Salvatore Adamo et Daniel Auteuil : déclaration d’amitié sans fausse note

Les voilà face à face devant un micro, enregistrant « You’ve Got a Friend ». Une merveilleuse chanson pour le nouvel album de Salvatore Adamo, « In French Please ». | © DR
Le nouvel album du chanteur contient une pépite : un imprévisible duo avec un autre artiste qui compte beaucoup dans sa vie. Rencontre exclusive pour Paris Match Belgique.
Par Christian Marchand
Paris, le soleil brille. Paris Match Belgique pousse les portes d’un studio à deux pas des Champs-Élysées. Nous sommes accueillis par un duo de classe et d’élégance. L’acteur Daniel Auteuil a été nommé quatorze fois aux César. Il a remporté celui du meilleur acteur pour son rôle dans les films « Jean de Florette » et « Manon des sources » et un autre pour « La Fille sur le pont », sans oublier un prix d’interprétation au Festival de Cannes pour « Le Huitième Jour » de Jaco Van Dormael, avec Pascal Duquenne. Il apprécie les artistes belges. Il connaît bien la Belgique pour y avoir habité.
À ses côtés, notre Salvatore Adamo, le chanteur aux plus de 100 millions d’albums vendus dans le monde, Victoire d’honneur de la musique en 2014. Deux monuments adulés par le public qui n’ont jamais eu peur de prendre tous les risques. L’un, en endossant sans cesse des rôles différents ; l’autre, avec ses textes engagés. Deux artistes qui consacrent leur vie à leur métier. Avec passion. Et encore plus quand des amitiés fortes surgissent.
Daniel Auteuil aime la chanson. Surtout, il apprécie Salvatore depuis toujours. Ensemble, ils ont décidé de croiser leurs envies professionnelles et le rêve de travailler ensemble pour sublimer leur amitié. Les voilà face à face devant un micro pour enregistrer « You’ve Got a Friend » (« Tu as un ami ») : l’affirmation n’a jamais eu plus belle signification.
Paris Match. Salvatore Adamo, vous avez entamé votre carrière à l’âge de 10 ans. Et vous, Daniel Auteuil, à 4 ans dans le rôle du fils de « Madame Butterfly », puis à 16 ans sur scène. Qui rêviez-vous d’impressionner ?
Salvatore Adamo. Mon père. Il aimait et écoutait beaucoup de musique. À nos fêtes de famille, il y avait toujours un petit chanteur. Comme ils étaient pour la plupart italiens, ils avaient tous une belle voix claire. Moi, pas du tout : elle était rauque. La première fois que j’ai chanté en public, c’était à Jemappes. Une marque de chocolat s’était installée sur la Grand-Place. Je voyais des gens monter sur le podium pour chanter. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais j’ai fait comme eux. J’ai chanté « L’amour est un bouquet de violettes », de Luis Mariano. J’ai remporté deux kilos de chocolat. Mon père n’a jamais cru que je les avais gagnés honnêtement ! Une autre fois, c’était au football. J’ai joué en cadets jusqu’en juniors. Sur le terrain aussi, je rêvais d’impressionner mon père. Il n’était jamais venu me voir jouer. Ça m’attristait un peu. Un jour, je l’ai convaincu d’assister au match. Et j’ai marqué le plus beau but de ma vie pour lui.
Daniel Auteuil. Dans un premier temps, je ne pensais pas impressionner, mais peut-être convaincre mes parents que mon envie était de faire ce métier et qu’ils me laissent partir à Paris. C’était vraiment important pour moi. Le désir était très fort. À chaque fois que je voyais une pièce de théâtre, un film ou que j’écoutais une chanson, je ressentais une telle émotion que j’avais envie de faire de même. Deux acteurs ont réjoui mon adolescence : Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Et celui qui a façonné mon goût pour le théâtre et la chanson de poésie s’appelle Serge Reggiani.
Vous avez tous deux multiplié les succès. Que vous inspirent vos carrières respectives ?
S.A. J’enfonce des portes ouvertes, mais Daniel est un immense acteur. Tout le monde le sait. À mes yeux, il peut jouer comme Dustin Hoffman dans certains films, même comme Raimu quand il prend l’accent marseillais. En tant que comédien, il a tous les talents. D’ailleurs, il a reçu un nombre de prix incroyable. Dernièrement, il a encore brillé en haut de l’affiche avec « Adieu, Monsieur Hoffmann », qui a ajouté une couleur à sa palette de talents. Je pense également que sa carrière tient aussi au fait que c’est une personne d’une grande humanité.
