Attentats de Bruxelles : Les victimes expliquent l’enfer qu’elles ont vécu

La présidente du tribunal, Laurence Massart. | © BELGA PHOTO ERIC LALMAND
Le procès des attentats de Bruxelles a actuellement lieu. Une à une, les victimes de cette terrible journée témoignent devant la cour.
Avec Belga
Valérie Vervoort souhaitait que son fils, aujourd’hui âgé de 7 ans, puisse assister à son témoignage, mais la cour a refusé sa demande. « Sans un thérapeute qui le suit, je préfère prendre la décision qu’il n’assiste pas à l’audience, pour le protéger et le sauvegarder » , a justifié la présidente Laurence Massart, conseillant à la victime d’en parler avec lui par la suite. L’enfant est resté avec les greffières de la cour et le chien d’assistance aux victimes, en dehors de la salle.
La cantatrice d’une quarantaine d’années a raconté que, le 22 mars 2016, elle se trouvait à Brussels Airport pour prendre un vol vers New-York. Elle se trouvait au comptoir d’enregistrement, avec son fils de 5 mois contre son torse, lorsque les bombes ont explosé. « J’ai entendu la première explosion. Je me suis baissée derrière l’appareil où on met les bagages. J’ai pensé au Bataclan et je m’attendais à des tirs. Quelques secondes plus tard, il y a eu la deuxième explosion. J’ai vu la boule de feu, j’ai senti la chaleur… » , a-t-elle décrit.
Je me sentais coupable de la chance que j’ai eue.
Celle-ci a expliqué les moments qui ont suivi, avec une évacuation des personnes vers un hangar proche de l’aéroport, puis son arrivée chez ses parents, qui sont venus la chercher à Zaventem, vers 12h30. « Je me sentais coupable de la chance que j’ai eue » , a-t-elle dit, révélant que ce n’est que récemment, quand la guerre en Ukraine a éclaté, que son traumatisme s’est réellement manifesté. « Je me suis rendue compte qu’il y avait quelque-chose en moi que je n’avais pas assimilé. J’évite certaines dates pour prendre des vols, je fais des cauchemars la veille d’un départ et j’ai peur de partir en laissant mes enfants seuls. J’ai toujours la peur d’être au mauvais endroit au mauvais moment ».
Valérie Vervoort a montré à la cour trois photos, l’une de son fils couché sur une couverture dans un hangar après l’attentat, une autre de son fils et elle juste après leur arrivée chez ses parents le 22 mars à la mi-journée et enfin une dernière de son fils aujourd’hui, jouant du violoncelle, sa passion.
Un enfer
Sylvie Ingels, aujourd’hui âgée de 50 ans, se trouvait dans le hall des départs au moment des deux explosions. Avec son mari et deux amis, ils revenaient d’un voyage en Thaïlande. Cette secrétaire a raconté avoir eu un pressentiment dans l’avion que quelque chose allait lui arriver. « J’ai eu une crise de panique dans l’avion, je voulais sortir alors qu’on se trouvait à 20.000 pieds » . Une fois arrivée à Zaventem, la femme s’est sentie « honteuse et ridicule » : « je n’avais jamais eu un tel comportement » .
C’est en sortant des toilettes du hall des départs qu’elle a entendu une « terrible explosion » derrière elle, avec une fumée très dense qui l’empêchait de se rendre compte de la gravité de ce qu’il venait de se passer. « J’étais figée, tétanisée, je ne pouvais plus bouger. » C’est alors qu’a retenti la seconde explosion, donnant lieu à un « indescriptible chaos » . « Je me suis recroquevillée sur moi-même, je me suis dit que c’était maintenant que ma vie prenait fin. Mes pensées sont allées vers mes enfants. J’avais l’impression de ne plus rien contrôler. »
Sylvie Ingels, qui n’a pas été physiquement blessée, s’est alors reprise, se refusant à mourir à l’aéroport. « Je ne peux que fuir cet enfer. » Après s’être réfugiée à l’hôtel Sheraton « quelques minutes qui ont paru des heures » , elle a finalement retrouvé son mari et s’est immédiatement installée dans la voiture, lui demandant de quitter les lieux au plus vite. « Il m’a demandé si on ne pouvait pas venir en aide aux personnes blessées et, j’ai honte, mais je lui ai demandé de rouler. Je voulais juste récupérer mes enfants. »
Les terroristes n’ont peut-être pas réussi à me tuer physiquement mais psychologiquement oui.
