Bouli Lanners : La révolte a du coeur

Bouli Lanners dans sa campagne, jusqu’au bout de l’émotion : « Rassurer mon père aurait été une vraie fierté. Hélas, il est décédé avant. Maintenant, c’est trop tard. Il n’a pas été témoin de mon ascension. » | © Belga
Personnage emblématique du cinéma belge, homme-volcan, combattant, attachant, il est unique en son genre comme dans son épatant dernier film, Cette musique ne joue pour personne. Lui, il vit pour tout le monde. Et ce n’est pas du cinéma.
Par Christian Marchand
Paris Match. Vous tracez votre route avec succès, mais en toute discrétion. Pourquoi ?
Bouli Lanners. Je suis un enfant d’une famille ultramodeste de la campagne. Pour que je m’exprime publiquement, il me faut une raison valable. Une forme d’injustice à mes yeux. En privé, j’aime la discrétion, la vraie vie. Tout ce qui est bling bling n’est pas mon truc. Et avec l’âge, ça s’affirme encore plus. J’aime le métier, les gens, j’aime bien m’impliquer dans la vie sociale, mais je n’aime pas les paillettes.
Pourtant, nos voisins français vous adorent et vous glorifient. Ils disent de vous que vous avez « la classe ». Avez-vous peur de tomber dans le piège du star system ?
C’est trop tard (rires) ! Si j’avais 22 ans, ce serait peut-être le cas. Mais j’ai galéré pendant vingt-cinq ans. J’ai mon vécu. Je sais d’où je viens et je ne l’oublierai jamais.
Quelle a été votre plus grande fierté depuis le début de votre carrière ?
Ma plus grande fierté ? C’est justement de n’avoir jamais tiré une fierté de rien. Je fais mon travail. Personnellement, je ne me trouve vraiment pas exceptionnel.
Pourtant, vous avez réalisé des films qui sont passés par les plus grands festivals, comme Cannes, Berlin ou Toronto.
Oui, je sais. Mais j’ai toujours cette impression d’être le dernier de la classe. Cela restera toujours ancré en moi. Rassurer mon père aurait été une vraie fierté. Hélas, il est décédé avant. Maintenant, c’est trop tard. Il n’a pas été témoin de mon ascension.
Vous auriez pu devenir peintre, non ?
J’espère toujours le devenir. Cette passion est née en moi à l’âge de 12 ans. J’ai découvert un bouquin, « Les Peintres impressionnistes », et je suis tombé en émoi devant les peintures de Monet. À partir de là, j’ai commencé à m’intéresser à la peinture. Chaque jour, je peux rester en pâmoison devant un paysage, un ciel, une lumière d’été ou d’hiver. Je suis un amoureux de la nature et de la peinture paysagiste. D’ailleurs, j’ai voulu absolument faire l’école des Beaux-Arts à Liège. Je n’y suis pas resté longtemps, j’ai été viré après deux années, mais j’ai continué à peindre. J’ai toujours un atelier.

