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Maurane, fêtarde assumée : « Je ne peux pas vivre sérieusement »

Maurane

La chanteuse s'était livrée dans un entretien au long cours où elle parlait notamment de Lara Fabian. | © BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE

Musique

En 2003 Maurane nous accordait un entretien au long cours. Elle s’y révélait entière, vulnérable et cash. À son image.

Elle apparaît dans le bar de l’hôtel Manos à Bruxelles. Petite, elle porte un tailleur kimono noir. Un presque uniforme. Elle a le teint laiteux, « fraîche et dispose », dit-elle. En même temps, elle semble un peu lasse. Une forme de nonchalance bon enfant. Mais ne pas s’y tromper, sous des allures débonnaires, cool, la Maurane bluesy, la fêtarde assumée est plus active qu’il n’y paraît. Elle commande un thé au citron, avec du miel. Pour la voix ? « Non, par goût. Je suis une oursonne. » Elle aime aussi le saké qui accompagne un bon sushi pour causer en « mémères » avec son amie Lara Fabian dont elle salue l’ambition à l’américaine.

Maurane parle de son propre tempérament passionné, parfois exclusif. La douleur de liens trop serrés. Il y a eu la disparition de son père. Des années de thérapie pour toucher le bonheur, vers la quarantaine. Un labeur teinté de carpe diem, « à la wallonne », avec neuf heures de sommeil. Il faut aussi, souligne cette angoissée qui manie le paradoxe, que tout soit symbole d’amusement.

Vous avez souvent travaillé avec des amis. Il y a parfois des ruptures dans vos collaborations mais les piliers sont récurrents.

Maurane. Il y a des gens avec qui je travaille depuis très longtemps et des gens avec qui j’avais travaillé il y a très longtemps et qui reviennent. Ce sont des équipes gagnantes il n’y a aucune raison qu’elles s’arrêtent. Quand j’aime quelqu’un c’est pour la vie et je pense que les gens me le rendent bien quelque part même si de temps en temps il y a des circonstances dans la vie qui font qu’à un moment donné on se sépare pour telle ou telle raison.

Ça vous est arrivé comme ça de regretter des séparations professionnelles et amicales ?

Oui mais en même temps, je suis de moins en moins inquiète car je pense que les gens que l’on aime profondément, on fini toujours par les retrouver. Admettons que je me sois disputée, ce qui arrive de temps en temps car je suis quelqu’un d’assez passionné et j’ai des rapports assez passionnels avec les gens, il y a toujours des moments où on se retrouve. Même si, comme par hasard j’attire aussi un peu les relations fusionnelles donc ce n’est pas toujours évident à vivre. Mais avec les années, on s’adoucit. De leur côté, les gens que l’on a connus essayent d’arrondir un peu les angles il y un moment où l’on se retrouve, plus calmement, plus sereinement. Et c’est bien.

Vous mêlez souvent travail et famille. Enfin, vos collègues ou collaborateurs doivent être des potes. Vous n’essayez jamais de scinder les choses ?

Je suis quelqu’un de très affectif de toute façon. Ça m’a joué des tours, ça m’a ouvert des portes, c’est toujours à double tranchant. Parce que je me rends compte quand on a une relation trop affective avec les gens avec qui on travaille, on se permet de part et d’autre des choses que l’on ne se permettrait peut-être pas si on était moins proche, si on avait uniquement des relations professionnelles. Maintenant chaque fois que je décide d’être plus distante ou de mettre un peu des réserves, des barrières, je n’y arrive pas. Je me dis que cela fait définitivement partie de ma nature.

Il ne vous est donc jamais arrivé de travailler avec des personnes exclusivement pour leurs qualités professionnelles ?

Non, je n’ai jamais bossé avec des personnes que je détestais ou même que je n’appréciais simplement pas sur le plan humain. Je fais un métier artistique où la sensibilité est fondatrice. Je pense avoir fait de très belles rencontres humaines, pas toujours faciles mais très belles.

