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En Palestine, la fécondation in vitro comme acte de résistance

Le photographe Antonio Faccilongo est l'auteur d'un reportage photo primé et bouleversant. | © Antonio Faccilongo

Société

En Palestine, des couples dont le mari est emprisonné en Israël ont recours au trafic de sperme et à la fécondation in vitro pour construire une famille. Le photographe Antonio Faccilongo a réalisé sur cette situation un reportage bouleversant, couronné par la bourse pour la Photographie Editoriale de Getty Images

D’après un article de David Ramasseul pour Paris Match France

La fécondation in vitro : c’est la solution choisie par des Palestiniens qui purgent de longues peines dans les prisons israéliennes, pour devenir père malgré leur détention. Pour son projet « Habibi », le photographe italien Antonio Faccilongo a suivi le quotidien de femmes seules décidées à fonder une famille et prêtes pour cela à surmonter toutes les épreuves : la sortie clandestine des échantillons de sperme de la prison, l’insémination et ses aléas, l’absence déchirante du père, les innombrable difficultés matérielles, tout cela dans un contexte de violence latente et d’arbitraire qui rend les lendemains toujours incertains.

Comment avez-vous découvert l’existence de cette contrebande ?
Antonio Faccilongo : Tout est parti de mon premier voyage en Palestine le 27 décembre 2008 : cette nuit-là, débutait la guerre appelée « opération plomb durci » entre la Palestine et Israël, où plus de 1 400 personnes ont trouvé la mort. L’un des problèmes auquel a dû faire face le peuple palestinien, en plus des difficultés socio-politiques, est qu’un grand nombre d’hommes ont été arrêtés dans les camps de réfugiés après la guerre et placés en détention. Dans ces conditions, comment se poursuivait la lutte des femmes qu’ils laissaient derrière eux ? Pour répondre à cette question, j’ai commencé à suivre des familles et, il y a trois ans, j’ai découvert cette histoire. J’ai commencé ce reportage en janvier 2015 et je vais le poursuivre et l’approfondir dans les années qui viennent, notamment en documentant la vie des enfants nés de cette manière. Je rassemble des documents qui permettent de mieux comprendre cette histoire et de dépasser les frontières entre les différents types de travail. Par exemple, en collectant des photos pris par détenus, des documents officiels et judiciaires, des lettres d’amour envoyées par les prisonniers à leur épouse, des photos de familles et les examens médicaux subis par ces femmes pendant leur grossesse. Les photos et tous ces documents collectés seront rassemblés, avec un texte, dans un livre et dans une exposition itinérante prévue pour fin 2018.

©Antonio Faccilongo – Palestine, Bethléem. L’une des méthodes utilisées par les prisonniers pour sortir leur sperme de la prison est de le placer dans un stylo avant de le glisser dans une barre chocolat qu’ils offrent aux enfants pendant les visites, ce qui est autorisé.

Comment avez-vous convaincu ces femmes d’apparaître sur les photos?
C’était un projet difficile à porter pour un homme occidental. Mais, grâce au « Palestinian Prisoners Club », une ONG humanitaire, j’ai pu surmonter les obstacles. Je les ai accompagnées dans tous les aspects de leur existence, dont cette contrebande de sperme depuis la prison jusqu’à l’insémination, dans la vie de tous les jours, à la maison, à l’école, au marché, chez le pédiatre et pendant les moments de détente. Elles sont seules, dans une zone de guerre, avec des enfants en bas âge, sans personne pour les protéger et surtout personne pour les réconforter.

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Est-ce une forme de résistance pour elles ?
Selon moi, il y a trois raisons principales qui les poussent à faire appel à l’insémination : elles sont convaincues qu’un jour leur nation et les prisonniers seront de nouveau libres. Elles veulent que leur mari puissent avoir une famille quand ce jour viendra ; parce que ce sont des femmes et qu’elles estiment que la procréation est quelque chose de naturel ; parce que c’est une façon de résister.

Jusqu’en 2013, les autorités religieuses en Palestine n’avaient pas clarifié leur position sur la fécondation in vitro. Mais, avec le temps, les choses ont évolué et cette pratique est désormais acceptée dans des circonstances spécifiques.

Comment les autorités israéliennes gèrent-elles cette contrebande ?
Cette histoire est bien connue en Israël. Des palestiniennes ont même organisé une conférence de presse pour annoncer au monde qu’elles avaient fait appel à la fécondation in vitro afin d’avoir un enfant de leur mari détenu dans les prisons israéliennes. Toutes les femmes que j’ai photographiées, les épouses, les mères et leurs enfants, ont décidé librement de témoigner. Et la plupart d’entre elles participent chaque semaine à des manifestations pour défendre leurs droits et ceux de leur mari. On peut dire que cette pratique est, pour le moment, illégale mais tolérée.

©Antonio Faccilongo – Palestine, Tulkarem. Amma Elian, 39 ans, est la femme d’Anwar Elian, 39 ans aussi. Il a été arrêté en 2003 et condamné à la prison à vie.

Quelle est l’attitude des dignitaires religieux envers ces femmes ?
Jusqu’en 2013, les autorités religieuses en Palestine n’avaient pas clarifié leur position sur la fécondation in vitro. Mais, avec le temps, les choses ont évolué et cette pratique est désormais acceptée dans des circonstances spécifiques. Dans une communication d’avril 2013, le Conseil suprême de la décision religieuse en Palestine, a détaillé les restrictions et limité la fécondation in vitro aux hommes condamnés à de longues peines, dont le mariage a été consommé avant l’emprisonnement et en l’absence d’autres solutions. Le mari et sa femme doivent aussi remplir de nombreux documents et les familles doivent produire plusieurs témoins pour attester que l’échantillon appartient à l’époux. En conséquence, les femmes qui ont un enfant de cette manière sont beaucoup mieux acceptées.

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La façon dont vous montrez l’absence est bouleversante. Le thème de l’absence est-il un fil conducteur dans votre travail photographique?
Mon intention était de montrer la solitude de ces femmes et en même temps la perspective positive qu’apportent les nouveaux-nés. Dans l’attente du retour de leur mari, ces femmes luttent pour soutenir leur famille, avec parfois de nombreux enfants à élever. J’étais très touché par cette vie suspendue à l’espoir du retour des époux. La réponse qu’elles ont trouvé à cette situation, c’est la fécondation in vitro qui permet leur permet enfin d’aller de l’avant.

©Antonio Faccilongo – Palestine, Ramalla: la vie s’est arrêtée dans l’attente du retour des hommes. Les femmes prennent soin des affaires de leur mari comme s’il pouvait revenir d’un instant à l’autre.
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