D.A. Salvatore est unique. Sa longévité prouve qu’il est bel et bien un artiste de talent. Son réservoir de création, c’est-à-dire ce talent, cette volonté, cette passion d’avoir toujours des choses à nous raconter est impressionnant. Souvent, on s’aperçoit que dans l’écriture, après un ou deux albums, tout est dit. Chez Salvatore, jamais. Il s’est renouvelé et réinventé au fur et à mesure de son âge, en voyant ce que le monde vivait. Dans un premier temps, il a été un chanteur pour les jeunes, on pouvait s’identifier à ses sentiments amoureux. Peu à peu, il s’est intéressé au monde et est devenu universel. Jacques Brel l’a surnommé « le jardinier des mots » et, à mes yeux, il est un peu plus que cela. C’est un vrai auteur de son temps. Réécoutez donc « Inch’Allah ». Sa force, c’est qu’il est tout le temps de son époque.
Comment se sont « officialisées » vos vocations ?
S.A. Le statut de chanteur officiel existe-t-il ? (Rires) J’hésite toujours, lorsque je dois remplir des documents, à la case « profession ». Parce que j’ai cette chance unique que chanter reste pour moi un hobby. C’est un plaisir que la vie m’offre. Dans le temps, des gens me demandaient : « Et à part chanter, que faites-vous comme vrai métier ? » Je ne pense pas qu’on dise cela pour les acteurs. La formation pour jouer la comédie est plus sérieuse. Bien sûr, des chanteurs ont pris des cours de chant. Ce n’est pas mon cas. J’ai juste suivi, il y a deux années, suite à une extinction de voix, des cours de respiration qui m’ont bien servi.
D.A. Je n’ai jamais songé à faire du cinéma. Je ne savais d’ailleurs pas comment on y avait accès, ni comment ça se passait. Par contre, au théâtre, je savais où se trouvait l’entrée des artistes. Et les portes principales. Enfant, je regardais les spectacles. J’avais envie de produire l’émotion que m’apportaient les gens sur scène. Et le cinéma est venu par le théâtre. Je jouais une comédie musicale, « Godspell ». J’ai commencé par faire des publicités. Un jour, Gérard Pirès, un metteur en scène venu de ce monde, m’a donné un petit rôle. Tout a démarré ainsi.

Aujourd’hui, vous avez tous les deux plus de cinquante années de carrière. On ne peut pas dire que votre motivation soit l’argent…
S.A. En embrassant ce métier, je n’ai jamais pensé à l’aspect financier. Évidemment, c’est facile de dire ça lorsqu’on n’a pas de problèmes. L’avantage que l’argent m’a donné est de ne pas devoir y penser. Mais j’avoue qu’avec mes premiers cachets, lorsque j’ai pu acheter une voiture à mon père, j’en ai compris l’importance. L’argent vous fait changer de catégorie sociale. Je l’ai senti. Je suis passé d’une maison de cité d’ouvriers à une demeure plus belle. J’ai pu faire ce plaisir à mes parents qui le méritaient cent fois. Comme mes sœurs. Mais j’ai toujours refusé des engagements très bien payés qui n’allaient pas dans le sens de ce que j’attends de ma vocation.
D.A. Salvatore a raison. L’argent n’a jamais été mon moteur non plus, au contraire de la passion. La vie est un fruit qu’il faut croquer jusqu’à la fin. Ma seule angoisse est de savoir si le public aime le film, parce que c’est ma vie.
Mener une carrière internationale demande beaucoup de sacrifices, non ?
S.A. Oui, notamment familiaux. Quand on a la chance de réussir, la souffrance et la fatigue sont toujours compensées par le succès. Mais rien ne remplace les absences familiales. Et c’est sans doute mon seul regret : ne pas avoir pu doser mes absences.
D.A. Aujourd’hui, je fais en sorte de ne plus être séparé des miens. Ça, je ne peux plus. Ce serait trop cher payé. Je n’en ai plus la force. La reine d’Angleterre avait une devise que j’aime beaucoup : « Ne jamais expliquer. Ne jamais se plaindre. » Sur cinquante ans de présence, il y a des moments où l’on voudrait plus de douceur. Tenir longtemps dans une carrière coûte humainement.
Au cinéma, tout le monde adore Daniel Auteuil. Et voilà que vous apparaissez dans le paysage musical. Vous avez sorti un bel album, « Si vous m’aviez connu », avec des textes de grands poètes. À quel moment avez-vous commencé à vous intéresser à la chanson ?
