Les liaisons jazzeuses : Rencontre père-fils entre Steve et Greg Houben

À gauche le père Steve, à droite le fils Greg. | © Etienne Plumer
Steve Houben est un jazzman de renommée mondiale. Son fils Greg a d’abord rejeté la musique « pour pas faire comme papa ». Après avoir exploré les mots, il y est pourtant revenu. Avec talent et différence. Son album sort dans quelques jours.
L’album de Greg Houben Un Belge à Rio, chanson française dopée de chaleur brésilienne et d’accents groovy sort ce 23 mai. Ce travail lui a permis de tracer sa propre route de musicien de jazz et de se distinguer de l’influence paternelle. Un « meurtre du père » musical, symbolique et assumé qui permettra bientôt au père et au fils de se retrouver côte-à-côte sur scène. On les a rencontré pour en discuter. On pensait faire une interview croisée, on a assisté à une touchante discussion entre un fils et son père.
Paris Match : D’abord cette simple question : pourquoi avoir choisi la musique?
Steve Houben : J’ai l’habitude de dire que la musique permet de tout dire sans rien expliquer.
Greg Houben : Moi je n’ai jamais pu me passer de musique. C’est ce qui me fait le plus rire, pleurer, jouir. J’ai essayé de m’en éloigner parce que je voulais pas « faire comme papa ». Il voulait toujours me faire jouer et moi j’ai toujours voulu arrêter. Quand je suis parti au Brésil (Greg y a fait un long voyage après sa rhéto, ndlr), je me suis rendu compte qu’il fallait que j’arrête de nier : la musique faisait partie de moi.
Mais vous avez tous les deux commencé vos parcours artistiques par les mots.
S.H. Effectivement. Jeune, je me suis inscrit aux cours de déclamation et d’art dramatique du Conservatoire de Verviers.
G.H. Moi aussi… Et je suis acteur, par ailleurs (il tourne dans plusieurs spectacles mêlant entre autre musique et théâtre, ndlr).
S.H. Mais la musique c’est le son. Elle vient de loin. Les hommes des cavernes entendaient déjà le son qui signalaient le danger.
G.H. Donc tu penses que la sensibilité à la musique est un sens plus important que les autres ?
S.H. Oui ! La parole fait intervenir l’intellect, la musique, l’instinct.
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G.H. En même temps, ma mère est programmatrice de théâtre, j’ai l’amour des mots. J’y reviens avec cet album. J’avais arrêté le théâtre parce que j’avais peur du trou de mémoire. Avec la musique pas : on a le droit d’avoir des partitions, il y a l’improvisation. Puis tout le monde sait parler, et je voulais apprendre un autre langage. Et quand j’étais petit, tu me disais « tu verras, l’instrument, c’est bien, même si tu n’en fais pas ton métier. On s’amuse avec les copains. »
S.H. Et à cette époque, tu as choisi le piano, puis l’accordéon. Pour réveiller tout le monde au Conservatoire, tu jouais dans les escaliers. Puis tu as choisi la trompette.
G.H. Puis j’ai abandonné la musique. Tu te rappelles de ce jour où je t’ai dit « mais tu m’emmerdes avec ta musique ! »?
S.H. Oui, vers quatorze ans tu m’as dit « Je dois te parler ». Je t’ai répondu « parle ». Tu m’as dit « pas ici ». Tu avais déjà l’amour de la mise en scène… Tu m’as dit « je ne veux pas faire comme toi ». On pense directement au meurtre du père. Tu me l’as dit gentiment, mais le message était clair.
G.H. J’ai commencé à faire du théâtre mais je chantais constamment. Je connaissais tous les solos de Chet (Baker, ndlr) et de Miles Davis. L’instinct pour la musique était plus fort que celui pour le théâtre. Alors je suis revenu à la trompette. Un instrument qui se rapproche le plus de la voix humaine. Les lèvres qui vibrent sur l’embouchure, c’est comme les cordes vocales. Puis… je ne sais pas si je peux dire ça… mais quand tu es parti de la maison, tu a repris tous tes disques de saxophonistes, ne restaient que ceux des trompettistes. Je les mettais sur la platine, et je jouais.
