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Shailene Woodley : « L’Amérique traverse une dépression, mais nous devons garder espoir »

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Shailene Woodley, à Deauville le 5 septembre. | © AFP PHOTO / LOIC VENANCE

Cinéma et Docu

Rencontre avec Shailene Woodley au Festival de Deauville. Révélée par la saga Divergente et Nos Étoiles Contraires, Shailene Woodley, 26 ans, s’est imposée à Hollywood avec la série, Big Little Lies

Paris Match. Comment alternez-vous votre carrière d’actrice et votre travail d’activiste ?
Shailene Woodley. Tout d’abord, tout le monde peut être un activiste. Pour moi la gentillesse est la première forme d’activisme. Si t’es un connard, tu n’aideras jamais personne. Je ne choisis par forcément le cinéma un jour et l’activisme le lendemain. J’essaie de concilier les deux. Ce peut être quelque chose d’énorme comme Standing Rock. Mais ce peut juste être faire à manger pour ton voisin ou donner des vêtements. Avec tout ce qui se passe dans le monde en ce moment, on pourrait croire qu’il faut faire des actions énormes pour avoir un impact alors que c’est tout le contraire. C’est aussi se montrer professionnelle. Arriver à l’heure sur le tournage, connaître le prénom des gens avec qui tu travailles, sensibiliser ses collègues à l’écologie, demander à réduire le plastique ou exiger la parité.

C’est ce que vous faites sur vos tournages ?
J’essaie, oui ! J’ai l’ambition de devenir productrice, je veux pouvoir apporter cette prise de conscience sur mes futurs projets.

À chaque fois que des grands changements arrivent, ils sont précédés par une période sombre.

Comment décririez-vous les États-Unis aujourd’hui ?
Je pense que nous sommes en plein renouveau. À chaque fois que des grands changements arrivent, ils sont précédés par une période sombre. Un peu comme la dépression, au début, tout est noir et puis petit à petit nous voyons le bout du tunnel. J’ai vécu une dépression, je sais de quoi je parle. Et quand tu es dans ce tunnel, il te semble impossible de voir la lumière. Je trouve que c’est ce que traverse l’Amérique en ce moment. Nous vivons une période vraiment pourrie, mais nous devons garder espoir.

Que voulez-vous dire à vos jeunes fans que vous suivent depuis Divergente ?
D’abord merci ! (Rires) Parce que je ne serais pas là sans vous. Ensuite, le meilleur conseil que je puisse vous donner c’est que vous n’êtes pas obligé de tout réussir dans la vie, vous n’êtes pas obligé de savoir qui vous êtes vraiment. Suivez votre instinct et votre route, apprenez de vos expériences et surtout de vos erreurs. Nous ne savons pas toujours ce qui nous plaît et quelle est notre opinion, nous pouvons manquer de confiance, mais notre intuition sait nous guider. Plus nous sommes centrés sur les réseaux sociaux, et moins nous sommes connectés à nous-mêmes et à notre instinct.

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Qu’est-ce qui vous rend fière de votre pays ?
Tellement de choses ! Je suis si fière que nous soyons tous des immigrés, hormis les Indiens d’Amérique, qui sont sur ces terres depuis plus longtemps que nous. Fière de notre mixité culturelle. Je pensais que je n’avais aucune culture avant. Vous en France ou en Italie, votre culture remonte à des millénaires. Pas nous. Mais nous cultivons la gentillesse, nous sommes très avenants. Plus je voyage et plus je me rends compte que les gens nous apprécient pour ça. Et ce, quelque soit nos opinions politiques. Je connais des gens qui votent Trump et qui sont profondément gentils.

La police m’a libéré plus vite parce que je suis actrice et blanche.

Vous avez été arrêtée en 2016 à Standing Rock (Nord Dakota), lors des manifestations contre la construction d’un oléoduc, quels souvenirs gardez-vous de votre détention?
C’était horrible. J’ai eu tellement peur. Mais j’ai eu de la chance, ma mère était présente et elle a tout de suite payé ma caution. C’est évident que la police m’a laissée sortir plus vite parce que j’étais blanche et actrice. Les Indiens de la réserve avec qui j’ai été arrêtée sont sortis bien plus tard. Notre système pénitentiaire et judiciaire est tellement corrompu. Il est impossible à changer parce que les gens ne veulent pas voir le problème. Pourquoi a-t-il fallu attendre mon arrestation pour que les médias braquent leurs caméras sur Standing Rock ? Pourquoi suis-je sortie plus vite que les autres ? Ces questions ont des réponses, mais les gens ne veulent pas les admettre. La meilleure chose à faire c’est de voter. Pas seulement aux présidentielles ! Mais pour les maires, ou même les conseils d’administrations des écoles. Standing Rock reste un moment beau et fort parce que nous avons quand même été entendus. C’était historique ! Mais ce n’est qu’un début.

