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Au Panama, le football jongle avec violence

La séléction panaméenne, le 6 juin 2018, lors d'un match amical contre la Norvège. | © AFP PHOTO / Terje PEDERSEN

Sport

Le Panama, un des petits poucets de la Coupe du monde en Russie et premier adversaire de nos Diables, est gangréné par une violence féroce aussi bien dans le football local que professionnel.

Amílcar Henríquez était le meneur de jeu de l’équipe de football du Panama [les Canaleros] jusqu’à l’année dernière. 85 séléctions, idôlatré au pays et âme de l’équipe panaméenne, Henríquez a été assassiné de 12 balles dans le corps le 15 avril 2017. Sa disparition a laissé un vide dans le football panaméen, et c’est pour lui que ses coéquipiers sont allés chercher la qualification inespérée pour la Russie. Un drame qui incarne la face sombre du football dans ce petit paradis fiscal d’Amérique centrale.

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Le 10 otobre 2017, soit un peu moins de six mois plus tard, on joue la 87éme minute d’un match décisif entre le Panama et le Costa-Rica lors des éliminatoires pour le Mondial en Russie. Le panneau d’affichage indique 1-1 et le Panama est virtuellement éliminé. C’est sans compter sur le rugueux défenseur Roman Torres, qui vient délivrer toute une nation d’une frappe puisssante sous la barre. « Cette qualification, on est allé la chercher pour Amilcar », déclare le héros du soir juste après le match. Tout un symbole dans une nation où une « grosse vingtaine de footballeurs ont été assassinés depuis 2010  », selon le dernier numéro du magazine SO FOOT.

Des joueurs proches des gangs

Les assassins d’Amilcar Henríquez n’ont toujours pas été retrouvés et le mystère demeure quant aux circonstances exactes de son meurtre. Certains, comme le président du Panama [Juan Carlos Varela] lui-même, parlent de « rencillas » ( traduisez « querelles » ) entre gangs. Car Henríquez maintenait des liaisons dangereuses avec une bande provenant des ghettos de Panama City, la capitale.

Les footballeurs panaméens posent pour un selfie à la descente de leur avion, à l’aéroport de Saransk en Russie, le 7 juin 2018. AFP PHOTO / Juan BARRETO

« Son frère faisait partie des « Calor Calor », un gang lié à des cartels de la drogue colombien », raconte un cadre de la séléction (anonyme) à SO FOOT. « Il (Henríquez) n’en faisait pas directement partie, mais il sortait toujours son frère de la merde. Ceux qui l’ont criblé de balles étaient d’ailleurs venus le chercher pour une connerie qu’avait faite son frangin », poursuit-il.

Le cas d’Henríquez n’est malheureusement pas isolé et d’autres footballeurs finissent également assassinés ou derrière les barreaux. La plupart d’entre eux viennent des ghettos de Panama City ou des autres villes du pays. Un ancien membre de gang déclarait dans le quotidien britannique The Guardian« J’ai vu tellement de joueurs impliqué dans le traffic de drogue, dans le crime, les gangs, le blanchiment d’argent pour les cartels, le traffic d’armes. L’issue est inévitablement la mort ou la prison. »

Un cocktail détonnant

Le Panama détient l’un des taux d’homicide les plus bas d’Amérique centrale (424 personnes tuées en 2017), n’a pas un seuil de pauvreté des plus catastrophiques et ne fait pas face à une consommation de drogues alarmante. Mais il constitue une plaque tournante et stratégique pour le trafic de cocaine provenant de Colombie et à destination des États-Unis. Cette donnée, combinée à une situation du football professionnel désastreuse, provoque un cocktail détonnant.

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Le Panama reste l’un des seuls pays au monde où un joueur de football professionnel peut gagner moins que le salaire minimum légal, c’est-à-dire 460 dollars. Certains joueurs évoluent même sans contrat. Pour arriver à aller jusqu’au bout du mois, ils doivent parfois vendre des fruits et légumes au marché, comme l’international et cadre de la sélection Coco Henriquez. Et d’autres choisissent la criminalité. Contrairement au baseball, installé au pays de longue date, le football peine encore à remplir les stades.

Le mondial est une aubaine pour le football panaméen. Au plus les Canaleros iront loin, au plus la fédération panaméenne disposera d’argent à réinjecter dans son championnant et dans les clubs. Ses joueurs, venant pour la plupart de ghettos difficiles, joueront donc sans complexes et sans baisser les yeux. Et avec l’envie d’honorer leur ancienne gloire, Amílcar Henríquez. Les Belges sont prévenus.

 

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