D.A. Depuis toujours. Mon port d’attache, avec mes parents, était Avignon et son festival. J’étais attiré par l’art dramatique mais aussi par la musique. Lorsque je suis parti à Paris pour devenir acteur, je me suis retrouvé dans une comédie musicale. Chanter, faire rire ou faire pleurer me permettaient d’avoir plusieurs cordes à mon arc. C’était indispensable pour trouver du boulot. La musique me plaisait, mais je ne savais pas par où commencer, tandis qu’au théâtre, je savais et tout se passait très bien. Après, dans les années 1980, j’ai rencontré des gens qui m’ont permis d’enregistrer des 45 tours. Ça commençait à bien marcher. Mais « Jean de Florette » est arrivé… et j’ai arrêté la musique.
Qu’est-ce qui vous donne l’envie de chanter ?
D.A. Déjà, d’avoir baigné dans l’univers musical grâce à mes parents, qui étaient tous deux chanteurs d’opéra. Et puis lire des poèmes. Chanter procure des émotions totalement différentes du cinéma. C’est aussi une forme d’indépendance.
Vous avez poussé l’envie jusqu’à monter sur scène. Vous aviez ce besoin d’aller au bout de votre passion ?
D.A. Oui, et c’est plus fort qu’au théâtre : je ne me cache pas derrière un rôle. Face au public, en chantant, vous êtes à nu. Les gens viennent en confiance. Ils me connaissent. Ils ne savent pas ce qu’ils vont voir et entendre. Ils sont sympas puisqu’ils se tapent une heure et demie de chansons qu’ils ne connaissent pas (rires) ! Mais ils ne sont pas déçus. Le plaisir est plus fort que le trac. Je sors d’un concert en pleine forme. Rajeuni comme si j’avais nagé plusieurs longueurs. C’est vraiment magique.
Vous semblez être toujours en recherche. Auriez-vous peur de manquer de projets ?
D.A. Non, mais la musique, c’est comme une thérapie. Ça fait du bien. J’ai passé ma vie à raconter les histoires des autres. J’avais cette envie de raconter les miennes, avec mes mots.
Vous, Salvatore, vous avez interprété des rôles au cinéma. Dans « L’Ardoise », avec Michel Constantin, ou aux côtés de Bourvil dans « Les Arnaud », dans le rôle d’un boxeur. Quels sont les acteurs qui vous ont fait rêver ?
C’étaient d’abord des acteurs italiens. J’allais voir des films avec mon père. Beaucoup de longs métrages de Vittorio De Sica. C’était un traducteur de l’âme napolitaine, qui ressemble très fort à l’âme sicilienne, avec ses passions, ses excès et son amour fou. Aujourd’hui encore, lorsque je vois l’un de ses films, je dois me contenir tellement c’est émouvant. Après, il y a eu les longs métrages américains. À cette époque, on pouvait voir davantage de films américains en Belgique qu’en France. Tous les grands westerns, films d’aventures ou comédies musicales, et leurs interprètes inoubliables : Gary Cooper, Rock Huston, James Stewart, Glenn Ford, Katharine Hepburn, Judy Garland, Rita Hayworth, Marilyn Monroe, Ava Gardner, Marlon Brando, Cary Grant, Tony Curtis, Jack Lemmon… Quand je suis un peu cafardeux, je me branche sur la chaîne TCM et je regarde un film des années 1950. Mes références au cinéma français, à part Daniel Auteuil, sont Gérard Depardieu et Jean-Paul Belmondo.

Au fait, quel sentiment vous inspire le fait de voir Daniel chanter ?
Rien que de le voir entrer dans le studio, le soleil brille, tellement c’est une personne chaleureuse. Notre duo est plus réel que jamais, puisque nous sommes amis dans la vie. Ça se sent. C’est une tendre amitié. Nous chantons sans fausse note musicale ou de cœur (rires).
« Si tu es seul et triste / Si tu as besoin de réconfort / Rappelle-toi que j’existe / Et que je sers encore / Tu m’appelles sans façon / Et le temps de passer mon blouson / Je serai là, je suis ton ami », chantez-vous.
D.A. Moi, je n’aurais jamais osé. Un jour, j’ai envoyé à Salvatore des chansons que j’avais écrites. Puis, nous avons échangé un texte. Enfin, une musique. Il m’a donné confiance. Après le Festival de La Rochelle, son producteur m’a demandé si je voulais bien faire la voix off d’un documentaire sur sa vie. J’ai accepté avec plaisir. Jusque-là, j’étais tranquille, tout se passait bien… Après, il m’a proposé ce duo. J’aurai dû lui dire non tout de suite (rires). J’avais seulement peur.