Parmi ces proches avec qui vous avez collaboré, il y a entre autres Jean-Jacques Goldman, Stephan Eicher, Véronique Sanson, Lara Fabian bien sûr…

Goldman, c’est une vieille histoire, on se connaît depuis les années 80, on s’est toujours estimé et on a toujours eu des rapports assez respectueux et pudiques, comme si on craignait de se déranger l’un l’autre. On s’est rencontrés aux Restos du cœur. Au début on marchait sur des œufs. On a des formations différentes, des parcours différents, on a pas les mêmes goûts forcément, et moi il y a des chansons de lui que je n’aime pas et il y a des chansons de moi qu’il déteste. On en rit d’ailleurs quand on en parle. Il n’aime pas le jazz, ça l’enquiquine. Et moi dans la pop, il y a des trucs qui me cassent les pieds. Mais on savait qu’il y avait quelque chose de sympathique de fort et de temps en temps il venait voir mes spectacles je ne savais même pas qu’il était dans la salle et je trouvais un petit mot, un bouquet de fleurs. Il se manifestait de façon très élégante. On avait parlé de travailler ensemble, on avait évoqué le sujet plusieurs fois et puis bon cela n’avait pas abouti, pourquoi ? Je l’ignore. Son succès avec Céline Dion a été très prenant, ça n’arrêtait pas pour lui donc je n’ai pas voulu le déranger. Et puis là, on a pu enfin collaborer.

Votre voix, vous l’entretenez quand même ?

Pas assez, quand je vois comment travaille Lara (Fabian)… C’est une bête de travail, elle fait une heure trente de vocalises par jour. Elle suit des cours de chant à peu près quatre fois par semaine, et moi je fais absolument rien de tout ça.

Vous mettez ça sur le compte de quoi ?

De la paresse.

On travaille plus au Canada ou c’est un mythe ?

Lara, elle travaille plus à l’américaine, c’est vrai. Elle est disciplinée comme une Nord-Américaine, moi je n’ai pas du tout ce côté-là, moi je suis une vrai francophile, latine. Pourtant elle est latine aussi. Elle a une façon beaucoup plus pro de bûcher que moi. Moi, je fais ça un peu à la wallonne ! Je bosse comme une bonne vivante, il faut que tout soit symbole d’amusement, parce que sinon ce n’est pas possible.

Vous auriez aimé avoir une carrière plus internationale ?

Beaucoup de gens m’ont m’ont dit que je devrais y travailler plus. Mais vous imaginez, passer ma vie entre deux avions, ne plus pouvoir faire mes courses, ne plus pouvoir dormir autant que j’en ai envie et besoin ? Jamais.

Vous reconnaissez sans problème ce manque d’ambition « géographique ».

Je ne pense pas que cela soit remarquable, moi je ça normal au contraire. Avec Lara, on a plein de points communs, c’est aussi quelqu’un qui aime lire, cuisiner et bouffer, mais sur ce plan on est vraiment opposées. J’ai l’impression qu’elle n’a jamais assez de reconnaissance, dans ses ambitions américaines ou autres, on a parfois le sentiment qu’elle n’en a jamais suffisamment fait. C’est vraiment une obsession chez elle, cela me fascine, c’est tellement à l’opposé de la façon dont je vis et dont je ressent les choses. Moi j’ai l’impression d’en avoir toujours fait trop ! Quand je regarde ma carrière entre guillemets, quand je vois le nombre de trucs que j’ai faits, je me dis que c’est quand même hallucinant parce que moi j’ai l’impression d’y être allée tranquille quoi !

Vous dites en même temps être d’un naturel angoissé.

Je n’en ai par l’air comme ça mais j’ai une nature anxieuse, c’est vrai. Un peu noire, un peu stressée à mes heures. Donc si en plus, je me discipline au point d’avoir une vie réglée comme du papier à musique où l’on travaille de 7 heures du matin à 10 heures du soir, moi je pète les plombs, je deviens folle. Je ne peux pas, j’ai besoin d’air, j’ai besoin de me promener. J’ai besoin de voir des amis, de boire un coup de temps en temps.

Les paradis plutôt artificiels, l’alcool en l’occurrence, c’est nécessaire pour produire et tenir ?

Les tournées pour moi se traduisent par une vie assez monacale. Je ne peux pas faire la fête quand je passe deux heures sur scène. En tournée, je suis assez sérieuse, je ne bois pas de vin, sauf quand j’ai des jours off. Et à l’exception du dernier jour de tournée, quand je sais que le lendemain, il y a une plage. Là je peux griller deux paquets de cigarettes, moi qui ne fume pas et ne supporte pas la fumée ! J’ai une réaction complètement extrême, il faut vraiment que je me défoule, je ne m’endors pas avant 9 heures du matin. Je m’organise toujours pour que ce dernier jour de tournée soit vraiment un jour de fête et de libération sinon ça ne va pas. Je ne peux pas vivre sérieusement. Je ne suis pas attirée par les alcools très forts, par contre j’adore le vin et le champagne et là aussi quand je me lâche, ce n’est pas à moitié. Mais ce n’est pas tous les jours, je ne suis pas complètement alcoolique.

