Oussama Atar : la clé de l’énigme des attentats de Paris et de Bruxelles

Oussama Atar est au cœur d’un curieux puzzle macabre : « Il avait été prévu que la commission d’enquête de la Chambre réalise trois études de cas sur les dysfonctionnements de nos services de sécurité : Salah Abdeslam, Ibrahim El Bakraoui et Oussama Atar », révèle Georges Dallemagne. « Finalement, seuls les deux premiers ont fait l’objet d’une étude détaillée. Je n’ai pas compris. » | © DR
Cette semaine, au procès des attentats de Paris, six ans tout juste après le terrible carnage du 13 novembre, le tribunal va se pencher sur le cas d’Oussama Atar. Personnage fantomatique, il est considéré comme le principal coordinateur des tueries de masse perpétrées à Paris et à Bruxelles au nom de l’État islamique.
Par Frédéric Loore
Le parcours de ce gamin de Laeken, devenu l’un des principaux émirs de Daech, responsable des opérations terroristes à l’étranger, demeure truffé d’énigmes. La principale concerne sa libération et son rapatriement en 2012, obtenus aux forceps par la Belgique au terme de sept années d’emprisonnement en Irak pour faits de terrorisme, puis l’étrange liberté de mouvement dont il a bénéficié avant de regagner sans encombre la Syrie en 2013.
Que dissimule cette intervention étonnamment pressante des autorités belges ? Quel rôle la Sûreté de l’État a-t-elle voulu faire endosser à Atar ? Pourquoi ce silence des responsables actuels ?
Un livre passionnant, intitulé Le Clandestin de Daech et publié aux éditions Kennes, rassemble les pièces éparses d’un puzzle complexe, encore incomplet, mais qui fait apparaître une véritable affaire d’État. Ses auteurs sont Georges Dallemagne et Christophe Lamfalussy.
Paris Match. Un journaliste et un parlementaire qui s’associent pour l’écriture d’un livre-enquête, ce n’est pas courant. N’avez-vous pas craint le « mariage contre nature » ?
Christophe Lamfalussy. Notre but était de raconter une histoire, c’est-à-dire quelque chose qui soit plus proche du récit journalistique que de la fiction politique. De ce point de vue, le fait de travailler ensemble était intéressant. Georges est fatalement plus en pointe dans l’analyse politique, tandis que j’ai une plus grande pratique de l’investigation et du recoupement des sources. Nous nous sommes dès lors à la fois complétés et autorégulés. Au plan de l’écriture, la mienne est davantage factuelle, tandis que celle de Georges est plus incisive. Nous avons donc dû trouver un équilibre profitable au livre.
L’un des points forts de l’ouvrage, c’est le récit de l’itinéraire de jeunesse d’Oussama Atar dans le Bruxelles de la fin des années 1990, début 2000.
C.L. Oui, pour comprendre cet itinéraire, nous sommes retournés à l’endroit où Oussama Atar est né et où il a vécu durant ses jeunes années. En l’occurrence, le quartier de la place Willems, à Laeken. Un lieu étonnant, puisque nous avons découvert que c’était alors le point de chute des vétérans rentrés d’Afghanistan. Auréolés du statut de moudjahidines, ils exerçaient leur ascendant sur la jeunesse du quartier. Du reste, la famille Atar occupait un appartement au-dessus d’une vidéothèque très fréquentée par Oussama, dont le propriétaire sera plus tard condamné pour appartenance à une filière terroriste liée à Al-Qaïda. À cela s’ajoute la présence d’une mosquée rigoriste à l’influence elle aussi très néfaste. Bref, Atar était à cette époque directement aux prises avec des individus fortement radicalisés.

Dans ce Bruxelles sous influence islamiste, quel a été le rôle des responsables politiques de l’époque ? Diriez-vous qu’ils ont été naïfs ? Passifs ? Mal informés ? Qu’ils ont volontairement fermé les yeux à des fins électoralistes ?