S.A. Daniel avait le trac. Il m’a souvent appelé pour en parler. Et pourtant, le jour de l’enregistrement, il a assuré. Au studio, tout s’est passé avec beaucoup de patience et d’humilité de sa part. Je jouais le rôle de celui qui devait le faire chanter, mais qui suis-je, moi, pour faire ça ? J’insiste donc sur le mot « humilité » de sa part. Daniel l’acceptait vraiment avec modestie. Ce duo est né d’une idée d’adapter des chansons anglo-saxonnes qui avaient compté pour moi. Et j’avoue que Daniel m’avait dit qu’il aimerait bien un jour chanter en duo. J’étais convaincu, par amitié et par admiration, que sa collaboration apporterait un plus à la chanson.
Comment est née votre amitié ?
D.A. Elle vient d’une déclaration d’amour que j’ai dû lui faire. Je suis vraiment un admirateur de Salvatore. Je l’aime depuis toujours. La première fois que je l’ai vu, c’était en 1966 à Avignon. Il était avec sa femme, ils étaient perdus, ils cherchaient la piscine de la ville. Bref, je tombe sur lui et il me demande le chemin ! Là, je me rends compte directement que c’est lui. À cette époque, j’avais dansé sur « Tombe la neige » et, le même soir, j’ai voulu aller le voir. Mais j’étais en pension chez mes grands-parents et, comme j’avais fait deux ou trois fugues, ils m’enfermaient dans ma chambre. Je ressentais une frustration terrible. C’était l’été, la fenêtre était ouverte, et j’entendais chanter Salvatore. C’était énorme comme émotion. Puis, le temps a passé. J’ai 40 ans, j’ai tourné plein de films. À Paris, rue de Ponthieu et rue Washington, il passe devant moi. J’ai traversé et j’ai été lui dire toute l’admiration que j’avais pour lui. Croyez-moi, ce n’est pas quelque chose que je fais souvent, mais là, je n’ai pas pu m’en empêcher. Ça lui a sûrement fait plaisir. Plus tard, son producteur nous a réunis pour un dîner un peu formel. Je suis allé le voir en concert. Peu à peu, on a commencé à se parler au téléphone. Notre amitié s’est installée. C’est lui qui m’a encouragé à avancer dans ma passion pour la musique.
S.A. Lorsque Daniel m’a raconté son aventure de jeunesse, ça m’a touché. J’étais attendri. Déjà, tous les témoignages de sympathie me font plaisir. Mais quand ça vient d’une personne qu’on admire, ça fait chaud au cœur. Daniel est une immense vedette, une star de cinéma. Et il ose afficher sa sympathie pour moi. Il me le dit. Je me souviens très bien de notre première rencontre à Paris. J’entends quelqu’un courir. Il était derrière moi. Là, il me dit : « Bonjour, je suis Daniel Auteuil. Je vous adore, etc. » Ça a commencé comme ça.
Quelle est pour vous la plus grande qualité de Daniel ?
S.A. Son talent mais aussi son éclectisme, car il est capable de jouer tous les rôles. Sa personnalité. Sa modestie, son empathie. Il a un cœur énorme. On est touchés par les mêmes choses. C’est l’artiste que j’appelle le plus souvent. Mais on devrait s’appeler encore davantage.
Et vous, Daniel, que vous inspire Salvatore ?
D.A. Sa grande qualité, c’est qu’humainement, il est une personne droite, honnête, gentille, fidèle. Et il a du talent. L’amitié est un cadeau en plus. Admirer un chanteur et lui dire qu’on l’aime, être amis, on ne l’espère qu’en rêve. Et puis ça vient. C’est le destin. On a un rapport, lui et moi, de timidité et de sincérité. On est bien. Ça ne s’explique pas.
PAROLES DE CŒUR
Salvatore Adamo a rassuré ses admirateurs sur ses problèmes de santé en venant sur le plateau de Laurent Delahousse. Sur leur amitié, Daniel Auteuil raconte : « J’ai été lui dire toute l’admiration que j’ai pour lui. Croyez-moi, ce n’est pas quelque chose que je fais souvent, mais là, je n’ai pas pu m’en empêcher. Plus tard, son producteur nous a réunis pour un dîner un peu formel. Je suis allé le voir en concert. Peu à peu, on a commencé à se parler au téléphone. Notre amitié s’est installée. C’est lui qui m’a encouragé à avancer dans ma passion pour la musique. »
Salvatore Adamo se produira en concert au Kursaal d’Ostende le 25 mai, au Théâtre royal de Mons les 27 et 29 octobre, et au Cirque royal de Bruxelles le 4 novembre.
Daniel Auteuil chante le 2 février au Centre culturel d’Auderghem.