Irma : L’apocalypse racontée par un habitant de Saint-Barthélémy

De nombreuses habitations de Saint-Barthélémy ont été ravagées. | © AFP PHOTO / Martin BUREAU
Dom Peter, un habitant de Saint-Barthélémy, témoigne de la violence de l’ouragan Irma qui a tout ravagé sur l’île paradisiaque et explique comment il a risqué sa vie, avec son frère, pour sauver une famille.
Minuit, dans la nuit de mardi à mercredi, l’ouragan Irma « arrive » à Saint-Barthélemy. Les météorologues avaient annoncé le pire et la population reste confinée chez elle. Si la plupart des gens ont déjà subi les assauts de Louis en 1995, tous se préparent à affronter les assauts d’Irma. Personne ne se doute encore que la petite île paradisiaque va être plongée dans l’apocalypse. Propriétaire d’une maison sur le littoral, Dom Peter est encore sous le choc. Il nous raconte comment, avec son frère, ils ont risqué leur vie pendant le cyclone pour sauver une famille.
Lire aussi > Après le passage de l’ouragan Irma, plus de 100 prisonniers dangereux dans la nature
Au cœur de l’ouragan
« Les murs tremblaient, on entendait les vagues se fracasser contre les maisons, le vent sifflait dans nos oreilles, cela nous faisait mal, nos têtes étaient comme compressées. Dans un moment pareil, vous priez pour une seule chose, ne pas mourir. Soudain, avec mon frère, malgré le fracas provoqué par les éléments, nous avons entendu des cris provenant de la maison voisine, située à 50 mètres à peine du littoral. Des appels au secours, les pleurs d’un bébé. Nous savions à quel point c’était dangereux, mais nous n’avons pas hésité, quand l’accalmie est enfin arrivée, nous nous sommes précipités dehors pour les aider. Les murs de leur maison tenaient encore debout mais ils se fissuraient. La chambre des enfants avaient été entièrement soufflée. Ils s’étaient enfermés à cinq dans les toilettes, une « grand-mère » avec sa fille, son gendre, et ses deux petits-enfants. J’ai pris le petit garçon dans les bras, et on s’est mis à courir, le vent était tellement fort qu’il m’a jeté sur le sol, je me suis blessé au pied avec les débris.
Lire aussi > Ces « chasseurs de tempêtes » qui affrontent l’ouragan Irma
Nous avions la sensation qu’une bête cherchait à rentrer chez nous.
Nous sommes allés nous réfugier chez nous. Avec mon frère, nous avons installé les femmes et les enfants dans notre salle de bain, c’est là qu’il faut se mettre en cas d’ouragan, elles sont construites en dur. Avec les hommes, nous nous sommes mis dans la cuisine. Mais la trêve a été brève, l’ouragan a repris de plus belle, et malgré les structures spéciales, les volets vibraient de plus en plus et commençaient à céder. Nous avons pris la table de la cuisine, et nous l’avons fixée aux murs avec la perceuse pour obstruer la porte, nous sommes restés au moins une heure, assis contre la table, pour faire pression, pour empêcher qu’elle cède et que tout s’envole, et que l’on soit emporté par le cyclone. À ce moment-là, je savais qu’à un moment ou un autre tout allait céder, mais je ne savais pas quand. Je priais, l’attente me paraissait insupportable. Nous avions la sensation qu’une bête cherchait à rentrer chez nous, mais nous savions que si elle pénétrait, vous allions tous mourir.
Lire aussi > [EXCLU] Laeticia Hallyday se confie : « Aider les sinistrés de Saint-Barth’ était notre consolation »