Dans la foulée des attaques, la quinquagénaire faisait plein de cauchemars, ne voulait plus sortir, ne mangeait plus et pleurait à longueur de journée. Son quotidien est devenu de plus en plus difficile, émaillé de nombreux rendez-vous médicaux, notamment pour des migraines, des vertiges et une paralysie temporaire du visage. Sylvie Ingels ne se reconnait plus, passant d’une personnalité joyeuse, pleine d’ambition, ayant de l’amour et de l’humour à quelqu’un d’anxieux en permanence, de triste, qui refuse de sortir, qui n’arrive plus à travailler quotidiennement à cause de ses problèmes de santé et qui perd peu à peu ses amis. La victime passe parfois des journées à rester chez elle sans voir ses enfants, dont elle n’arrive même plus à s’occuper et dont elle regrette la perte d’insouciance. « J’ai perdu sept années auprès d’eux » , résume-t-elle. « Cela fait des années que je les prive de leur liberté, que je les empêche de sortir, de prendre les transports en commun, d’aller au cinéma car j’ai trop peur qu’il leur arrive quelque chose. » « Les terroristes n’ont peut-être pas réussi à me tuer physiquement mais psychologiquement oui« , a encore confié la témoin.
Des cicatrices encore fraîches
Une victime de l’attentat à l’aéroport de Zaventem a raconté ce mardi 14 mars comment elle végétait depuis sept ans, sans parvenir à se reprendre. « Mes filles ont tout essayé. Heureusement qu’elles étaient là parce que j’ai fait trois tentatives (de suicide) » , a expliqué Riffi Khaddouj devant la cour d’assises chargée de juger ces attaques terroristes.
La témoin, âgée de 63 ans, travaillait pour l’entreprise de sécurité G4S le jour des faits. Quelques jours après les attentats, son employeur lui demande de venir travailler alors que l’aéroport est en pleine reconstruction. Pendant un mois et demi, elle parvient à faire face, jusqu’à ce qu’un proche collègue ait un accident de voiture en se rendant au boulot. « Le seau était plein mais, là, il a débordé. C’était fini. Après, je suis tombée » , a-t-elle témoigné. « Je suis alors restée deux ans dans mon fauteuil, allongée. J’ai fait souffrir mes enfants. »
Je végète devant la télé, je ne fais rien de mes journées. Je n’arrive pas à rentrer dans mon lit depuis sept ans.
A part lorsqu’elle promenait son chien, Riffi Khaddouj restait allongée, malgré les demandes de ses trois filles de redevenir celle qu’elle était auparavant. L’ancienne directrice et superviseure de deux compagnies aériennes ne sait aujourd’hui plus écrire, a des trous de mémoire fréquents et a une santé chancelante. « Je végète devant la télé, je ne fais rien de mes journées. Je n’arrive pas à rentrer dans mon lit depuis sept ans. »
A cause de cette sédentarité, la sexagénaire s’est cassée les jambes et se déplace désormais à l’aide d’une béquille. Elle a vendu sa maison, s’est défait de ses meubles et s’est installée dans un petit appartement. Les filles de Riffi Khaddouj ont tout essayé pour tenter de lui faire remonter la pente, explique-t-elle. « Heureusement qu’elles étaient là parce que j’ai fait trois tentatives (de suicide). Je ne sais pas les aider alors qu’elles ont besoin de moi aujourd’hui. » La témoin a terminé son témoignage par un message d’empathie envers les deux frères Farisi, les accusés qui comparaissent libres au procès. « Que Dieu leur pardonne », a-t-elle conclu.