Vous avez le teint frais, c’est donc celui d’une ascète à temps partiel ?

Je suis obligée de dormir beaucoup, minimum neuf heures de sommeil par nuit. Il m’arrive souvent de ne pas les avoir mais j’essaye au maximum de préserver ça, même si je me couche tard. Si je n’ai pas mes heures de sommeil, je ne peux pas fonctionner. Je suis très insomniaque en plus, ce qui n’aide pas. Donc je dors beaucoup.

Ce n’est pas si éloigné de ce que préconisent vos consœurs d’outre-Atlantique…

Je ne sais pas. Lara me fait rire en même temps, il y a un truc qui me fait plaisir chez elle c’est qu’elle a de moins en moins peur de sa faiblesse, de sa fragilité. Et, la connaissant assez bien, je trouve que c’est aussi ce qui fait son charme. On passe nos vies au régime et on n’arrête pas de parler de gratins, de desserts… Mais vraiment, on ne pense qu’à bouffer ! Alors quelquefois nos discussions se passent autour d’une bouteille d’eau et de dix kiwis coupés en morceaux. Parfois c’est un autre scénario. Elle m’a emmenée souvent dans un restaurant de sushi à Montréal, vous me direz : les sushi c’est pas ce qu’il y a de pire mais quand on se lâche sur les sushi, avec le saké bien évidemment, ce n’est pas triste ! Elle est beaucoup à New-York, à Miami, elle passe sa vie entre deux avions mais quand on peut, on casse la croûte ensemble comme deux mémères et on se parle de nos vies. Car Lara, c’est une mamma ! Elle aime les enfants, elle est faite pour une vie de famille. Parfois elle me rend folle avec ses ambitions, je voudrais qu’elle ait l’ambition de penser à elle, ce serait bien. J’en ai ras-le-bol qu’on la critique gratuitement. Elle n’était pas sûre d’elle et elle en a fait des tonnes. Alors que c’est vraiment une fille magnifique. Elle a envie d’être moins dans la performance, plus dans l’humain.

Vous dites avoir été traitée de noms d’oiseaux quand vous aviez annoncé votre duo avec elle.

Pour les gens c’était inconcevable. Sur mon site je me suis fais insulter. Il y a quelqu’un qui avait écrit cette phrase qui m’a frappée : « Tu auras mis quinze ans à me décevoir ». C’est affreux mais les gens l’injuriaient, ils ont dit les pires choses. Jusqu’au moment où tout à coup, on a sorti la chanson. Là, sur le site, c’était fini les insultes. Les messages de haine ce sont transformés en messages de respect.

Vous n’êtes pas hyper fan de pop, quid des autres genres, rock, hip hop, R’n’B ?

En rap il y a Claude, MC Solaar que j’aime beaucoup. En rhythm’n’blues, il y a plein de chose que j’adore. Et puis je voudrais chanter avec Sting ou avec Peter Gabriel. Voire Barbra Streisand… S’ils sont d’accord je suis partante ! J’aimerais beaucoup faire un duo aussi avec Vanessa Paradis, j’aime bien Vanessa.

D’autres projets non assouvis dans d’autres sphères ?

La musique de film ça me dirait. Ce qui me plairait beaucoup aussi – mais je pense que je ne suis absolument pas prête -, c’est d’écrire un bouquin. Dans un premier temps ce serait plutôt des nouvelles, j’adorerais raconter des histoires courtes et un peu folles. Peut-être des récits pour enfants. J’ai rédigé quelques pages mais je me tâte encore.

Schaerbeek c’est toujours votre commune fétiche. Bruxelles, capitale de l’Europe, vous la voyez comment ?

