aurait d’ailleurs pu être celle de l’opération « H-P » : « L’ensemble des devoirs d’enquête réalisés dans le cadre du présent dossier ont notamment permis d’identifier les membres d’une organisation criminelle de trafiquants d’êtres humains basés dans le nord de la France (région de Dunkerque) ayant pour objectif l’envoi de clandestins vers le Royaume Uni. Le modus operandi de cette organisation et les risques liés à celui-ci (utilisation de véhicules afin de déposer de nuit les candidats au voyage sur un parking autoroutier afin qu’il puisse prendre place dans la remorque d’un camion supposé se rendre en Angleterre) engendrent chez cette organisation un besoin constant en véhicules ainsi qu’un éventuel « suivi » (réparations éventuelles) de ces véhicules. »
Dans l’opération H-P qui n’a « rien à voir » avec l’affaire Mawda et dans le dossier liégeois qui a est disjoint du dossier montois relatif au tir policier qui tua Mawda, on traite de mêmes fausses plaques d’immatriculation, d’un même mode opératoire et de mêmes individus… En ce compris un fournisseur de véhicule en région liégeoise. En ce compris surtout le fameux P. que nous évoquions au début de cet article. Dans le dossier liégeois, P. est d’ailleurs présenté comme le « dirigeant présumé de l’organisation ». Il a été établi par l’enquête liégeoise que P. et ses sbires proposèrent leurs services aux parents de Mawda comme à des centaines d’autres migrants. Toutefois cet homme échappe à toute poursuite en Belgique alors qu’il est facilement localisable, étant actuellement détenu en France. Mais ce n’est pas là encore le plus étonnant dans ce puzzle dont voici la dernière pièce.

Nous découvrons que P. fut arrêté alors qu’il se trouvait dans le camp du Puythouck à Grande-Synthe, le 15 mai 2018. Et que, ce jour-là, plusieurs policiers français et belges impliqués dans « H-P », dont le commissaire Claude, étaient présents pour participer et/ou observer cette opération. Celle-ci nécessita le déploiement d’un important dispositif policier, tant il est vrai que P. était déjà fameusement « connu de services » : le 21 septembre 2017, lors d’une précédente tentative d’arrestation, il avait pu échapper à la police française après un échange de tir. Et cette-fois encore, le 15 mai 2018, P. gaza deux policiers avec une bombe lacrymogène avant de sortir une arme de poing. Il fut cependant arrêté après une poursuite dans des bois et une fusillade durant laquelle il fut blessé par une balle dans le pied. Au moment de son arrestation, P., impliqué dans la traite des êtres humains depuis 2004, avait déjà été condamné à huit années de détention pour avoir organisé un réseau de passeurs dans le nord de la France. En juin 2018, pour le même type de faits, il prit 5 ans de plus. En février 2020, le tribunal de Dunkerque lui a ajouté 12 années de détention.
Dans une de ces procédures, un procureur a décrit P. en ces termes : « Un exploiteur professionnel de l’être humain, prêt à tout, y compris à tuer, mutiler, avilir, abaisser pour parvenir à ses fins. ». En 2017, alors que P. était l’objet d’un avis de recherche, nos confrères français de « La Voix du Nord », dressaient de lui ce portrait : « Le suspect est bien connu de la justice dunkerquoise. Il a déjà été incarcéré à la maison d’arrêt de Dunkerque pour ses activités de passeur. Une détention qui avait posé de gros problèmes de discipline aux surveillants pénitentiaires. Son profil psychologique est inquiétant. Lui-même, à la barre du tribunal, s’était défini comme un « psychopathe » ultra-violent, déjà interné au Kurdistan, exhibant ses multiples cicatrices lui barrant tout le corps. Il avait laissé entendre qu’il ne craignait pas vraiment la justice française. »
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Ce criminel patenté est actuellement l’objet d’une enquête pour avoir violé et brutalisé (menace d’un pistolet sur la tempe) des migrants mineurs qui séjournaient dans le camp du Puythouck. Le mobile était de les terroriser et d’ensuite les transformer en hommes de main, soit en passeurs serviles, prêts à prendre des risques pour ne pas déplaire au « boss » ; prêts à « ne pas s’arrêter » en cas de contrôle. Ce qui rappelle toute la complexité de ces affaires où d’évidence tous les passeurs n’ont pas des profils similaires. Certains sont de vrais bandits, d’autres sont des personnes mises sous pression. Tandis que les migrants n’ont d’autre choix que de recourir aux services de ceux qui se disent en mesure de les faire « passer ».
Pour P, en tous cas, la misère des exilés rapportait bien : dans un dossier dans lequel il est impliqué, on évoque l’organisation de 140 passages en 5 mois pour un chiffre d’affaire de 500.000 euros. Avec son arrestation, les enquêteurs de l’opération H-P avaient coupé la tête du réseau qu’ils surveillaient. Mais cela ne les conduisit pas à changer leur méthode d’enquête, leur logique de « filière » qui perdait pourtant encore plus de sens. Le 16 mai, ils balisaient un Peugeot Boxer qu’ils supposaient bien appartenir au réseau de P. Laissant ce véhicule sans surveillance, ils y laissaient monter des migrants, ils les laissaient donc être emmenés vers la Belgique par la bande qui ne « s’arrête jamais ». Le fougon allait être « intercepté » sur une autoroute près de Mons. Et une enfant de 2 ans allait être tuée par balle.

Ces éléments démontrent que le dossier « Mawda » qui va être bientôt jugé à Mons est très incomplet. On retrouvera seulement deux présumés passeurs sur le banc des prévenus alors que le dossier liégeois a révélé que les traces ADN de six trafiquants présumés, soit des personnes impliquées dans plusieurs faits de traite d’êtres humains, étaient présents dans le Peugeot Boxer (certes, un certain nombre de ces individus sont poursuivis dans le dossier liégeois, ce qui ne facilite pas, on l’a assez démontré, la lecture des faits). Incomplet, le dossier qui sera jugé à Mons l’est aussi par qu’il élude la genèse bien dérangeante de cette affaire pour la police et la magistrature tant en France qu’en Belgique (l’opération H-P). Il l’est encore parce que la justice n’a tiré aucune conclusion des mensonges produits par des policiers (« enfant-tombé », « enfant-bélier… ») dans le volet de l’enquête relatif à la bavure policière commise sur l’autoroute de Mons. Et alors même que, circonstance aggravante, ces mensonges apparaissent dans le dossier judiciaire montois comme le nez au milieu du visage. Avant même qu’il ne commence, on sait donc que le procès qui se déroulera bientôt à Mons sera parfaitement bancal.
Dans cette affaire, le tir du policier à la fin de la course-poursuite était stupide et criminel. Des acteurs policiers et judiciaires ont posé des actes suspects de nature à dissimuler ce fait sans que la justice montoise n’y trouve à redire. Ensuite, la justice a pris plusieurs mois pour se décider à inculper le policier. Cette conjonction d’éléments a focalisé l’attention de ceux qui réclament justice dans le dossier Mawda sur la pointe d’un iceberg, la pointe seulement. Tant il est vrai que l’affaire Mawda n’a pas débuté par une course-poursuite dans le namurois mais par le placement d’une balise sans autre mesure de précaution, le jour précédent, dans un dossier franco-belge où il était apparu clairement que les véhicules surveillés étaient aux mains d’une bande de trafiquants qui… « ne s’arrêtaient pas » en cas de contrôle. Qui oserait encore prétendre à la lumière de ces éléments que le dossier Mawda n’est pas une affaire d’Etat ?