Sofiane Pamart, l’empathie du pianiste : « J’ai trop d’amour pour les gens »

Grâce, tendresse et volupté. | © Romain Garcin.
Il n’en finit plus de donner au piano la place qu’il mérite. Pianiste des rappeurs, virtuose en solo, cumulant des millions de streams, Sofiane Pamart semble inarrêtable et fait l’unanimité. Il sortait en février son second album studio, Letter, et nous a fait l’honneur d’un entretien fleuve.
Il sera en novembre prochain le premier pianiste à donner un concert à l’Accor-Arena Paris Bercy, fait partie des dix artistes classiques les plus écoutés au monde et bouscule les codes avec une force de vivre réjouissante. Sofiane Pamart est arrivé dans le paysage musical sans prévenir, en alliant son piano avec le flow des rappeurs Scylla, Kery James, Grand Corps Malade, Vald, SCH ou encore JoeyStarr. Un mariage improbable qui l’a propulsé sur le devant de la scène, avant de tutoyer les sommets avec Planet, son délicieux premier album solo sorti en 2019. Son retour au classique se confirme avec Letter, deuxième opus travaillé pendant le premier confinement et ode à son public, au voyage et à la simplicité. L’homme de 32 ans se livre à nous vêtu de son kimono coloré, lunettes fumées sur le nez, regard bienveillant et attendrissant.
Paris Match Belgique. Letter, ton dernier album, c’est avant tout une lettre d’amour à ton public, comme énoncé avec les titres de l’album qui forment une jolie déclaration. Pourquoi cette adresse à ton public ?
Sofiane Pamart. Tout simplement parce que c’est le public qui me fait vivre ! C’est lui qui décide de dire « C’est lui mon héros, c’est lui que je décide de suivre ». C’est le public qui permet aux artistes de poursuivre leur aventure. Avant mon premier album, Planet, j’avais tout à prouver, et après celui-ci j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui ont fait entrer ma musique dans leur vie, et qui ont changé la mienne. Ma manière de rêver s’est modifiée. Et là, depuis que le deuxième album est sorti, je suis hyper touché car l’accueil est encore plus démentiel que ce que j’imaginais. On a rempli des salles, on a rajouté des dates et maintenant on est en train de remplir une Accor-Arena. C’était la moindre des choses de remercier mon public, non ?
Quand tu dis « Your love saved me from solitude », référence au confinement, c’est quelque chose de très fort. La solitude, c’est un état qui te fait peur ?
Ouais, grave. C’est un truc que j’aime et qui me fait peur. La solitude elle m’attire, elle m’enivre. Les plus grands voyages, c’est ceux qu’on fait seul, avec nous-même. Mais par contre, c’est aussi un état qui crée des situations de détresse et dans lequel on ne peut pas être totalement épanoui. La solitude, c’est un voyage qu’on fait pour découvrir de grandes choses. Mais après, ces découvertes elles sont faites pour être partagées avec les autres. Mon processus, il fonctionne comme ça : d’abord une spirale de solitude avec mon piano, puis le partage avec le public qui me tire de ça.
On ressent énormément de tendresse dans ta musique. Elle vient d’où toute cette douceur que tu as en toi ?
(rires) D’abord j’ai trop d’empathie pour les gens, trop d’amour, c’est un truc de fou. Je nous trouve, nous les êtres humains, trop touchants. On sait qu’on va mourir, et on dépense tellement d’énergie à se battre pour plein de trucs, c’est super beau. On doit tous surmonter des épreuves, qu’elles soient financières, sentimentales ou autres, et on se bat comme des dingues. Donc c’est normal à mes yeux d’aimer les autres. Même les méchants dans les films, les anti-héros, j’ai énormément d’affection pour eux.
L’album tu l’as composé en Asie, et le voyage semble être comme un fil rouge dans ton projet solo, que ce soit avec Letter ou Planet. S’évader de chez soi, partir découvrir, pourquoi c’est primordial pour toi ?
Parce que c’est ce qui me met dans l’état d’émerveillement le plus intense. Cet état, pour qu’il garde sa force, j’ai besoin de le booster en bougeant. La routine, c’est pas pour moi, j’ai besoin de créer des ruptures. Pas forcément des voyages. Même une fête ou une nuit blanche, c’est une rupture. Stopper la monotonie, c’est primordial pour moi. Depuis que je suis petit, j’ai toujours voyagé avec mon imagination ou avec mon piano, à découvrir des terres imaginaires. Le mouvement, c’est ça qui m’aide dans mon processus de création, et c’est ce qui est à la base de la musique. Le mouvement de valse ou de tango par exemple. La vie c’est une danse au final, et c’est ça que j’essaie de raconter avec ma musique.
De Vinci disait « La simplicité est la sophistication suprême ». C’est une maxime qui te va bien non ?
C’est une maxime à laquelle j’essaie de me tenir, oui. Chopin il a aussi dit ça à sa manière : « La simplicité est la réussite absolue ». Les émotions les plus belles par exemple, ce sont celles des enfants, les plus pures, les plus simples. C’est dans la simplicité qu’on vit le plus.
Tu dis du piano qu’il est un instrument très sauvage. Tu peux m’expliquer pourquoi ?
Je visualise mon instrument comme un animal indomptable, comme un jaguar, une panthère. Pourquoi indomptable ? Parce que peu importe à quel point je travaille mon instrument, il me renvoie tout le temps dans mes limites. Le piano me sert autant qu’il me renvoie à ce que je ne sais pas encore faire. Je peux parfois penser que je le maîtrise et paf, il va m’envoyer une petite surprise que je ne vais pas voir venir. De toute façon c’est ce qui me fait vivre, de me sentir en danger face à mon piano.