Georges Dallemagne. Hier comme aujourd’hui, il y a une forme de naïveté, de passivité et d’électoralisme dans la manière dont on traite la radicalisation. Il y a aussi l’idée que la réponse est avant tout sociale. Notre enquête démontre pourtant que l’offre sociale était très abondante à Laeken durant cette période, mais qu’elle n’a absolument pas permis d’endiguer la montée du salafisme. Pas que cette offre sociale soit inutile, je pense qu’elle est au contraire indispensable, mais elle est inefficace face à l’idéologie radicale, révolutionnaire que représente l’islamisme sous ses différentes déclinaisons fréristes et salafistes. Ce qui manque, c’est une posture claire, dans les paroles et les actes, sur ce qui fonde notre société, ses valeurs de liberté d’expression, d’égalité entre les femmes et les hommes, de primauté de la loi sur la religion, de neutralité de l’État.
Vous montrez en effet que la déshérence sociale était prise en compte par les pouvoirs locaux dans ces années-là. Ils ont créé des centres d’accueil, des maisons de jeunes, des écoles de devoirs, etc., mais cela n’a pas suffi face à la radicalisation rampante.
C.L. Georges le souligne, l’analyse de la radicalisation en tant que phénomène directement lié à la paupérisation de certains quartiers ne suffit pas vraiment. En France, par exemple, pratiquement aucun jeune des cités défavorisées de Marseille n’est parti pour la Syrie. En revanche, la petite ville tranquille de Lunel, dans l’Hérault, a vu, de mémoire, une quinzaine de jeunes s’embrigader autour d’une mosquée.
Si les politiques sont passés à côté, les services de sécurité ont-ils été plus prompts à contrer la montée en puissance de la mouvance islamiste ?
C.L. Après le séisme provoqué dans ces services par les événements du 11 septembre 2001, en Belgique comme ailleurs en Europe, le niveau de vigilance vis-à-vis du radicalisme islamiste a considérablement été relevé. Cependant, à partir de 2005-2006, l’attention s’est relâchée. Or, c’est justement à ce moment-là que la radicalisation s’est intensifiée dans les quartiers, à la faveur du retour, dès 2002, de ceux qui étaient partis combattre les Américains en Afghanistan, puis celui d’autres qui ont commencé à rentrer d’Irak deux ou trois ans plus tard. Forts de leur prestige de djihadistes, ils ont pu tenir un discours très écouté, notamment du côté de la place Willems. L’erreur du politique, c’est finalement d’avoir contribué à ralentir le travail des services de sécurité entre 2005 et 2012, date du début de la guerre en Syrie et des premiers départs de Belges recrutés par Daech. Pourtant, durant toutes ces années, dans les procès pour terrorisme, on a souvent entendu les magistrats tirer la sonnette d’alarme à propos du risque sécuritaire que pouvait constituer les anciens du djihad.
Georges Dallemagne, dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats de Bruxelles, vous et les autres commissaires vous êtes penchés sur les défaillances des services de sécurité. Étonnamment, il a été à peine question du cas d’Oussama Atar. Comment l’expliquer ?
G.D. Oussama Atar n’est en effet mentionné qu’une seule fois dans notre rapport de mille pages, lorsque notre commission s’étonne du fait que la Sûreté de l’État a maintenu en 2008 son niveau de menace à 2 (peu probable) sur 4, alors que l’OCAM (NDLR : l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace) l’avait placé au niveau 3 (grave) de la menace. Un lecteur non averti ne comprend pas l’importance de cette information, qui n’est pas expliquée dans le rapport. Il avait été prévu que la commission d’enquête de la Chambre réalise trois études de cas sur les dysfonctionnements de nos services de sécurité : Salah Abdeslam, Ibrahim El Bakraoui et Oussama Atar. Finalement, seuls les deux premiers ont fait l’objet d’une étude détaillée. Je n’ai pas compris que cette troisième étude ait été escamotée. Et je n’ai pas d’explication. J’avais reçu des informations de sources américaines et irakiennes sur Atar. Je pensais que les victimes et la population en général méritaient la vérité et la clarté. Ce sont d’ailleurs ces raisons qui nous ont poussé, Christophe et moi, à mener cette enquête et à écrire ce livre.
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