Être un écrivain autoédité : « Finir un roman et le proposer dans les deux jours au monde… »
Ecrire, encore et toujours. Le seul objectif de Christophe Géradon
Christophe Géradon écrit pour ainsi dire depuis toujours. Enfant, il veut devenir auteur de BD. Adolescent, il s’essaie à l’écriture de scénarios. Trentenaire, il écrit un blog qui caracole en tête des pages les plus suivies de la blogosphère belge. Quadragénaire accompli, il développe une littérature peu banale ; à la fois poétique et pas piquée des vers.
Rencontre avec un auteur belge qui choisit l’autoédition et prouve à qui veut le lire qu’on peut renoncer à l’édition classique sans (se) rater pour autant.
« Devenir écrivain, c’est avant tout ne pas devenir autre chose… »
Christophe Géradon est un solitaire. Âgé de 44 ans, l’écrivain n’a ni femme ni enfants. Lorsqu’on veut savoir si la famille constitue à ses yeux un empêchement à la carrière littéraire, il a l’intelligence du contrepied… « La question qu’il faudrait se poser, répond-il, c’est si une carrière littéraire constitue un empêchement à la famille. Je considère la famille, le couple, l’enfant comme la réalisation humaine la plus importante qui soit. Mais il faut penser que devenir écrivain, c’est avant tout ne pas devenir autre chose. L’écrivain est avant tout quelqu’un qui n’est pas et qui plonge des personnages dans des situations qu’il ne connait pas encore ». Ainsi dans sa dernière nouvelle (« Définir Magenta » publiée en 2016), Christophe Géradon explore-t-il le lien filial dont il assure qu’il est central dans sa vie – puisqu’inexistant. « La littérature me permet d’explorer ce que je ne suis pas, poursuit l’auteur. Je ne suis pas père donc j’écris des filles… Magenta, par exemple, est ma fille ».

Du choix de l’autoédition
« Définir Magenta » nous renvoie au Liège de 1982. Dans cette cité, vivent et déambulent Michel, jeune écrivain (et alter ego de l’auteur) et Magenta, adolescente esseulée. A priori, ces êtres n’ont rien en commun. Et s’ils se rencontrent malgré tout, c’est parce qu’ils (se) cherchent… Michel veut écrire un roman, Magenta souhaite réécrire son histoire ; tous deux attendent beaucoup de l’ordinateur qui apparait cette année-là dans la devanture du Labochrome, boutique d’informatique. Sans trop en dévoiler, on peut dire de cette histoire qu’elle imagine (10 ans avant l’apparition d’Internet et des premiers sites de rencontres) la télécommunication affective via l’outil informatique ; « une sorte de Meetic qui aurait lieu en 1982 », confirme le romancier.
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Cette nouvelle, empreinte de nostalgie et truffée de références à la culture geek des années 80, est disponible sur Amazon pour la somme 2,99€. « 2,99€, ça semble peu. Mais je perçois 70% du prix de vente lorsqu’un lecteur achète le texte, soit 1,80€ dans ce cas ci. Dans l’édition classique, l’auteur moyen – on ne parle pas des Houellebecq et consorts – touche environ 10% de droit d’auteur sur la vente de son livre. Sur Amazon, je touche donc sept fois plus… » explique Christophe Géradon. Dans la foulée, le romancier ajoute qu’il n’a pas choisi l’autoédition dans un souci financier et qu’il ne prétend pas vivre du revenu rapporté par la vente de ses livres. Il précise par ailleurs que l’autoédition comporte ses propres lacunes ; « l’éditeur du circuit classique se charge de la promo du livre, il arrange les passages télé/radio/magazines. En autoéditant mes textes, je deviens seul responsable de leur diffusion et de leur promotion… Je peux acheter de la pub sur Amazon, Facebook ou Google, par exemple. La page Facebook de « Redondo » (mon roman précédant) est passée de 49 à 742 followers grâce à ce type de publicité… » Malgré tout, l’impact de ce système publicitaire demeure limité et Christophe Géradon reconnaît souffrir d’un manque de visibilité. « Je veux être lu, insiste l’ancien blogueur. J’attends beaucoup des connexions et réseaux en ligne. Twitter, par exemple, (le blog d’aujourd’hui) joue un rôle central : c’est mon médium le plus direct (en 15 secondes, 300 personnes m’ont lu) et Dieu sait que le rapport immédiat avec le lectorat est important pour moi ».
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Christophe Géradon : « Finir un roman et le proposer dans les deux jours au monde… »
Si Christophe Géradon choisit de publier ses textes via Createspace (l’outil d’autoédition proposé par Amazon) c’est donc surtout parce que l’outil suppose une « spontanéité », une immédiateté, que l’édition classique ne permet pas.

« J’aime l’idée d’écrire durant la journée et d’être lu le soir même. Finir un roman et le proposer dans les deux jours au monde, il n’y a rien de tel. Quand j’ai publié mon premier roman en 1998, il s’est passé 6 mois entre la fin de la rédaction et le début de la commercialisation. En 6 mois, j’ai eu le temps de penser dix fois que ce texte était minable. S’il avait été écrit sur un blog ou imprimé sur Amazon, il aurait subi vingt révisions le premier mois. En 2010, j’ai publié « Un monstre » aux Éditions de Ta Mère, or j’avais écrit ce petit roman en 2008. Deux ans, c’est trop long au XXIe siècle ! ».
« Je ne suis pas un bon produit pour une maison d’édition »
Lorsqu’enfin nous désirons savoir s’il estime avoir ou non raté sa « carrière littéraire », l’auteur n’esquive pas. « Je suis un écrivain raté, oui ; dit-t-il. Dans ce qu’un écrivain est et doit être : mondain, célèbre, vendeur ; oui. Je ne suis pas un bon produit pour une maison d’édition ». Mais il nuance cependant : s’il a échoué à devenir médiatique, il n’a pas échoué dans l’absolu. « Un échec, assène-t-il, c’est travailler jusqu’à la retraite, tous les jours, huit heures par jour, dans une branche qui ne nous plait pas. Et ce n’est pas mon cas ». Avant d’abandonner Christophe Géradon à ses claviers, nous lui demandons s’il est une question à laquelle il souhaite répondre, une question que nous n’aurions pas posée et qu’il faudrait poser à tout prix et sa réponse est celle-ci : « Êtes-vous heureux ? Ma réponse est : oui ».