Joy Wellboy, deux Flamands à Berlin : « Musicalement, on peut se permettre beaucoup en français »
Ils sont néerlandophones, l’un Flamand et l’autre Bruxellois, vivent à Berlin et ont écrit un album en français. Schizophrène, le duo Joy Wellboy ? Mise au point.
Replié dans un coin du magasin de vinyle, difficile de ne pas être hypnotisé par le ballet qui s’y joue. Elle et son énergie décomplexée, débordante, bouillonnante, aggripe une pochette, fait la moue, s’exclame et déclame, la repose, la rattrape. Lui se cache derrière ses lunettes de soleil, grand échalas mystérieux à la voix grave et calme, tout en mesure. Joy Adegoke et Wim Janssens, miroirs inversés. Joy Wellboy, c’est une danse à deux, sans aucun doute.
Au-delà de la chorégraphie des corps, « La musique, on ne l’a pas beaucoup étudiée », confie la moitié féminine du duo flamand, désormais installé à Berlin. « C’est quelque chose qui nous rassemble », ajoute-t-elle, en référence à ce couple à la scène comme à la ville, qu’elle forme avec Wim. Le point de départ d’un style qui parvient facilement à subjuguer : une pop instrumentale froide à l’esthétique allemande, alliée à une chaleur vocale sans conteste. Leur patte s’est concrétisée dernièrement sur Les pieds dans la merde, la tête dans les étoiles, leur dernier album, pourtant à des années-lumière de leur zone de confort. Pour la première fois, Joy Wellboy a délaissé sa verve anglophone langoureuse pour des textes en français.
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Amours musicales
Avant sa rencontre avec lui, elle a posé sa voix pour quelques groupes et a été institutrice. « Je n’étais pas complète avant de rencontrer Wim. J’avais toujours l’impression que quelque chose clochait, que je n’arrivais pas à faire ce que je voulais faire », confie-t-elle, avant d’ajouter : « Pour moi, le groupe, c’est tout aujourd’hui. Tout ce qu’on vit, on le met dans la musique : notre couple, ce qui se passe autour de nous, notre vision… »

Ce qui ne les empêche pas d’aller voir ailleurs, musicalement. Comme cette collaboration qui les ramène à Bruxelles, pour le premier album du DJ bruxellois DC Salas. « Je ne travaille qu’avec des gens avec lesquels je le sens très fort. Pour DC Salas, je trouvais que sa musique était vraiment bonne, et j’avais envie de créer des morceaux pour lui », raconte Joy.
From Brussels to Berlin, en français
Mais d’ici quelques jours, le duo retournera à Berlin, leur foyer depuis quatre ans. « Je rêvais d’aller au Canada, mais j’étais persuadé qu’il nous fallait passer par Berlin d’abord », se souvient Wim Janssens. Ils s’y sont installés après la rencontre avec leur label, comme un ménage à trois équilibré. « Il y a tellement plus d’espace ! C’est une autre manière d’écrire des morceaux et de la musique », s’exclame Joy. Pourtant, Bruxelles leur manque « pour les copains ». Artistiquement, c’était aussi le début de tout – et un bon début : « Bruxelles est une bonne base pour devenir fort. Il faut beaucoup d’imagination pour grandir ici ».
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À Berlin, on a levé les sourcils à l’annonce de cet album en français. « C’était un risque », dit-elle, en français dans le texte – avec un accent flamand charmant. « Ma mère était avec un francophone, avec qui je ne m’entendais pas du tout. J’ai appris le français en me défendant contre lui – et il n’y a pas mieux pour apprendre une langue. Je trouve qu’en français, on sait dire des choses qu’on ne sait pas dire en anglais. Je pense qu’on avait en tête de faire un album en français, même si on ne savait pas où ni comment. Maintenant, c’était le bon moment ».
Pour Wim, qui tripote des guitares depuis près de trente ans, c’était surtout l’occasion d’écrire différement, même la musique. « J’ai toujours été jaloux de la richesse de cette musique, de cette chaleur, de ces vagues de son. Je me suis toujours sentie connecté avec cette vibe. Et je pense que c’était une bonne idée d’essayer d’introduire ça aussi dans notre musique : cet aspect new wave, mais avec de belles cordes, un beau son d’instruments… », décrypte l’artiste.
Se détacher aussi, un peu, de ce qui faisait leur recette. « J’aime l’idée qu’on ait différentes personnalités en nous, et qu’on les fasse ressortir quand on en a besoin. Tout le monde porte ça, mais il faut le reconnaitre et le développer. C’est beau d’être capable de revenir ou de dépasser ce point où l’on pense être soi-même », lâche-t-il philosophe et serein, d’une traite.
Plus loin que la nuit et le jour
Adopter le temps d’un article ou d’un projet une autre personnalité, ça ne veut pas pour autant dire perdre la sienne. Pour preuve, le morceau emblématique des Pieds dans la merde, la tête dans les étoiles, la reprise de « Voyage voyage » de Desireless. « Il n’y a pas de morceau que j’aime plus que ‘Voyage Voyage’. Je me sens tellement connectée à ce texte ! », explique Joy. « Mais on voulait rendre l’opposé de l’ambiance de cette chanson« . En résulte un nouvel hymne mélancolique, deux ou trois fois plus lent que l’original.
« Musicalement, on peut se permettre beaucoup en français ! Mais c’est aussi poser un acte, que de faire un album comme ça, parce que l’anglais a tellement un monopole sur tout… », ajoute Joy. Un véritable risque, saisi à pleines mains, avec le naturel et la légèreté qui les caractérise. « On ne fait que ce qu’on a envie. C’est aussi la raison pour laquelle on est toujours ensemble avec Wim, la raison pour laquelle on continue de faire de la musique : on ne se pose pas trop de questions et on fait ce qu’on sent. On ne choisit jamais le chemin facile. Le seul critère dans la vie, c’est de faire ce qu’on aime tous les deux ».
Merci au Beursschouwburg et Caroline Music.