Vous, Steve, comment avez-vous choisi votre instrument ?
S.H. Ma mère jouait du piano. Jeune, j’adorais cet instrument. Mais je ne voulais pas faire comme elle.
G.H. On a le même côté rebelle toi et moi !
S.H. Oui ! Ma mère voulait que je prenne des cours d’harmonie au Conservatoire et j’ai préféré prendre des cours d’art dramatique. À onze ans mon père, qui jouait de la clarinette, m’a offert une flûte traversière.
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G.H. Tu vois, c’est dingue comme les héritage nous conditionnent. Enfant, je ne me rendais pas compte. Être ton fils me permettait d’avoir un coca gratuit au bar lors des concerts. Après je suis devenu ado et j’ai commencé à t’idolâtrer. C’était une image et un but d’excellence à atteindre. Je ne pouvais pas me permettre la bassesse.
S.H. La bassesse, comme tu y vas…
G.H. C’est ce que je ressentais. Je ne pouvais pas me rater. Puis j’ai commencé à faire le même type de carrière que toi et je me suis rendu compte des peurs et des doutes que tu avais sans doute traversé. La relation a alors commencé à être d’égal à égal.
S.H. On voit mieux ses failles de l’extérieur que de l’intérieur: tu vois mieux les miennes que je ne les vois. Ce miroir m’a aidé.
G.H. Moi j’ai pu voir que tu n’étais pas le bloc imprenable que j’imaginais… En fait, on est fait du même bois.
S.H. Ce qui est exceptionnel, c’est qu’on puisse aujourd’hui emboîter nos deux carrières.
G.H. Oui, c’est vrai on prépare un petit quelque choses ensemble pour bientôt. ça s’appellera Houben & Son. « &Son », pour le côté artisanal, de père en fils…
S.H. Evidemment, il y a eu des moments de frottements, mais au final ça marche étonnamment bien.
G.H. Ce qui a été difficile, c’est que tu avais peur de me faire de l’ombre et que je ne me sentais pas à la hauteur. Alors, tu m’as laissé le gouvernail, ce qui ne m’arrangeait pas toujours. Aujourd’hui, je peux dire que je me sens plus libre par rapport à toi. Je peux revenir au jazz avec un autre éclairage. Ce disque, faire du théâtre, ça représente sans doute le meurtre du père.
S.H. En réalité, on trébuche sans cesse sur le passé, mais de trébuchement en trébuchement on se construit.
G.H. C’est marrant, ça me fait penser à mon fils, Nino, qui construit sa tour en bois juste pour le plaisir de la casser. Nino, je ne le force à rien par rapport à la musique. Il tâte un peu. Il y a des instruments partout chez nous, il a sa trompette, sa guitare, des musiciens passent à la maison (Greg possède un lieu à vocation culturelle, salle de spectacle et lieu de répétition, à Liège, ndlr). Sa maman est chanteuse. Il peut tout essayer. Quand il se met au piano, je lui explique les notes. Et je vois une évolution. Ce matin, par exemple, il a joué « do ré mi fa sol » tout doucement, alors que d’habitude il frappe fort sur les notes. C’était parce qu’il avait vu les Aristochats hier. Je le sens de plus en plus calme, il commence à comprendre où est le bienfait de la musique, je crois.
L’album Un Belge à Rio sortira le 23 mai. Greg Houben sera ensuite en concert le 24 mai au Reflekor (Liège) et le 25 mai au Botanique (Bruxelles). Le premier concert Houben & Son aura lui lieu le 8 septembre au Marni (Bruxelles). Steve Houben se produira avec la soprano Julie Mossay et l’Ochestre royal de Chambre de Wallonie dirigé par Frank Braley e 23 mai à Mons, salle ARSONIC et le 22 juin à L’Abbaye du Val Dieu.