Vous n’aviez jamais envisagé d’être acteur ?
Vraiment pas. Je n’ai jamais pensé jouer la comédie ou réaliser des films. Je n’ai aucune qualification. C’est vraiment venu par hasard. Ma mère était ouvrière. On habitait à la campagne. Il n’y avait pas de cinéma, pas de culture cinématographique du tout. Dans les années 70, on ne parlait pas vraiment du cinéma belge. J’ai découvert le 7e Art à la télévision. Aujourd’hui, ce métier, c’est une belle rencontre à mes yeux. J’en suis très heureux.
Si vous le pouviez, que changeriez-vous dans votre vie ou carrière ?
Ma carrière a démarré tard et si elle avait démarré plus tôt, je n’aurais pas géré les choses comme je les gère maintenant. Là, c’est possible parce que je suis passé par plus de vingt ans de galères. Mais après réflexion, je ne changerais rien. Même dans les moments difficiles, j’ai toujours rencontré des gens, vécu des trucs super et des aventures incroyables.
Vous êtes un homme d’engagement mais aussi de cœur. Vous l’avez prouvé à plusieurs reprises, notamment en vous associant au combat du personnel soignant.
J’ai passé une année dans un hôpital à tourner la série « Hippocrate » en pleine période Covid. Je tenais le rôle d’un chef des urgences. J’étais avec des infirmières urgentistes. J’ai vu le travail incroyable qu’elles font. Après, lorsque je suis rentré en Belgique, j’ai vu que le personnel soignant était en première ligne et dégustait. Et puis, après cela, alors que qu’on aurait dû les remercier, les valoriser, leur statut a été encore plus déprécié. À mes yeux, c’est une injustice totale. Et l’injustice est un truc qui me rend dingue ! Je ne comprends pas cette espèce de déni, de mépris et d’arrogance vis-à-vis de cette profession.
Vous avez également retroussé vos manches pour aider les victimes des inondations plutôt que de vous rendre au Festival de Cannes. Comment avez-vous vécu cette tragédie ?
C’était le premier jour des inondations. J’avais un jour de tournage sur une série près de chez moi. Le matin, j’ai pris la route mais on m’a contacté pour m’informer que le tournage était annulé. Je m’en doutais bien. C’était le bordel à Liège. En passant devant le port des yachts, j’ai vu que l’eau était montée dangereusement. Je précise qu’on n’est pas au port des yachts de Cannes, mais à celui de Liège, où des gens ont acheté un bateau à dix milles balles et vivent dessus. Des pensionnés ou des personnes qui ont des difficultés financières ou qui, malgré les épreuves, ont réussi à se reconstruire une vie sociale. Un peu comme ceux qui vivent dans les campings. Je sais qu’ils ne savent pas naviguer. Et là, j’ai compris que c’était la cata. Je suis rentré chez moi, j’ai mis ma combinaison de plongée, j’ai pris mes amarres. Je savais qu’ils n’avaient rien pour se sauver. Il fallait bouger des bateaux et j’ai tous les permis. Sur place, c’était le désespoir total. On a quand même sauvé 24 personnes qui étaient bloquées. On a sauvé 24 vies ! On était tous portés par l’adrénaline qui fait que vous êtes au front et que vous y allez. Durant cette journée-là, on a vu des trucs terribles. Le lendemain, ma sœur m’a téléphoné, elle était touchée, elle n’avait plus d’électricité. J’ai été dans son village. J’avais un groupe électrogène et un 4×4. J’avais la possibilité logistique d’arriver sur le plateau. C’était à Dolin. Et là, j’ai vu les eaux qui s’étaient retirées. La réalité était incroyable. On aurait dit que c’était la guerre ! C’était terrible. On ne peut même pas imaginer… (Il est très touché, fortement ému.)

Vous revenez avec le film Cette musique ne joue pour personne. De quoi s’agit-il ?
J’incarne le personnage de Poussin, qui travaille pour une famille de gangsters à Dunkerque. Je suis en binôme avec JoeyStarr, qui joue le dénommé Jésus. Nous sommes des hommes de mains un peu « barakis ». Mais nous sommes surtout touchés par la grâce. Notre but, à JoeyStarr et à moi, est de faire venir des amis pour l’anniversaire de la fille de notre patron. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas vraiment bien admise dans le cercle de ses amis d’école. On va essayer de les convaincre de venir à cet anniversaire en employant des moyens un peu différents du carton d’invitation (rires). Bon, on fait des trucs horribles mais on n’agit pas dans le but d’être méchants ou de faire du mal. On essaie juste de les convaincre, pour que la fille du patron soit bien et que l’anniversaire soit réussi.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce long métrage ?
Déjà, de tourner avec Samuel Benchetrit. C’est mon troisième film avec lui. Et de retrouver toute la bande : JoeyStarr, François Damiens, Ramzy Bedia, Gustave Kervern. Des bandits qui sont tous touchés par la grâce de l’art et de la poésie. C’est super beau. J’aime bien les rencontres. C’est ça qui est super dans ce métier.