Tu ne caches pas ton désir d’être le meilleur et de vouloir tout casser, mais sans jamais tomber dans l’arrogance. Ce n’est pas quelque chose de typique en France, où l’ambition est parfois mal vue. Est-ce que parfois tu sens que ton ambition suscite des critiques ?
Je pensais qu’il y en aurait plus que ce que je vois. Je ressens pas tellement de critiques pour être honnête. J’aime bien me comparer aux sportifs de haut niveau qu’on encourage à être les meilleurs pour décrocher une médaille d’or. On veut tous atteindre la performance suprême. Cette vie, je l’assume et c’est la mienne. Dans mon public, j’ai beaucoup d’adolescents, et ils adorent cette ambition, ça les fait rêver.
J’aime les artistes qui ne font pas de concessions, qui y vont à fond dans leur délire.
Tu as sorti l’album Vivre avec le regretté Arno, patrimoine national en Belgique. C’était comment de travailler avec ce grand monsieur ?
C’était bouleversant. Arno c’était quelqu’un de très intègre, d’aligné, qui assumait la vie qu’il avait choisie, faite d’extrêmes et d’intensité. Même lorsqu’il souffrait, il ne regrettait rien dans la douleur. C’est un homme qui voulait vivre intensément et qui m’a donné une leçon formidable. À chaque fois que je pense à lui, je suis ému aux larmes, mais au final c’est tellement positif ce qu’il m’a transmis. Et si sa mort est arrivée bien trop tôt, elle amplifie encore plus les valeurs qu’il véhiculait. C’est pas quelqu’un qui faisait semblant, mais au contraire qui restait fidèle à lui-même quoiqu’il arrive.
Pour un novice du piano qui t’écoute et voudrait aller plus loin, tu recommanderais de commencer par quel maître classique ? Et pourquoi ?
Il y a un truc que j’aime bien faire sur les plateformes de streaming, c’est aller sur les profils des grands maîtres comme Mozart ou Chopin. Au passage c’est fou, ces mecs là ils ont plus de streams que les plus grandes stars de la pop ! Bref, tu vas sur leurs profils et tu prends tout simplement les morceaux qui ont le plus d’écoutes. Ce sont les tubes du classique et c’est pas pour rien. Le « Clair de lune » de Debussy, c’est une oeuvre hyper populaire, elle a un truc en plus. Donc pour s’initier, rien de tel que de commencer par là.
Au vu de ton parcours, on a envie de penser que la prochaine étape ce sont des collabs à l’international avec des grands noms anglo-saxons. Si tu pouvais choisir 2 artistes, qui prendrais-tu ?
Kendrick Lamar ! Je viens d’écouter son dernier album et le mouvement qu’il apporte c’est dingue, c’est une folie. Il faut absolument que je le décortique tellement c’est beau. Rosalía, elle est dans ma tête depuis très longtemps. Cette manière qu’elle a de mixer rap, flamenco, R&B, c’est dingue et hyper novateur. A$AP Rocky aussi je l’adore. Mais je suis très content aussi de travailler avec des artistes français hein ! Laylow par exemple, je suis tellement fier de bosser avec lui. Il a une patte bien à lui. J’aime les artistes qui ne font pas de concessions, qui y vont à fond dans leur délire. C’est avec ceux là que je veux bosser.
Tu es diplômé en droit économique et titulaire d’un MBA en management. Quelle influence ce bagage a-t-il eu sur ton projet artistique ?
J’ai étudié avec l’idée de percer dans la musique, et aussi parce que ma mère voulait que je fasse un master (rires). Cette influence « business », je la voulais pour ne pas me faire avoir par la suite, pour comprendre les codes de l’industrie. Les enjeux, les pressions, je voulais les maîtriser avant toute chose. Les artistes, je sais que d’habitude ils ne sont pas hyper intéressés par le côté business. Pour moi, c’était primordial de le comprendre pour pouvoir le maîtriser.
Tu as récemment créé ta collection de NFT. Au-delà des vignettes virtuelles que tu proposes, tu promets aux acheteurs des bonus exclusifs tels des répétitions privées ou l’album en avant-première. L’avenir de l’art, il se joue majoritairement en ligne pour toi ?
Non, pas seulement. Le changement on dit qu’il est là, mais ça fait 20/30 ans qu’il s’opère. La technologie, évidemment qu’elle influence l’art. Mais ce qui est intéressant, c’est le lien entre le virtuel et le réel. Et ce dernier ne sera jamais remplacé par le premier. Le live, la vraie vie, c’est trop beau pour disparaître dans un metaverse (rires).
Tu navigues entre rap et classique depuis toujours. Est-ce qu’à l’avenir on pourrait te voir mêler les sonorités du piano avec un autre genre, par exemple la musique électronique ?
Ah oui c’est clair ! Moi j’ai envie d’accompagner tous les mood possibles avec mon piano. J’aimerais tout casser dans l’électro comme on l’a fait dans le rap. Et j’ai des bons signaux, comme ce que j’ai fait avec Bon Entendeur ou NTO. Tout se marie super bien. On a joué « Invisible » avec NTO au Zénith, les gens étaient trop trop chauds. J’ai aucun à priori sur aucun style de musique, et c’est une de mes forces car du coup je prends des risques, je m’y confronte, je vois ce que je peux y apporter. Je me vois vraiment comme un artiste qui navigue entre les genres. L’ADN, c’est le piano, et autour de ça il y a tout ce que je peux faire avec des collaborations. Et je veux les multiplier toute ma vie.
Letter, disponible sur toutes les plateformes
Sofiane Pamart donnera deux concerts déjà complets à l’Ancienne Belgique les 4 et 5 juillet prochain