J’aime son côté de plus en plus cosmopolite. On entend parler toutes les langues à tous les coins de rue. En même temps, l’immobilier est de plus en plus cher, les maisons de moins en moins accessibles et ça c’est moins emballant. Mais Bruxelles pour moi c’est un havre, c’est vraiment la ville où je me retrouve, où j’élève ma fille. Il y a beaucoup d’espaces verts, il y a la forêt de Soignes, tout ça me plaît. Maintenant, s’ils pouvaient un peu boucher les trous dans les rues et se mettre d’accord pour ne pas tous lancer des travaux au même moment, s’ils pouvaient aussi prendre soin des parcs et veiller à la saleté, ça ne serait pas plus mal ! Quand je vois des gens jeter des papiers gras ou des canettes de bière, ça me rend malade. Et il y a trop d’avions qui volent au-dessus de Bruxelles. Ça fait tellement de bruit que j’ai l’impression qu’ils vont atterrir dans ma rue. C’est affreux. La sauvegarde de l’environnement, c’est une prise de conscience perso qui devrait se généraliser et s’appliquer à tous les niveaux.

Vous verriez quoi, un encouragement au civisme plus à l’anglo-saxonne, avec des pénalités plus importantes ?

En même temps je n’aime pas trop ce qui est strict donc comment conscientiser les gens sans être strict ? Comment leur faire comprendre qu’il faut préserver cette ville, quand je dis cette ville je pense à la planète en général, sans avoir l’impression de faire de la dictature ? Je ne sais pas comment aborder ça mais ça doit se jouer dans la nuance et c’est le rôle des politiques. Mais malgré tous les reproches que je peux faire à Bruxelles, je m’y sens toujours bien, très bien, j’ai toujours envie d’y revenir. Je respire ici, quoi, vraiment ! Malgré les avions, leur boucan et leur kérosène.

Que souhaitez-vous pour votre fille (elle a 9 ans lors de notre entretien. NDLR) en priorité ? Une éducation polyglotte, un cadre plus paisible ?

Qu’elle s’épanouisse, qu’elle soit heureuse dans les domaines qui lui conviennent. Elle est déjà très consciente des dangers que l’on court, comme l’écologie et je pense que dans les écoles, en tous les cas dans la sienne, certains profs mettent beaucoup l’accent là-dessus. J’espère évidemment qu’elle ne devra pas vivre avec un masque à gaz, qu’elle accouchera d’enfants sains. A un moment donné, les femmes et les hommes utiliseront leur énergie d’une autre façon. Parce que de toute manière on va y être obligé sinon on court à la catastrophe.

Quant au côté polyglotte, je voudrais déjà qu’elle parle espagnol vu que son père, qui habite à Paris, est espagnol. Il me dit toujours : « Dis donc tu as vécu cinq ans avec un Espagnol, et t’as même pas été foutue de parler ma langue ! », ce qui est vrai. Il faut vraiment que je parle cette langue. On est restés très amis. Bref ce serait bien que notre fille parle espagnol. Sinon elle adore les cours de flamand à l’école, elle joue au basket, au judo, elle apprend le piano. Chaque chose en son temps.

Quid de l’anglais, vous vous débrouillez ?

Moi je parle anglais comme une vache espagnole. Je n’ai pas de problème d’accent mais quand je chante en anglais, j’ai l’impression d’imiter quelqu’un, et de le faire très mal. Pour moi une langue c’est une identité. C’est bizarre mais quand je chante en espagnol, même si je ne le parle pas, j’ai beaucoup plus l’impression de me retrouver. Probablement parce que c’est une langue latine. Et j’ai beaucoup moins l’impression de tricher que quand je chante en anglais.

Qu’est-ce que vous aimez le moins dans le métier ?

L’hypocrisie, on nage dedans. Mais ce n’est pas seulement dans ce domaine, c’est un peu partout. On a peur de dire les choses, soi-disant pour se ménager mais aussi parce qu‘il y a énormément de putes dans ce boulot. On l’est tous un peu, ne fût-ce que quand on se lâche en privé, devant la télé par exemple. Moi je suis redoutable quand je regarde la télé ! C’est vraiment la boîte-défouloir.

Vous avez regretté parfois de vous être défoulée dans certains commentaires ?

Je ne suis vraiment pas diplomate. J’ai opté pour une certaine forme de sincérité qui ma foi est perçue comme étant très crue et difficile à vivre mais bon on ne se refait pas.

L’ensemble du dossier sur la disparition de Maurane est à lire dans Paris Match vendredi 11 mai.

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