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Hollywood a connu un énorme séisme après l’affaire Weinstein. Sentez-vous un véritable changement ?
Absolument. Les gens sont hypersensibles et conscients du poids des mots. Le langage et le vocabulaire comptent. Aujourd’hui les gens sont plus mesurés dans leurs propos. Avant, le mot « viol » était balancé sans que les gens y prêtent attention. Désormais il est utilisé dans un contexte bien précis. Pareil avec le mot « égalité ». Nous prenons pour acquis certains termes qui ont un sens. Voilà le premier enjeu d’Hollywood.

Comment ce changement a-t-il impacté votre carrière ?
Sur Big Little Lies la parité était respectée à tous les niveaux de profession, c’était la première fois pour moi !

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En janvier, presque tout Hollywood à rejoint le mouvement Time’s Up. Où en est cette association aujourd’hui ?
Je ne fais pas partie du conseil d’administration donc c’est difficile de parler en leur nom. Mais je peux vous dire que l’association est très active et aide des femmes au quotidien. Elle fournit une aide judiciaire aux victimes d’harcèlement sexuel qui n’ont pas les moyens de se payer un avocat.

Cette année lors des Golden Globes, toutes les femmes sont venues habillées en noir et accompagnée d’activistes sur le tapis rouge. Ce fut un tournant ?
C’était la première cérémonie depuis la création de Time’s Up et ce fut mémorable. Il faut comprendre, sur le tapis rouge, tout le monde est très stressé. Nous portons des robes inconfortables, des tonnes de maquillage, nous avons peur de dire quelque chose d’incorrect qui va enflammer internet et nous poursuivre pendant des années. C’est pour ces raisons que nous sommes en mode « armure » pour nous protéger. Mais là, tout le monde était comme libéré, sans masque. C’était la première fois que je voyais des êtres humains dans le regard des gens. Personne ne cherchait à savoir qui était le mieux habillé, ou qui disait quoi. Je crois que ça n’était jamais arrivé avant. C’était un moment unique dans l’industrie même si dans les faits nous n’avons rien fait de concret. Mais voir tous ces gens sans artifices, c’était beau.

Sur quels projets avez-vous travaillé ces derniers mois?
J’ai tourné la deuxième saison de Big Little Lies où Meryl Streep nous a rejoint. Le tournage a duré six mois, c’est inhabituellement long ! Je dois me pincer à chaque fois que je travaille avec ces femmes, Laura Dern, Reese Witherspoon et Zoe Kravitz. Au-delà de leur prestige, leur notoriété ou leur carrière, ce sont des personnes enrichissantes.

Meryl Streep m’a beaucoup appris.

Comment était-ce de travailler avec l’immense Meryl Streep ?
Meryl est vraiment à la hauteur de sa réputation. Elle est très drôle, intelligente, avec un vrai sens de l’aventure. Elle m’a beaucoup appris. Je n’ai jamais vu un acteur comme elle, décortiquer à ce point un scénario. Elle connaît l’évolution de chaque personnage et pas seulement le sien, elle connait chaque réplique, elle est dotée d’une mémoire phénoménale !

Big Little Lies a un casting très féminin, avec une nouvelle façon, plus juste, de raconter les femmes. C’est nouveau pour Hollywood ?
Zoë Kravitz et moi-même étions les plus jeunes et nous avons remarqué une différence avec Nicole Kidman, Meryl ou Reese, qui sont de la génération au-dessus. Nos carrières sont différentes. Depuis mes 13 ans, je n’ai joué que dans des films qui tournaient autour de l’évolution d’une fille, c’est rare! Je n’ai jamais eu à jouer de rôle de potiche. j’ai beaucoup de chance. Les castings était paritaires. Sauf pour les professions « techniques » où il n’a que des hommes. Sur tous les tournages où j’ai travaillé les réalisateurs sont des hommes, les caméramans sont des hommes, les assistants de caméra, les restaurateurs, tous des hommes. C’est là que doit se jouer le combat pour la parité maintenant. Mais comme c’est moins glamour on en parle moins, c’est injuste.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?
Bien sûr. Si vous ne l’êtes pas vous êtes foutus ! Je dois l’être parce que je pense que personne n’est fondamentalement méchant. L’éducation est primordiale. Les jeunes sont notre meilleur espoir.

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