Ce que signifie un prix Pulitzer pour Kendrick Lamar

Kendrick Lamar, aux Grammys 2018. | © AFP PHOTO / Timothy A. CLARY
C’est une récompense historique. Kendrick Lamar est le premier rappeur à remporter le prix Pulitzer dans la catégorie musique, habituellement décerné aux artistes de musiques classiques ou de jazz.
DAMN, Kendrick Lamar a encore frappé. Le rappeur américain a été récompensé ce lundi 16 avril par le prestigieux prix Pulitzer dans la catégorie musique pour son album DAMN. Une première pour un artiste hip-hop et plus largement pour la musique populaire moderne. Il ajoute cette nouvelle reconnaissance aux 12 Grammy Awards déjà remportés, dont 5 pour DAMN. lors de la dernière cérémonie.
Victoire pour la musique moderne
Si le prix Pulitzer a été créé en 1917, la catégorie musique est elle apparue en 1943. Et depuis lors, elle a été systématiquement attribuée à des oeuvres de musique classique jusqu’au sacre du musicien et compositeur de jazz Wynton Marsalis, en 1997. Dès l’année suivante, le conseil d’administration du prix Pulitzer a décidé d’assouplir les critères afin de favoriser la diversité des oeuvres éligibles. Il a de nouveau élargi le spectre en 2004, ce qui a permis au saxophoniste Ornette Coleman de l’emporter en 2007. Malgré ces réformes, le prix Pulitzer est resté réservé à l’univers classique et jazz.
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Au-delà du rap, c’est toute la musique moderne populaire qui crie victoire grâce à cette rupture culturelle majeure. Le conseil du Pulitzer a désigné Kendrick Lamar sur la base de son dernier album, « une collection de morceaux plein de virtuosité, unifiée par l’authenticité de sa langue et une dynamique rythmique qui proposent des photos marquantes, capturant la complexité de la vie moderne des Afro-Américains ».
Rappeur politique
Originaire du quartier déshérité de Compton à Los Angeles, l’artiste est considéré comme un rappeur politique, évoquant régulièrement des sujets de société dans ses titres. « Alright », issu de son album précédent To Pimp a Butterfly, est devenu un cri de ralliement des manifestants aux États-Unis, voire l’hymne non-officiel du mouvement protestataire Black Lives Matter qui dénonce les violences policières contre les Noirs. Ses choeurs « Nigga, We’re gonna be alright » (« Nigga, ça va aller ») sont une sorte de « réconfort que les gens de couleur et d’autres communautés opprimées ont désespérément besoin : l’espoir – le sentiment – que malgré les tensions de plus en plus graves dans ce pays, à long terme, tout ira bien », analysait Slate en 2015.
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Trois ans plus tard, les tensions raciales sont toujours bien présentes aux États-Unis, alors que Stephon Clark, un jeune homme de 22 ans, a été abattu fin mars de 20 balles dans le dos par la police, alors qu’il était « armé » d’un téléphone. Cette histoire tragique n’est pas unique dans un pays où les tensions actuelles entre policiers blancs et la communuaté afro-américaine rappellent amèrement les émeutes meurtrières de 1992.
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Histoires personnelles
Dans DAMN, Kendrick Lamar parle à nouveau de la condition des Noirs aux États-Unis et critique les violences policières. Ses morceaux « Fear » et « XXX » avec U2 en sont d’ailleurs les portes-drapeaux. Mais ce dernier album est surtout très personnel. Si Kendrick Lamar y évoque notamment les conséquences de sa célébrité nouvelle sur son existence, son morceau « Duckworth », qui se révèle être son nom de famille, raconte l’histoire vraie qui relie son propre père et le créateur de son label TDE, Anthony « Top Dawg » Tiffith. Alors que le père de Kendrick travaille au KFC, Anthony, qui fuyait les policiers, fait irruption dans le fast food avec l’intention de le braquer. « Ducky était au courant, ils avaient volé le manager et tiré sur un client l’an dernier », raconte le rappeur de Compton dans le morceau. Si le futur boss de TDE n’avait pas épargné le père de son protégé, leurs histoires respectives auraient pu être bien différentes.
« Fais attention car cette décision a changé deux vies. On inverse le cours des choses, une malédiction à la fois. Ça c’est transformé en bon Karma, je vais te dire pourquoi. Prends deux étrangers et mets les dans deux situations compliquées. Donne leur une âme pour qu’ils puissent faire leurs propres choix et vivre avec. 20 ans plus tard ces étrangers pourraient à nouveau se rencontrer dans un studio en train de récolter les bénéfices. Puis ils se rappelleront de cet incident au KFC », raconte Kendrick Lamar dans « Duckworth ».
(Avec Belga)