Après le soulagement, l’angoisse
Et enfin, l’ouragan s’est éloigné, à ce moment là, vous êtes comme abasourdi, le temps est comme arrêté. Vous vous sentez comme dans un film pendant le générique final, après l’action intense, le « happy end » surprend, vous n’avez jamais ressenti cela. Vous n’avez qu’une seule pensée en tête : Comment puis-je être encore être en vie ? Tout à coup, vous vous mettez à penser à vos amis, vos voisins, comment vont-ils ? Leurs maisons ont-elles tenu le coup ? Sont-ils encore en vie ? L’angoisse vous submerge. Vous vous précipitez dehors, pour aller voir, vous vérifiez s’ils ne sont pas blessés. Vous soulevez au pied de biche les volets bloqués.
Lire aussi > Son île privée dévastée par l’ouragan Irma, Richard Branson porte secours à ses voisins
Nous avons pu constater l’ampleur des dégâts : de nombreuses habitations n’avaient plus de fenêtres, plus de toits. L’ouragan et les vagues les avaient emportés. Ce n’est pas étonnant, certaines vagues pouvaient atteindre jusqu’à 1 mètre 50, c’était comme un mini tsunami. Chez moi la construction a tenu le coup, mais l’intérieur est foutu, je n’ai pas beaucoup d’argent donc j’ai surtout des meubles bon marché, ils ne supportent pas l’eau salé.
On nous annonçait l’arrivée de pilleurs venus de Saint-Martin
Nous n’avons pas attendu longtemps pour nous mettre au travail, les locaux, dont mon frère et moi, avons pris nos voitures pour venir en aide aux autres habitants de l’île. Nous avons dégagé les routes, les pistes d’atterrissage. En à peine deux jours, nous avons accompli un travail énorme. Des avions ont pu emmener les femmes, les enfants, les malades, ainsi que les personnes âgées, en Guadeloupe et en métropole. Mais après plus rien. De nouveau l’attente. Les secours n’arrivaient pas, l’eau potable, la nourriture, devenaient un problème. Nous avions l’impression d’être abandonnés, seuls, au milieu de l’apocalypse. Des bateaux privés nous ont apporté des vivres.
Ce qui nous a réellement sauvé la vie : l’immense élan de solidarité qui a régné sur l’île. Nous avons partagé le peu de nourriture qui nous restait à manger. Avec mon frère, nous avons mis à la disposition de tous, notre gaz devant notre maison pour faire cuire sur des barbecues les aliments restants. Les fournisseurs de viande nous ont donné la fin de leurs stocks.

Les locaux ont laissé pour un temps leurs activités premières pour rejoindre les entreprises de charpente afin de reconstruire au plus vite l’île. Les hôtels ont été détruits, nous savons que nous ne pourrons pas compter sur le touriste pendant 1 an. Mais au delà des destructions matérielles, un autre problème s’abattait sur nous : la peur nous tenaillait. Des rumeurs s’amplifiaient, on nous annonçait l’arrivée de pilleurs venus de Saint-Martin. Les gens se sont armés pour défendre leurs familles. On nous disait aussi que José, le nouvel ouragan, arrivait sur nous. Nous tremblions à l’idée que tout recommence. Finalement José a amené la pluie. C’était une bonne chose, elle a nettoyé l’île et ses routes de la boue.
Les riches contre les pauvres
Nous ne vivrons plus jamais pareil, nous serons désormais solidaires, les problèmes de voisinage, les querelles, les petits tracas du quotidien, se sont effacés. Heureusement, car nous sommes abandonnés, nous les locaux, nous n’avons pas d’argent. Les gens imaginent qu’à Saint Barth, tout le monde est riche, mais ce n’est pas vrai. Heureusement il y a une entraide magnifique. On reçoit beaucoup de soutien de gens qu’on a rencontré pendant les saisons. Chez les habitants fortunés, 50% viennent à notre secours, une autre partie ne nous vient pas en aide.
Lire aussi > Ouragans : La Belgique doit-elle trembler ?
Les Américains, eux, sont des vrais amoureux de l’île, qu’elle soit en ruine ou comme un vrai paradis, ils sont là. Que des gens comme Johnny Hallyday donnent accès à leurs maisons c’est très bien, mais ils devraient être plus à faire comme lui. Il faut savoir que ces maisons ont des groupes électrogènes qui permettraient d’éclairer des quartiers entiers. Nous nous lavons dans les piscines purifiées par de la javel. Je charge mon téléphone portable sur mon quad mais j’aurai bientôt plus d’essence, il y a une pénurie sur l’île. L’électricité n’a pas été rétablie, des rumeurs circulaient comme quoi elle ne le serait que dans un mois, mais certains quartiers commencent déjà à être de nouveau alimenté en eau et en courant.
Avoir de l’eau fraîche, comme gagner le jackpot au loto
Le manque d’hygiène et la chaleur sont très durs à vivre et favorisent le développement des bactéries. Un voisin nous a mis 4 bouteilles d’eau au frais, vous ne pouvez pas imaginer ce que cela vous fait de boire de l’eau fraîche, c’était comme gagner le jackpot au loto. Les nuits sont difficiles en ce moment, il fait maintenant très chaud et il y a beaucoup de moustiques. On dort dehors sur des matelas ou dans des hamacs. Après le passage de l’ouragan Louis, en 24 heures, l’île était remplie de militaires. Cette fois se sont les résidents qui s’occupent de tout. On se sent abandonné par le gouvernement, nous avons reçu tard les vivres, on nous disait sans cesse que des militaires allaient arriver mais on ne les voyait pas. Des gendarmes ont été mis en place pour empêcher les braquages ils font des rondes sans arrêt.
C’est rassurant de se sentir enfin en sécurité. Plus personne ne pense à l’ouragan, on relativise, on se dit que des personnes vivent ce genre d’événements plusieurs fois par an, il suffit de manquer d’eau et de nourriture et les petits problèmes de tous les jours deviennent superficiels. La solidité de la construction des habitations a été notre chance, c’est ce qui nous a sauvé. St Barth va être remis vite debout, j’en suis sûr ! »